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vendredi 10 septembre 2004 Obstacles et réussite des filles à l’école Les filles méritent leurs succès
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Le droit à l’éducation fait partie des droits humains fondamentaux proclamés il y a un demi-siècle dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et à nouveau, en 1989, dans la Convention relative aux droits de l’enfant. Pourtant, "plus de 150 millions d’enfants dans les pays en développement commencent leur scolarité, mais n’atteignent pas la cinquième année d’études. Ils quittent l’école sans avoir acquis les notions élémentaires de lecture, d’écriture et de calcul et les compétences essentielles qui constituent la base de l’apprentissage la vie durant" (UNICEF, 1999, 2002) (1). Environ 75 millions de filles (UNESCO, 1998) dans le monde ne vont pas à l’école, soit les deux tiers des enfants qui n’ont pas accès à l’éducation (2). Mais l’accès à l’éducation n’est pas le seul problème rencontré par les filles : lorsqu’elles peuvent fréquenter l’école, s’ajoutent les dimensions de la rétention et l’écart de réussite avec les garçons. Écarts sensibles Dans 22 pays africains et neuf pays asiatiques, le taux de scolarisation des filles est de 80% inférieur à celui des garçons (3). Les raisons de cette situation sont multiples mais tiennent d’abord à la discrimination sexuelle : "Parce qu’elles sont des filles, d’innombrables jeunes sont contraintes de demeurer au foyer, confinées dans des tâches de subsistance. Et lorsqu’elles vont à l’école, elles sont souvent si isolées en salle de classe qu’elles finissent par abandonner. Le travail ensuite : des dizaines de millions de filles […] n’ont pas accès à l’éducation parce [qu’elles] sont employées à plein temps, souvent dans des situations dangereuses et d’exploitation. Beaucoup d’autres enfants ne sont pas scolarisés tout simplement faute d’école ou, s’il y en a une, l’école ne garantit pas leur droit à l’éducation" (UNICEF, 1999)(4). Les grandes organisations internationales, telles l’UNICEF, l’UNESCO et la Banque mondiale, exigent des pays qui souhaitent recevoir un soutien financier la mise sur pied de plans de développement de l’éducation, en mettant un accent particulier sur la scolarisation des filles. Mais ces politiques d’éducation créent aussi des effets pervers, par exemple, en accentuant l’écart entre la scolarisation des filles et celle des garçons, comme le montre Zoundi (2004)(5) pour le Burkina Faso. Ce pays bénéficie d’un soutien considérable de la part des institutions internationales pour la promotion de la scolarisation des filles, mais les efforts consentis profitent davantage aux garçons qu’à ces dernières, même s’ils améliorent la scolarisation de façon générale (Zoundi, 2004). "Les taux bruts de scolarisation au primaire montre […] une évolution continue entre 1980 et 2000 en passant respectivement de 22 à 50% pour les garçons, et de 13 à 34% pour les filles, avec une nette ascendance des premiers sur les secondes. On constate surtout que l’écart entre les deux sexes se creuse davantage au fil des décennies. Ainsi, il y avait 9 points d’écart en faveur des garçons en 1980, 15 en 1990 et 27 en 2000" (Banque Mondiale, 2002 dans Zoundi, 2004). On sait pourtant depuis longtemps que l’avenir des pays en développement passe par l’éducation des filles et des femmes. Pour Koffi Annam, "l’éducation des filles n’est pas une option mais un impératif au développement économique, social et politique des sociétés" (6). L’enjeu de la scolarisation des filles dans le monde apparaît donc comme une nécessité non seulement pour le développement (7) , mais pour leur propre émancipation surtout. L’UNICEF avance que "chaque année de plus passée à l’école peut également se traduire par une régression de l’indice synthétique de fécondité et par un recul des décès liés à la maternité". Au Brésil, les femmes analphabètes ont en moyenne 6,5 enfants, alors que celles qui ont suivi un enseignement secondaire ont 2,5 enfants (UNICEF, 1999). Dans les pays industrialisés, dépréciation et résistance Si les bienfaits de l’éducation des filles sont constamment réaffirmés dans les pays en développement, l’analyse de ces bienfaits s’avère beaucoup plus complexe dans les pays industrialisés, là où l’objectif semble atteint. Dans la majorité des pays de l’OCDE (2003), en effet, les filles réussissent globalement mieux que les garçons. Compte tenu du consensus mondial autour de l’enjeu de leur scolarisation, on aurait pu s’attendre dans nos pays à des éloges quant aux efforts et à la détermination des filles, ainsi qu’aux retombées tangibles de cet état de fait pour elles et pour leurs sociétés. Ce n’est pas la tournure qu’ont pris les événements. L’attitude de suspicion développée à l’égard de leur réussite contribue au sentiment d’usurpation qui leur est communiqué actuellement. La réussite scolaire des filles représente pourtant en soi un phénomène sociologique digne d’intérêt car elle a contribué à l’amélioration du taux de scolarisation dans l’ensemble du Québec des trente dernières années. Le progrès de la scolarisation des femmes a donc bénéficié aux garçons comme aux filles. On aurait souhaité que l’État, encouragé par cette progression constante, maintienne son soutien à la scolarisation des filles sur les plans des orientations, des trajectoires scolaires et professionnelles et des modalités de leur insertion. Très tôt (8), au contraire, il a mis l’accent sur la situation des garçons et sur la présumée discrimination qu’ils subiraient au sein du système scolaire, reléguant du même coup aux oubliettes des décennies de revendications et d’actions pour l’éducation des filles, comme si tout était acquis pour elles. Plusieurs médias et acteurs éducatifs ont ramené les écarts de réussite scolaire entre les sexes à une question de revanche (9), faisant ainsi porter la responsabilité des problèmes scolaires des garçons aux enseignantes du primaire, aux mères monoparentales et aux féministes. On a, par ailleurs, mené bien peu d’analyses sur les changements sociaux en tant que facteurs explicatifs de la performance supérieure des filles à l’école. Au lieu de se montrer fier qu’elles aient comblé le retard grâce à leurs efforts persévérants, on prend ombrage de cette réussite. Que les filles accèdent à l’éducation et s’instruisent, oui ; qu’elles dépassent les garçons semble la limite à ne pas atteindre. Alors que partout ailleurs, dans l’organisation sociale, le critère de performance préside à la sélection, on explore maintenant l’idée des quotas dans certains domaines de formation parce que les filles y excellent. Les filles méritent leurs succès scolaires Le phénomène de la réussite scolaire supérieure chez les filles n’est pas apprécié à sa juste valeur. Les filles réussiraient mieux, prétendent certains, parce qu’elles sont dociles et parce que l’école favorise la passivité (Turenne, 1992). Cette interprétation invalide les efforts des filles. Plusieurs études, dont les miennes, ont montré que les filles consacrent beaucoup plus d’heures à leurs travaux scolaires que les garçons (Bouchard et al, 2003), qu’elles sont plus responsables, disciplinées, organisées et ambitieuses (Bouchard et St-Amant, 1996 ; Bouchard et al, 2003), qu’elles ont développé très tôt des stratégies de collaboration (Gagnon, 1999) et qu’elles n’hésitent pas à entrer dans le jeu de la compétition scolaire lorsque nécessaire (Alaluf et al, 2003) (10). Bref, de meilleures dispositions scolaires (Zazzo, 1985 ; Felouzis, 1993) à l’origine de conduites à l’opposé de la docilité. La méfiance et la réticence de l’État à maintenir des politiques de support à la scolarisation des filles s’explique peut-être autant par la démarche d’émancipation qu’elle sous-tend que par la scolarisation elle-même. En 1996, une étude menée par mon équipe de recherche auprès d’un échantillon représentatif de 2200 jeunes Québécois et Québécoises de 15 ans a révélé un lien statistique entre l’adhésion aux stéréotypes de sexe, la scolarité des parents et les résultats scolaires. Un niveau scolaire élevé des parents accompagne une adhésion faible des enfants aux stéréotypes de sexe et de meilleurs résultats scolaires (l’inverse se vérifiant également), et ce, autant chez les garçons que chez les filles. Comme les garçons adhèrent davantage (dans une proportion du simple au double) aux stéréotypes de sexe que les filles (Bouchard et St-Amant, 1996, 1998 ; Bouchard et al, 1997), les résultats sont conséquents. Bref, ce sont les moins conformistes qui réussissent le mieux et les plus grands succès scolaires des filles se lisent alors dans une logique de transformation des rapports sociaux de sexe. "La performance scolaire, la persévérance et l’accès aux études supérieures constituent des manifestations de résistance de la part des filles et de leurs mères face aux assignations identitaires limitatives. […]. Les filles se sont émancipées des rôles traditionnels de sexe en y consacrant les efforts scolaires nécessaires" (Bouchard, 2004). Elles n’acceptaient plus des rôles de personne soumise, voilà sans doute un changement dérangeant. Le battage médiatique en faveur du retour à un enseignement non-mixte indique-t-il une certaine nostalgie des stéréotypes qui ont longtemps fait obstacle à l’égalité des sexes ? Dans les pays industrialisés, le seul lieu social où les filles réussissent globalement mieux que les garçons, c’est à l’école. Certains ressentent cette situation comme une usurpation et craignent que les garçons perdent des emplois, sans mettre en cause les efforts réels des garçons. Encore faudrait-il s’interroger sur la valeur respective des diplômes car la réussite scolaire n’égale pas la réussite professionnelle (Alaluf, 2003) et sociale (Bouchard et St-Amant, 1993). On sait bien que la réussite scolaire des filles ne leur assure pas nécessairement une meilleure position que celle des garçons sur le marché du travail. Actuellement, toutes les initiatives et les interventions visent les garçons et ne se préoccupent pas des problèmes des filles, notamment de celles qui sont aussi des filles en difficulté scolaire ou de celles qui quittent le système scolaire pour raison de grossesse, de charge de famille et de moyens financiers insuffisants. L’intervention auprès des garçons Qu’on me comprenne bien. Je ne soutiens pas que la situation des élèves en difficulté - dont plus de garçons que de filles font partie - ne doit pas faire l’objet d’interventions. Bien au contraire ! J’ai mené des recherches pour comparer les garçons performants et les garçons en difficulté, puis ces derniers et les filles en difficulté, dans le but de faire émerger des pistes de solutions véritables pour les deux sexes, tout en évitant les généralisations et les différenciations abusives. Une perspective où les gains des unes ne sont pas perçus comme acquis au détriment des autres doit inspirer des interventions contre les stéréotypes de sexe et éviter des solutions de ségrégation sexuelle au sein de l’école publique, ce que le retour à la non-mixité scolaire laisse présager. De nombreuses recherches internationales (Lingard et al, 2002 ; AAUWEF,1998) montrent que la non-mixité ne favorise pas en soi la réussite scolaire des garçons ; elle soustrait simplement les filles de la comparaison et favorise le développement de représentations sexistes de l’autre sexe. L’enjeu ne se situe pas sur ce plan. Au nom d’approches adaptées à chacun des sexes, des formules de non-mixité ouvrent la porte à des programmes scolaires différenciés, puis à leur classement hiérachique pour accéder à l’emploi, ce que les féministes ont dénoncé comme discrimination systémique dans le passé. Comme l’assure l’UNICEF (1999), l’éducation reste la clé pour permettre aux filles et aux femmes d’acquérir des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être et même des savoir-apprendre pour s’émanciper et jouer leur rôle dans l’édification d’un monde de justice, de démocratie, de tolérance et de paix, gages d’un développement durable. Est-ce ce à quoi veut faire obstacle une campagne médiatique qui, au lieu de chercher les causes des problèmes scolaires chez les garçons eux-mêmes, blâme le féminisme d’avoir encouragé l’ambition et la persévérance chez les filles ? Notes 1. Les données statistiques du rapport annuel 2002 de l’UNICEF sur la situation des enfants dans le monde montrent sur le plan mondial des taux nets de scolarisation de 85 % pour les garçons et de 78% pour les filles dans l’enseignement primaire, soit un écart de 7 points. C’est donc dire à quel point la situation des filles dans les pays en développement est catastrophique puisque ces données incluent les pays industrialisés où cet écart joue en faveur des filles. UNICEF (2002). Références bibliographiques
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