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jeudi 14 octobre 2004

L’école québécoise et les garçons : l’apprentissage de la domination

par Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval






Écrits d'Élaine Audet



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Extrait d’une conférence intitulée « Analyses globales, actions locales », présentée par Jean-Claude St-Amant, lors du colloque sur la réussite éducative « Tous ensemble pour la réussite », tenu à Montréal en avril 2004.

Les performances scolaires plus laborieuses de certains garçons sont au centre d’un débat qui dépasse largement les frontières canadiennes pour rejoindre la grande majorité des pays industrialisés. Trois interprétations dominent.

1 - Les interprétations dominantes

Le courant du « garçon victime » insiste sur le fait qu’atteindre l’égalité signifie désormais s’occuper des garçons, le groupe vraiment « en détresse » dans ce lieu féminisé que serait devenue l’école. Quand ce ne sont pas les féministes qui sont mises au ban des accusées, ce sont l’ensemble des mères, les enseignantes qui seraient proportionnellement trop nombreuses, ou encore les mères monoparentales (Kimmel, 2000).

Le deuxième courant d’interprétation insiste sur les dysfonctions de l’école, soit un système scolaire qui ne serait pas adapté aux garçons. On évoque notamment un style d’apprentissage qui leur serait particulier, on insiste pour dire que plus que leurs consoeurs, les garçons vivent des difficultés d’apprentissage et d’adaptation.

Enfin, le courant essentialiste ramène un énoncé de sens commun : laissez les garçons être ce qu’ils sont, des garçons. Bien que tautologique, ce raisonnement connaît du succès. Ancré dans la différenciation entre les sexes que l’on prétend naturelle, il renvoie aux théories sociobiologiques (différences de cerveau, hormones, etc.). Il présuppose une nature masculine sur laquelle on ne peut intervenir, à la source notamment de l’agressivité et du besoin de bouger, etc.

Ces lectures de la situation scolaire des garçons trouvent leur écho dans la surenchère médiatique et se répercute aussi chez les parents, ce qui a pour effet de créer une pression importante sur les personnels scolaires. Ces derniers ont non seulement la responsabilité d’intervenir, mais ils ressentent l’urgence de le faire. Qu’en a-t-il été au Québec des dernières années ?

2 - Les interventions visant exclusivement les garçons

Les données ont trait à l’année scolaire 2003-2004 et couvrent le primaire et le secondaire publics francophones. Selon deux sources, il y aurait eu 253 interventions destinées exclusivement aux garçons (un projet par 5 écoles environ). Ils existent depuis plus d’un an dans 80% des cas. Quatre types de mesure connaissent le plus de vogue.

    2.1 - La non-mixité

De loin le plus fréquent, le recours à la non-mixité en classe constitue pour les personnels scolaires la mesure jugée la plus efficace pour les garçons. Elle se retrouve dans 37% des cas, avec une fréquence plus élevée au primaire (40% conte 34%). La ségrégation se fait soit par matière, soit par cycle ou par niveau. Ce type d’intervention s’inspire principalement du discours sur les dysfonctionnements de l’école où la responsabilité incombe d’abord au système scolaire. Le rapport du Groupe de réflexion sur l’éducation des garçons* (GREG) indique de façon paradoxale que "majoritairement, [les directions d’écoles] n’ont remarqué aucun changement significatif au niveau des résultats académiques" (GREG, 2003 : 36). Cette absence d’impact positif concorde tout à fait avec les résultats de recherche sur la ségrégation par sexe chez les garçons (Bouchard et St-Amant, 2003).

    2.2 - Les sports

Le deuxième genre de mesure la plus fréquente consiste en l’organisation d’activités sportives pour les garçons seulement, avec 32% (30% au primaire contre 36% au secondaire). Il s’agit le plus souvent d’activités parascolaires, en dehors des horaires réguliers, où la natation, le football, le hockey ou l’athlétisme servent d’outils d’intervention. Dans certains cas, les objectifs se réduisent à occuper les garçons pendant l’heure du midi, mais dans la grande majorité des cas, il s’agit de « faire dépenser de l’énergie ». Un tel modèle d’intervention repose sur une conception essentialiste des garçons où des liens sont faits entre une caractéristique particulière, ici l’énergie instinctive qui serait débordante, et la réussite à l’école. Les directions d’école supposent a priori que les garçons ont un trop plein d’énergie et que le fait de la dépenser améliorera sinon le rendement scolaire, du moins les comportements. Cette conception de la masculinité sert aussi d’alibi à l’indiscipline que l’on tolère davantage chez les garçons. Selon les directions d’école, les effets de ces mesures ne seraient pas palpables sur le plan des résultats scolaires, mais plutôt sur celui des comportements (GREG, 2003 : 37). Même constat, donc, de l’inefficacité des activités sportives quant à la réussite scolaire des garçons.

    2.3 - Les projets particuliers

Les projets particuliers recouvrent une gamme d’interventions qui ont pour point commun de viser une ou des caractéristique(s) susceptible(s) d’être améliorée(s), que ce soit la motivation, l’estime de soi ou la perception de l’école. Ils se déroulent le plus souvent pendant les heures de classe, recoupent plusieurs initiatives et font quelquefois appel à des ressources extérieures (pères, intervenants hommes, policiers, etc.). Encore ici, ce sont des projets qui s’adressent exclusivement aux garçons. Ils représentent 12% du total des activités (8% au primaire et 17% au secondaire).

Ces interventions reposent sur une conception normative de la masculinité, c’est-à-dire sur ce que devraient être les garçons. Cela se traduit, par exemple, par une adhésion à l’affirmation selon laquelle il manquerait de figures masculines à l’école ou dans la famille. S’ensuit l’invitation d’hommes comme modèles dans une tentative de transmettre un certain nombre de valeurs dites masculines. Dans la même veine, les projets particuliers reposent sur un a priori fort contestable à l’effet que seuls des hommes sont capables de transmettre aux garçons des valeurs soi-disant masculines. L’impact de ces projets particuliers n’a pas été évalué eu égard au rendement scolaire.

    2.4 - La pédagogie différenciée

Alors que les projets particuliers sont proportionnellement plus nombreux à l’ordre d’enseignement secondaire, les interventions touchant la pédagogie différenciée (12% aussi) se retrouvent plus largement au primaire (14% contre 9%). Il s’agit pour une part d’aide pédagogique supplétive que l’on dit spécifiquement adaptée aux garçons (aide aux devoirs, récupération, rattrapage), et pour une deuxième part, de pédagogie différenciée sur la base de caractéristiques attribuées à un sexe. D’inspiration essentialiste, on y retrouve des interventions basées sur des styles cognitifs ou des stratégies d’apprentissage présumés différents, sur un côté manuel et concret attribué aux garçons, enfin sur des centres d’intérêt que l’on associe spécifiquement aux garçons (informatique, mécanique, etc).

En limitant à une vision binaire la diversité des stratégies cognitives ou des stratégies d’apprentissage chez les jeunes, en attribuant à tout un sexe des caractéristiques qui ne valent que pour une partie d’entre eux - et qui valent aussi pour une partie des filles -, ce type d’intervention entretient des visions stéréotypées des hommes et des femmes. Pourtant, on sait que réussite scolaire et stéréotypes sexuels sont antithétiques, que ce soit chez les garçons ou chez les filles (Bouchard et St-Amant, 1996). Il y a donc fort à parier que les effets de ces interventions soient plus négatives que positives.

Le renforcement du patriarcat

L’analyse des initiatives récentes dans les écoles québécoises montre tout l’impact des discours masculinistes repris par certains médias. Dans le cadre d’une plus grande autonomie de gestion nouvellement acquise, les écoles sont plus facilement laissées à elles-mêmes quant aux initiatives à prendre et l’objectif de la réussite du plus grand nombre, recherché dans les années 90, est devenu celui de la réussite des garçons. Le ton alarmiste entourant cette question de même que l’inquiétude suscitée chez les parents poussent les personnels scolaires à agir de façon précipitée. Le résultat en est que les interventions visant les garçons sont conçues à partir de conceptions essentialistes et naturalisantes de l’identité masculine, massivement par le recours à la non-mixité et aux sports (69% des interventions).

Les directions d’école sont conscientes que les mesures adoptées ne sont pas efficaces sur le plan de la réussite scolaire des garçons. Pourquoi alors persister ? Quelles en seraient donc les finalités implicites ? Il faut retourner à l’analyse des discours masculinistes pour en comprendre les fondements.

La réussite scolaire comparée selon le sexe constitue un catalyseur des discours masculinistes (Bouchard et al, 2003a), c’est-à-dire la porte d’entrée privilégiée par laquelle des groupes d’hommes « préconise[ent] un retour aux valeurs traditionnelles ainsi qu’à la famille nucléaire (mère-père-enfants dans un lien de filiation). […] Les enjeux du discours masculiniste sont à la fois de récupérer des privilèges perdus et d’arrêter la démarche d’émancipation des femmes » (Bouchard et al, 2003 : 79). On voit que l’école (que l’on a prétendue féminisée) passe le message qu’il n’y a maintenant que les gars qui méritent l’attention, et les filles qui connaissent des difficultés sont exclues. Ce qui reste en fin de compte de ces interventions « entre gars », c’est l’apprentissage de la domination et le renforcement du patriarcat. C’est là où se construisent les bases d’une nouvelle masculinité hégémonique.

L’éducation a constitué pour les femmes un outil central d’émancipation. Il a fallu des décennies de luttes pour pouvoir y accéder. Sous le couvert de nouvelles problématiques, elle est redevenue un enjeu des rapports sociaux entre les sexes où se joue la place des femmes dans la société de demain.

* Il s’agit d’ « une coalition des principaux acteurs jeunesse de la MRC de Deux-Montagnes et du sud de la MRC de Mirabel », formée en décembre 2001. Il a été subventionné par Développement des ressources humaines Canada pour la recherche citée dans cet article.

 Lire également : La mixité scolaire n’a pas d’effet sur la motivation.

Références

Bouchard P. et J. C. St-Amant (1996), Garçons et filles. Stéréotypes et réussite scolaire. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
Bouchard P. et J. C. St-Amant (2003), "La non-mixité à l’école : quels enjeux ?", Options CSQ no 22 : 179-191.
Bouchard et al (2003), La réussite scolaire comparée selon le sexe : catalyseur des discours masculinistes, Ottawa, Condition féminine Canada.
Groupe de réflexion sur l’éducation des garçons (2003), Rapport de recherche, s.l.
Kimmel, Michael S. (2000), « What About the Boys ? What the Current Debates Tell Us, and Don’t Tell Us, about Boys in School ». Conférence prononcée au 6th annual K-12 Gender Equity in Schools Conference, Wellesley College Center for Research on Women.
Ministère de l’Éducation du Québec (2004), La réussite des garçons. Des constats à mettre en perspective. Rapport synthèse, Québec, Ministère de l’Éducation.



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Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval

Jean-Claude St-Amant est professionnel de recherche à l’Université Laval depuis 1992, rattaché au Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) ainsi qu’à la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes. Historien de formation, il a été professeur-chercheur pendant une dizaine d’années avant de se consacrer entièrement à la recherche. Intéressé par le rôle de l’éducation dans la réduction des inégalités, ses travaux récents ont porté sur la réussite scolaire en milieu autochtone, sur les dynamiques scolaires dans les familles de milieu populaire et sur les écarts de réussite entre garçons et filles.

Il prépare maintenant une enquête sur les difficultés scolaires selon le sexe vues par le personnel scolaire québécois.



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