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mardi 7 septembre 2004

CHOI-FM : un épineux problème pour les juges et le CRTC

par Guy Giroux, Université du Québec à Rimouski






Écrits d'Élaine Audet



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On attendait, le 26 août, une décision provisoire de la Cour d’appel fédérale, à Ottawa, à la suite d’une demande d’injonction de CHOI-FM, en raison du refus par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de renouveler son permis d’exploitation d’une station de radio à Québec. Mais voilà que tant le procureur de la Couronne que le CRTC lui-même ne se sont pas opposés à la demande de sursis de l’appelante. Pourquoi ? Afin de ne pas faire subir un tort considérable à la station de radio si elle avait été contrainte de fermer ses portes, a-t-on laissé entendre du côté du CRTC.

L’organisme fédéral n’aurait-il pas plutôt cédé aux pressions qui se sont exercées contre lui sur la place publique, voire en coulisses ? On ne le saura peut-être jamais.

En revanche, comme en matière de conflits d’intérêts, il est reconnu que les apparences peuvent parfois être aussi dévastatrices que la réalité elle-même. Le CRTC aurait donc dû être ferme ; ce qu’il n’a pas fait. Il s’est trouvé à affaiblir sa position et sa crédibilité et pourrait à terme offrir un prétexte à la Cour d’appel pour adopter un jugement ni chair ni poisson, alors que d’aucuns pensent qu’elle aura plutôt à prononcer un jugement à la Salomon.

Les arguments du CRTC sur le fond de la cause qui l’oppose à CHOI-FM sont pourtant imparables. Dans un monde rationnel, il ne devrait que gagner. Logiquement, il devait donc s’opposer aux arguments de l’appelante au stade de la demande d’injonction. Mais il aura senti qu’il avait un épineux problème à règler.

Les juges - auxquels on a voulu renvoyer le dossier - n’en auront pas été dupes, pas plus que l’opinion publique elle-même. Or, ils devront se prononcer sur l’usage notoirement abusif qui a été fait de la liberté d’expression par une entreprise de presse mercantile, comme s’il s’agissait là d’un droit fondamental de la personne.

Liberté du plus fort

Jusqu’à maintenant, on aura vu se dessiner trois tendances principales au sein de l’opinion publique à la suite de la décision de l’organisme fédéral. En vertu de l’une de ces tendances, on aura assimilé CHOI-FM à une victime d’un pouvoir bureaucratique de censure, digne des régimes totalitaires. Nombre de tenants de cette thèse ne sont nullement dupes de la situation, car leur seul désir est d’ameuter l’opinion publique en se drapant des apparences faussement vertueuses de la défense et de l’illustration de la liberté.

À l’inverse, il n’y a souvent derrière tout cela qu’une seule et unique volonté de faire de l’argent, par l’augmentation des cotes d’écoute. Citant le propriétaire de CHOI-FM, à partir de l’enregistrement de propos qu’il avait tenus en ondes, le CRTC constate qu’il s’était livré à l’aveu suivant : « ... je pense que les cotes d’écoute [...] doivent être ce qui compte réellement ».

« Liberté », bien sûr, mais au sens primitif du terme, soit celle d’exploiter les autres. C’est la liberté du plus fort ; celle de la loi de la jungle ; celle des tenants de la liberté du marché, comme s’il n’y avait rien sur terre qui puisse échapper au dogme de l’exploitation mercantile : l’environnement, le génome humain, la santé, la culture, l’éducation, la réputation et la vie privée des gens, et ainsi de suite.

D’une certaine façon, CHOI-FM et ses supporters nous donnent, à petite échelle, une représentation de l’économie mondiale débridée du capitalisme prédateur qui fait fi de toute régulation publique, à chaque fois qu’il le peut.

Cette thèse est compatible avec l’idée voulant que tous les progrès de la civilisation humaine soient contingents, comme si seule une conjoncture politique passagère les avait vu naître, sans leur procurer la moindre valeur morale. C’est ainsi qu’on laisse entendre, mais sans le dire ouvertement, qu’il n’y a pas d’autres revendications légitimes que la liberté du plus fort et celle de commercer. Souvenons-nous pourtant que le commerce des esclaves fut longtemps reconnu comme légitime dans certaines sociétés occidentales les plus prospères.

Liberté avec discernement

Quant aux défenseurs de la seconde thèse dont l’auteur de ces lignes se réclame, ils soutiennent qu’il n’y a aucune liberté ni droit inconditionnels en démocratie lorsqu’ils interfèrent avec ceux des autres, d’où leur modulation respective. C’est notamment le cas de la liberté d’expression dès lors qu’entrent en jeu des libertés ou des droits concurrents, comme le droit à la vie privée ; le droit à la dignité humaine, à l’honneur et à la réputation de sa personne ; le droit d’être traité équitablement afin de ne pas être exposé à la discrimination et à la haine sur la place publique ; etc.

Or, à l’origine de sa décision concernant CHOI-FM, le CRTC n’a fait que constater un déséquilibre manifeste entre le pouvoir qu’exerça la station de radio d’exploiter des ondes publiques et le respect de libertés ou droits qui sont considérés comme fondamentaux en démocratie.

Certains démagogues ont tenté de faire croire que le CRTC avait plutôt bafoué une liberté, encore plus chère, et donc prépondérante, que celles auxquelles on peut lui opposer. Quoi qu’il en soit, il n’a pas brimé la liberté d’expression, d’autant plus que ce concept ne s’applique pas aux entreprises de presse, mais aux citoyens, pris isolément.

Quant aux torts qui résulteraient d’abus présumés de la « liberté d’expression » par des animateurs de tribunes téléphoniques - comme s’ils intervenaient en ondes à titre de simples citoyens et non en tant que membres du personnel d’une station de radio -, on allègue souvent que l’on n’aurait alors qu’à s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation. Mais où est l’éthique dans tout cela ? Rarement, sinon jamais, il n’en est question, car elle requiert un usage avec discernement de la liberté humaine.

On voudra nous laisser croire que cela signifie de la censure. Pourtant, il n’en est rien, car l’éthique va de pair avec la prise en compte de trois composantes qui lui sont essentielles : la conscience morale, l’exercice de la liberté et la prise en compte des conséquences qui en découlent. Or, voici que les tenants de la thèse de CHOI-FM se trouvent à nous parler d’une liberté, mais d’une liberté sans conscience morale ni prise en compte des responsabilités auxquelles elle est pourtant intimement associée.

Intérêt public

La Cour d’appel qui se penchera sur le fond de l’affaire d’ici six mois devra en tenir compte. Elle devra notamment considérer s’il est raisonnable à l’intérieur d’une société libre et démocratique de renverser la décision ayant été prise par le CRTC de ne pas renouveler la licence d’exploitation d’une radio commerciale qui ne tient pas compte de l’intérêt public.

En effet, celle-ci a manifesté à plusieurs occasions un manque flagrant de bonne volonté pour corriger des pratiques inacceptables au chapitre des droits fondamentaux, pratiques qui étaient devenues systémiques parce que jamais la station de radio n’a donné le moindre signe de vouloir les modifier. Comment alors pourrait-on prétendre que soit prépondérant l’intérêt mercantile d’un seul homme, soit M. Patrice Demers, actionnaire de contrôle de CHOI-FM, seul administrateur et p.d.g. de Genex, propriétaire de la station de radio, en faisant fi, du même coup, d’intérêts concurrents, autrement plus légitimes car ils mettent en jeu l’ordre public ?

Quant au fameux recours aux tribunaux que l’on a revendiqué de tous côtés ces derniers temps, et qui aurait comme conséquence de ne rien faire pour réprimer ceux qui abusent des « ondes publiques » avant le fait accompli, en tirant avantage du pouvoir exorbitant dont ils disposent à cette fin, citons l’exemple de CHOI-FM qui a tenté de faire pression sur le gouvernement fédéral pour la dispenser de devoir elle-même s’adresser aux tribunaux.

Aussi, ceux qui revendiquent le droit de déblatérer contre tout le monde seront parfois les premiers à refuser de s’exprimer, dès lors qu’ils n’exercent pas un monopole de contrôle d’un micro sur les ondes d’une tribune téléphonique. Par exemple, dans l’édition du 23 août du quotidien La Presse, la journaliste Nathalie Petrowski révélait avoir essuyé un refus d’interview de l’animateur Jeff Fillion de CHOI-FM auquel elle voulait poser quelques questions.

Mesures graduées appliquées

Enfin, pour ce qui est des défenseurs d’une troisième thèse, ils pensent que la station de radio a eu tort, donc que le CRTC a eu raison sur le fond, mais que ce dernier n’aurait pas agi de façon graduée. Malgré tout, il aurait donc dû renouveler la licence de CHOI-FM. Pourtant - et les nombreuses interventions et mises en garde du CRTC en font foi -, l’organisme fédéral a bel et bien gradué les mesures auxquelles il a eu recours.

Ainsi, il a donné toutes les chances à la station de radio d’amender sa conduite, entre autres après avoir d’abord accepté de renouveler sa licence de radiodiffusion pour une période plus courte que la normale dans l’espoir vain qu’elle allait assumer ses responsabilités. Or, la situation a empiré : 45 nouvelles plaintes en 16 mois, contre 47 sur cinq ans (depuis la prise en charge antérieure de la station de radio par son propriétaire actuel, en 1997, jusqu’en 2002).

D’ailleurs, CHOI-FM a fait l’objet de nombreux avertissements sur les conséquences auxquelles elle s’exposait ; elle a enfreint son propre code de déontologie ; elle a non seulement été blâmée par l’organisme fédéral de contrôle des ondes, mais aussi par l’organisme privé auquel elle adhère librement, soit le Conseil canadien des normes de la radiotélévision ; enfin - pour limiter une énumération qui ne saurait être exhaustive - CHOI-FM a dénié ses responsabilités, comme l’a constaté le CRTC dans sa décision du 13 juillet, au point où ce dernier n’a plus eu confiance en sa bonne volonté.

Le fait de vouloir nier au CRTC la légitimité de refuser éventuellement de renouveler la licence d’un radiodiffuseur équivaudrait à contester la légitimité de son existence, malgré que ce pouvoir lui ait été conféré par la loi d’un pays démocratique. Or, on sait que le procureur de l’appelante a une telle prétention. De toute façon, il serait absurde de prévoir des audiences pour demandes de renouvellement de licences si le CRTC n’avait d’autre choix que de les agréer dans tous les cas.

Est-il besoin de mentionner que l’examen qu’il fait de chaque cas d’espèce n’est pas arbitraire, puisqu’il est balisé à la fois par les lois et règlements applicables, dont la Charte canadienne des droits et libertés, et par la prise en compte de la manière suivant laquelle chaque titulaire de licence s’est acquitté ou non de ses responsabilités.

Dans le cas particulier de CHOI-FM, le CRTC a fait observer dans sa décision de ne pas renouveler sa licence que « La gravité et la fréquence des infractions relevées, le fait qu’il s’agit de récidive, le comportement de dénégation générale affiché par la titulaire, les mesures dilatoires qu’elle a utilisées dans le traitement des plaintes tout au long de la présente période de licence ont convaincu le Conseil que Genex n’accepte pas ses obligations réglementaires et n’a pas la volonté de s’y conformer. »

Par ailleurs, mentionnons qu’il est bien connu que le CRTC, loin de limiter la libre circulation de l’information sur les tribunes téléphoniques, la favorise. Dans sa décision concernant CHOI-FM, l’organisme a, en effet, rappelé qu’en vertu de la loi applicable, on devrait offrir une programmation « variée [...], équilibrée qui renseigne, éclaire et divertit » et « dans la mesure du possible, offrir au public l’occasion de prendre connaissance d’opinions divergentes sur des sujets qui l’intéressent ». Quant au droit de commenter l’actualité qu’il se trouve à reconnaître aux animateurs de tribunes téléphonique, le CRTC mentionne « que le droit de critiquer n’entraîne pas le droit de dénigrer et de faire preuve d’acharnement indu, ni de se servir des ondes pour faire des attaques personnelles... ».

Publié également dans Le Devoir du 7 septembre 2004. Remerciements à l’auteur et au Devoir pour l’autorisation de reproduire.

Mis en ligne sur Sisyphe le 7 septembre 2004.



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Guy Giroux, Université du Québec à Rimouski

Professeur, président de l’Institut de l’étude de la régulation sociale et membre du Groupe de recherche Ethos de l’Université du Québec à Rimouski, 300, allée des Ursulines, C.P. 3300, Rimouski (Québec), G5L 3A1. Site de l’Université du Québec à Rimouski.



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