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jeudi 5 août 2004


Les Carnets de Sisyphe <SUP>Nouveau</font</SUP>
La politique et le désenchantement

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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Depuis deux ans, je me suis consacrée principalement à l’édition de Sisyphe qui a connu un développement rapide inattendu. J’ai dû mettre en veilleuse les "Chroniques de tout et de rien" que j’aimais bien écrire. Je m’en ennuyais un peu. J’y reviens, aujourd’hui, tout en continuant d’éditer avec plaisir les textes des auteur-es qui me font l’honneur de publier sur ce site. Je ferai un peu moins d’édition pour écrire davantage. Les Carnets de Sisyphe exigent moins que les textes d’analyse découlant de recherches approfondies. Ils sont un espace personnel pour une réflexion dans un style libre sur des sujets variés. J’y commenterai l’actualité des femmes, bien sûr, mais également d’autres sujets, comme les rapports entre la politique et les droits, la liberté d’expression et les pouvoirs, l’influence des médias, ainsi de suite, selon mon inspiration et mes goûts. Je souhaite vous avoir comme lectrice et lecteur assidu-e et je vous invite à me transmettre vos réflexions, comme vous pouvez le faire à la fin de tous les articles du site. Bonne rentrée !

Les Carnets de Sisyphe, no 1, le 5 août 2004
La politique et le désenchantement



C’est encore et toujours la politique, notamment l’élection fédérale du 28 juin 2004, qui a retenu l’attention des médias canadiens et québécois depuis le début de l’été. La politique, c’est quasiment un sport national au Québec.

J’ai échangé quelques courriels avec une journaliste québécoise au lendemain de l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire. Elle reprochait au Nouveau parti démocratique du Canada (NPD) de ne jamais faire élire plus d’une vingtaine de député-es. Je lui ai fait remarquer que le NPD, comme le Parti vert et d’autres tiers partis, subit les effets d’un système de représentation qui distorsionne les résultats du scrutin et rend bien relatif l’exercice de la démocratie. Le nombre de sièges au Parlement canadien n’est presque jamais proportionnel au nombre de votes obtenus par un parti.

C’est l’une des raisons - mais non la principale - qui explique, à mon avis, le taux élevé d’abstentions lors des scrutins au Québec et au Canada, le référendum de 1995 sur la souveraineté constituant une notable exception avec un taux de participation de plus de 90%. Combien d’électrices et d’électeurs pensent qu’il ne sert à rien d’aller voter puisque que leur voix ne compte pas ? Alors, ils s’abstiennent ou ils annulent leur vote. C’est ce que je disais à la journaliste. Elle a pensé que j’encourageais cette attitude et m’a répondu qu’elle ne voyait pas dans les abstentions et les annulations une solution au déficit démocratique. Moi non plus, mais cela n’empêche pas de constater le fait.

Je lui ai transmis quelques références sur des avenues possibles vers un mode de scrutin basé sur la représentation proportionnelle. C’était d’ailleurs l’un des thèmes majeurs de la campagne des néo-démocrates canadiens, en juin dernier, comme de celle du parti libéral du Québec (PLQ), en avril 2003. Sur la lancée du travail accompli en ce sens par le gouvernement du Parti québécois, le PLQ avait en effet promis une réforme du mode de scrutin au cours de la première année de son mandat. Depuis son élection, il tergiverse et reporte sans cesse un projet de réforme qui devait inclure des éléments de la représentation proportionnelle. Des réseaux de femmes insistent fortement pour l’adoption de ce type de réforme et la gauche n’a presque pas de chances de faire élire des député-es sans cette réforme.

*

La perte de confiance à l’égard de la classe politique a des sources peut-être plus importantes. On a l’impression, qui se confirme assez souvent, que trop de personnes ne s’engagent dans la politique que pour le prestige, les privilèges et le pouvoir qu’elle leur apporte. Le Canada, qui se prétend au-dessus de la corruption, a connu ce qu’il est convenu d’appeler "l’affaire des commandites" : une centaine de millions appartenant aux contribuables ont été détournés en faveur d’entreprises privées proches du parti au pouvoir. Un directeur d’organisme parapublic a même créé des dizaines d’emplois pour certains de ses proches. Ce n’était pas interdit pas la loi, a-t-il déclaré...

Paul Martin, chef du Parti libéral, a institué une enquête sur cette affaire de commandites, mais quand elle a approché de trop près les politiciens eux-mêmes et s’est interrogée sur leurs responsabilités, il a voulu y mettre fin. La persévérance des partis d’opposition à réclamer une enquête publique a fini par avoir raison de la résistance de Paul Martin, devenu entre-temps premier ministre, et la commission d’enquête Gomery a été mise sur pied. Paul Martin a prétendu ne pas avoir été au courant de cette affaire lorsqu’il était ministre des finances du Canada, ce qui est inconcevable. S’il n’était pas au courant de décisions qui engageaient les fonds publics, quelle sorte de ministre des finances était-il donc ? La population a raison de penser qu’il a quelque chose à cacher.

Maintes situations sont susceptibles de nourrir la méfiance et le désabusement des citoyennes et des citoyens. En campagne électorale, les femmes et les hommes politiques font toujours des promesses qu’ils n’ont pas l’intention de tenir. Une fois élue, l’équipe au pouvoir agit comme si les fonds publics lui appartenaient et non à la population. Elle s’empresse de placer ses amis dans les principaux postes-clés. Pour diriger la mise en oeuvre du nouveau Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et accélérer le processus de privatisation des institutions de santé québécoises, le gouvernement Charest a nommé deux de ses amis, Daniel Johnson, ancien premier ministre libéral du Québec, et Brian Mulroney, ancien premier ministre conservateur du Canada, dans le Cabinet duquel Jean Charest a fait ses premières armes en politique. J’aimerais bien savoir combien nous payons chacun de ces hommes pour préparer la mainmise de la haute finance locale et étrangère sur les institutions du Québec.

Ces deux anciens politiciens - mais ne le sont-ils pas toujours ? - sont très engagés dans le secteur privé. Ils sont membres de conseils d’administration de quelques entreprises, dont certaines américaines, et pourraient jouer un rôle majeur dans la privatisation du système de santé souhaitée par les États-Unis et les organismes, tels l’OMC, le FMI, la Banque mondiale, contrôlés par ce pays. Il est légitime de se demander quels intérêts ils serviront en cas de conflit : les intérêts de la population du Québec qui s’oppose en général à la privatisation des services de santé ou ceux des entreprises qui convoitent "le marché" de la santé.

**

Comme son prédécesseur Bernard Landry, Jean Charest voue un culte au libre-échange et je le considère un vassal de la mondialisation made US. En outre, en néo-libéraux bcbg, les deux hommes entretiennent depuis toujours le mythe que les entreprises transnationales étrangères ont absolument besoin des fonds publics pour s’installer au Québec et sont indispensables pour créer des emplois durables et lucratifs qui stimuleront l’économie de la province. Il y a quelques années, le gouvernement péquiste a accordé à NASDAQ - comme si la Bourse, jeu de hasard à grande échelle pour qui a les moyens d’y jouer, avait besoin de l’aide gouvernementale ! -, une subvention de 30 millions$ pour s’installer au Québec. Récemment, NASDAQ annonçait son départ.

Autre exemple. Le gouvernement du Québec a investi des sommes considérables dans les firmes de nouvelles technologies en leur acccordant, soit des exemptions d’impôts ainsi qu’à leurs cadres, soit des subventions plantureuses. Il avait pour objectif de créer des emplois bien rémunérés. Récemment, on apprenait que ces firmes faisaient appel de plus en plus à la main-d’oeuvre étrangère, notamment celle de l’Inde qui coûte deux fois rien. Ces entreprises créeraient de moins en moins d’emplois au Québec et de moins en moins de personnes s’orienteraient vers une formation dans le domaine des nouvelles technologies qui représentait, il n’a pas si longtemps, LE secteur d’avenir.

Combien d’autres subventions et investissements gouvernementaux engloutis en pure perte dans différentes entreprises qui ne sont pas tenues de respecter les engagements pris ? Pensons, par exemple, à General Motors à Boisbriand et à Gaspésia à Chandler (Gaspésie, Québec), qui ont empoché les subventions destinées à les maintenir en place et ont néanmoins fermé leurs portes, laissant sur le carreau des centaines de travailleuses et de travailleurs.

Le Parti libéral du Québec a critiqué la propension du Parti québécois à se mettre à genoux devant les entreprises pour les attirer ou les garder au Québec. Il a reproché à juste titre au PQ d’avoir accordé une subvention de 70 millions$ à IBM pour la modernisation de ses installations. Mais le Parti libéral du Québec vient à son tour d’accorder une subvention de 50 millions$ à l’entreprise Intrawest à laquelle Daniel Johnson, alors premier ministre, avait vendu pour une bouchée de pain l’un des joyaux du Québec, le Mont-Tremblant. Le gouvernement canadien ajoutera une autre tranche 50 millions$ de la poche des contribuables à la cagnotte d’Intrawest. Voilà donc où s’en va la moitié du montant des bourses des étudiant-es, que le gouvernement Charest veut convertir en prêts.

Pendant ce temps, les mêmes gouvernements font la vie dure aux personnes les moins nanties, par exemple, celles qui perdent leur emploi et ont besoin d’assistance pour survivre. Pour les gens des grands centres, il est parfois difficile d’imaginer la situation particulière des familles qui vivent dans les petites villes des régions éloignées où le transport en commun et les autres services publics sont peu développés.

Mon adrénaline a grimpé d’un coup lorsqu’on m’a raconté récemment l’histoire d’un jeune couple de Rivière-du-Loup qui a deux enfants. Depuis environ un an, l’homme occupait un emploi à une dizaine de kilomètres de sa résidence. Il s’y rendait en voiture avec un collègue. Ce dernier ayant quitté récemment son employeur, le jeune homme n’a plus de moyen de transport pour aller travailler. Il s’inscrit donc au centre de main-d’oeuvre en demandant un emploi plus près de chez lui et réclame des prestations de l’assurance-emploi. On les lui refuse parce qu’il a quitté volontairement son emploi. L’agente de main-d’oeuvre lui dit qu’il n’a qu’à s’acheter une voiture, à prendre un taxi ou à marcher pour se rendre au travail.

Avec la responsabilité de deux enfants, dont l’un d’âge scolaire, un salaire de 8,50$ de l’heure, une conjointe qui n’occupe pas un emploi rémunéré, comment ce jeune homme pourrait-il même obtenir un prêt pour s’acheter une voiture et, le cas échéant, comment pourraît-il le rembourser ? 30$ par jour pour un aller et retour en taxi afin d’aller travailler, est-ce que cela a du sens lorsque vous touchez 8,50$ de l’heure et faites une semaine de 35 heures ? La conjointe avait trouvé un emploi, mais elle s’est heurtée au même problème de transport, en plus de faire face à l’inaccessibilité des services de garde. Le couple s’est fait dire qu’il n’y avait plus de places à 7$ en garderie et qu’on ne savait pas s’il y en aurait éventuellement. Bref, débrouillez-vous donc seuls.

On demande l’impossible à une jeune famille de bonne volonté, on crée les problèmes sociaux qui peuvent engendrer des problèmes personnels et la dissolution de cette famille et, ensuite, on déblatère contre les gens qui sont contraints de demander l’aide sociale, en les traitant de paresseux.

Il n’est pas surprenant qu’une grande partie de la population ait l’impression que les gouvernements sont au service des bien nantis et prennent dans la poche des contribuables à faibles et moyens revenus pour remplir les caisses des entreprises multimillionnaires. Ce n’est pas toujours qu’une simple impression. Et on feint la surprise devant la méfiance et la colère qui s’expriment à l’égard de la classe politique !

Micheline Carrier, le 5 août 2004

Les Carnets de Sisyphe 2002-2003



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Micheline Carrier
Sisyphe

Micheline Carrier est éditrice du site Sisyphe.org et des éditions Sisyphe avec Élaine Audet.



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