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vendredi 4 février 2005 Pour le droit des femmes à l’égalité Mémoire soumis à la Commission parlementaire sur l’égalité
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par les membres du Collectif proféministe Yannick Demers Le Collectif proféministe est composé à la fois de groupes et d’individus impliqués dans un réseau informel de discussion, d’action et d’échange sur des questions touchant le droit des femmes à l’égalité, à partir des pratiques propres à chacun des membres. Ceux-ci partagent un point de départ commun, à savoir l’inscription des hommes en tant que dominants dans les rapports sociaux de sexe, ainsi qu’une visée commune : une société où les rapports de pouvoir n’ont plus leur place.
Introduction Nous aurions souhaité que l’avis intitulé Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes opte plus explicitement pour le droit des femmes à l’égalité, notion sans ambiguïté quant à ses objectifs et plus claire que « l’égalité entre les hommes et les femmes ». Conformément à l’histoire du CSF lui-même, nous aurions aimé également que les stratégies proposées reposent de façon explicite sur l’ensemble du mouvement des femmes et que les approches soient choisies en conséquence. Le discours antiféministe ambiant pèse sur l’analyse présentée dans l’avis. En témoigne le fait que le document reprend à son compte une construction tronquée de la « réalité » des hommes et de problématiques dites masculines. Essentiellement, ces dernières ont été fabriquées par les groupes masculinistes qui, prétendant parler au nom de tous les hommes, s’organisent pour discréditer le féminisme et maintenir - sinon restaurer - les privilèges des hommes. Face à ce masculinisme d’État naissant, il serait tout à fait paradoxal que la consultation en cours pour le droit des femmes à l’égalité mène à un renforcement de l’agenda antiféministe. Comme Collectif proféministe, nous affirmons que les collaborations en cours depuis plusieurs années entre d’une part, certains hommes, en certaines circonstances et pour des objectifs particuliers, et d’autre part, des femmes ou des groupes de femmes, constituent dans la conjoncture actuelle la forme d’implication la plus satisfaisante, celle où les hommes comme groupe social se situent en appui et en retrait du mouvement féministe. Qui des hommes a demandé à siéger au CSF, sinon les membres des groupes masculinistes ? L’introduction d’hommes dans ces instances menace l’approche spécifique, outil premier du droit des femmes à l’égalité. Cette prise de position s’appuie sur la perméabilité des hommes à un aspect ou l’autre du discours masculiniste. Elle se base également sur des fondements historiques qui montrent que ce que les femmes ont obtenu comme groupe social discriminé, elles ne le doivent à personne d’autre. Conséquemment, nous nous refusons à devenir complices d’une confiscation du Conseil du statut de la femme et du Secrétariat à la condition féminine au profit des hommes. Nous considérons que les gouvernements québécois ne sont que les dépositaires d’instances que les femmes se sont gagnées et qui leur appartiennent. Le Conseil du statut de la femme (CSF) et le Secrétariat à la condition féminine (SCF) nous ont habitués dans le passé à des contributions importantes eu égard à plusieurs enjeux touchant les femmes, les rapports sociaux de sexe et par le fait même, le Québec tout entier. L’avis intitulé Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes ne déroge pas à cette règle et présente pour fins de consultation publique, une réflexion stimulante, appuyée par une large documentation. Nous aurions souhaité par contre que le document opte plus explicitement pour le « droit des femmes à l’égalité ». Cette notion situe plus précisément, il nous semble, les discriminations vécues par les femmes en tant que femmes, et en fait l’objet incontournable des interventions et des politiques. Elle permet aussi de se distancier de formules ambigues comme celle « d’égalité entre les femmes et les hommes » qui laisse place à la prétention masculiniste (1) , selon laquelle les hommes seraient eux aussi discriminés. Au-delà de son approche factuelle, le « Portrait de la situation » en première partie montre comment, par leurs luttes, les femmes ont réussi à faire des avancées considérables. Il rappelle qu’en 1973, en pleine période d’effervescence du mouvement féministe, celles-ci ont pu faire une percée jusque dans les appareils d’État en se dotant d’un organisme de consultation et d’étude, le CSF. Il permet de se souvenir aussi que ces gains, comme ceux d’une première nomination d’une ministre d’État à la condition féminine puis l’avènement du SCF, n’ont jamais été donnés aux femmes : ils ont été gagnés par leurs luttes collectives. Enfin, « les inégalités et obstacles persistants » (p. 24) à la fin de cette partie dévoilent la force du patriarcat (2) de même que certains des mécanismes actuels de sa réorganisation où « des phénomènes sociaux en émergence prennent la forme de nouveaux obstacles à l’égalité » (p. 27). Entendons que les dangers de reculs pour le droit des femmes à l’égalité sont bien réels, ici comme ailleurs dans le monde. Le document ne parvient pas à répondre à certaines questions, ni à calmer des malaises déjà présents en mai 2004 lors de la publication par le CSF de l’avis De l’égalité de droits à l’égalité de fait : repenser les stratégies et élargir la perspective. Ainsi, la première partie de ce mémoire montre l’influence perceptible de l’agenda masculiniste dans le contenu de la consultation en cours, soit l’inclusion de problématiques dites masculines fabriquées par des groupes antiféministes. En découle une question à notre avis tout à fait pertinente dans la conjoncture actuelle : le Québec serait-il en train d’assister à la naissance d’un « masculinisme d’État » ? Plusieurs faits pointent en ce sens. La deuxième partie, et c’est là l’essence de notre contribution, explique notre refus sans équivoque d’une stratégie qui voudrait confier aux hommes un rôle de « sujets, acteurs et concepteurs de politiques et d’actions » (p. 45), alors qu’une position « en appui et en retrait » par rapport aux revendications du mouvement des femmes reste, selon nous, le meilleur gage d’une contribution utile. Cette prise de position s’appuie sur la perméabilité des hommes à un aspect ou l’autre des prétentions masculinistes, dont la première caractéristique demeure son antiféminisme virulent. Enfin, la dernière partie présente brièvement quelques inquiétudes, en souhaitant vivement que les divers textes présentés par les femmes et les groupes de femmes aborderont ces questions et éclaireront le gouvernement. 1 - L’influence de l’agenda masculiniste dans la consultation en cours La présentation du « nouveau contexte » (p. 27) montre que le discours antiféministe pèse sur l’analyse présentée dans le document, de même en ce qui a trait à l’influence de ce discours dans les médias « qui concentrent leur attention sur d’autres problématiques [que l’égalité], en particulier celles des hommes » (p. 28). Certaines remises en question imposées par le gouvernement dans cet exercice de consultation découlent directement de la pression de groupes qui réclament un Conseil du statut de l’homme (ou de la condition paternelle ou, selon, l’abolition du CSF), la tenue d’une Journée internationale des hommes ou encore la nomination d’un ministre dit de la condition masculine. Le rôle de l’État dans ce contexte est de réguler les rapports sociaux entre les hommes et les femmes. L’approche sociétale sur laquelle nous reviendrons dans la partie suivante est destinée à remplir ce rôle. De même, la place centrale occupée par les stéréotypes sexuels et sexistes tant dans la première que la deuxième partie du document rend compte de l’influence de l’agenda masculiniste. Si la base conceptuelle de l’analyse des stéréotypes est présentée (p. 75), l’utilisation qu’on en fait ne tient pas compte du processus de hiérarchisation entre les hommes et les femmes, processus inhérent à la stéréotypie sexuelle. Plutôt que de renvoyer dos à dos des femmes et des hommes enfermés dans les stéréotypes, il faut voir l’effet différencié sur les unes et les autres. Pour les premières, une infériorisation sociale, pour les deuxièmes, un ensemble de bénéfices concrets dont rendent compte les statistiques sur le partage inégal des tâches, sur les inéquités salariales, etc. Ainsi, l’agenda masculiniste s’est infiltré dans le document de consultation. L’avis avance en page 41 que « le décrochage scolaire de certains garçons ou leur désintérêt face aux études, le suicide et la détresse psychologique, les frustrations vécues par les hommes qui vivent une rupture de couple, les problèmes de santé masculine sont autant de réalités qu’une société ne peut ni évacuer ni minimiser » (les caractères gras sont de nous). S’y greffe un renvoi en bas de page à ce qu’il est convenu d’appeler le « rapport Rondeau ». De ce constat découlerait pour l’État la nécessité de « fournir des services adéquats et adaptés à l’ensemble de la population ». On doit donc comprendre que ceux qui sont en place ne conviendraient pas aux hommes. Nous nous inscrivons en faux face à cette construction tronquée qui n’est pas fondée empiriquement. Elle est plutôt le résultat direct d’une stratégie masculiniste structurée et organisée en vue de discréditer le féminisme et de maintenir ou restaurer certains privilèges des hommes (3), que les masculinistes disent représenter. L’une des prétentions qui revient systématiquement est à l’effet que les hommes seraient maintenant le groupe de sexe discriminé dans notre société. Quatre situations principales sont utilisées : les écarts de réussite scolaire selon le sexe en faveur des filles, les taux de suicide plus élevés chez les hommes et les garçons que chez les filles et les femmes, les décisions des tribunaux qui, en cas de rupture d’union, accordent plus régulièrement le droit de garde au parent qui s’occupe le plus des enfants, enfin l’utilisation moindre par les hommes des services de santé. Tout récemment, ces quatre récriminations se sont retrouvées sous le même chapeau, dans le « rapport Rondeau », celui-là même que cite l’avis après avoir exposé « les réalités » des hommes. La question se pose : comment les prétentions masculinistes sont-elles devenues des « réalités » ? Les stratégies employées renseignent sur cette question. Elles sont exposées de façon explicite dans un mémoire provenant d’un de ces groupes et soumis au Ministre des finances en janvier 2004 (4). Elles prennent deux cibles : les médias et les hommes et femmes politiques (p. 4), elles utilisent deux véhicules : des mémoires présentant leurs doléances et le harcèlement par la multiplication de lettres et de courriels envoyés à répétition (5). La mise en force de ces stratégies a produit des résultats tangibles dans les médias et au gouvernement, notamment mais pas exclusivement au Ministère de la santé et des services sociaux. Depuis s’ajoute une nouvelle façon de faire destinée à gagner en crédibilité et d’autres porte-parole prennent la relève. Un nouveau site masculiniste rend compte de la diversification dans les méthodes et de leur efficacité : « […] nous sommes maintenant en 2004 et le contexte change. La condition masculine est à l’ordre du jour. Il faut donc nous adapter […] Une discussion récente avec le Dr [nom de la personne], attaché politique de [nom du ministre] du [nom du ministère] me faire (sic) croire que les choses avancent, surtout suite au dépôt du Rapport Rondeau. Qui aurait pu dire cela, il y a 5 ans à peine ? Certes une certaine conscientisation sociale était nécessaire au début, comme toutes les grandes causes, et on faisait rire de nous. Certains ont monté le ton pour mieux se faire entendre […] Que ce 2e Congrès Paroles d’Hommes, avec un thème très humaniste, ait réussi à obtenir une subvention, que moi-même ait réussi à me faire défrayer par mon Agence locale les coûts de ma présence à ce congrès sont deux autres signes que les choses évoluent. Pas juste au ministère, au niveau local aussi. Et pas juste au MSSS non plus […] » (Les caractères gras sont de nous). Et plus bas dans le même texte, à propos des premiers porte-parole masculinistes : Les ténors changent, la duplicité reste la même. Le Québec serait-il en train d’assister à la naissance d’un « masculinisme d’État » (7) ? Comme on le voit, de plus en plus d’indices le montrent. Il serait tout à fait paradoxal que cette commission parlementaire transforme le CSF et le SCF en une nouvelle porte d’entrée de l’agenda antiféministe. 2 - Des hommes dans le mouvement des femmes : en appui et en retrait Par le biais de l’approche sociétale, l’avis propose la participation des hommes au mouvement des femmes, incluant dans ses composantes étatiques. Pour ce faire, il présente deux constats opposés : d’une part, la non-participation passée des hommes aux efforts en vue de l’égalité, d’autre part la mise « en évidence [de] l’important rôle que peuvent jouer les hommes et les garçons dans l’instauration de l’égalité des sexes » (p. 39). Il est un peu ironique que l’un des exemples utilisé soit celui de Kaufman alors que « au Canada, l’organisation proféministe "Campagne du ruban blanc" a recueilli à ses débuts plus de $ 400 000 pour la violence contre les femmes en promettant de remettre la moitié de ses "surplus" à des groupes féministes ; les femmes n’ont "pas reçu un sou" (Spark 1994) » (Dufresne, 1998 : 133). La même personne a fait partie de la délégation à l’ONU qui a réussi à vendre l’idée de financement de groupes d’hommes pour le « bien » des femmes. Au-delà de ce dérapage commun aux proféministes qui autonomisent leurs pratiques par rapport à celles des féministes, se pose à notre avis la question de la perméabilité des hommes au discours masculiniste. Parce que leurs bénéfices en tant qu’hommes sont défendus, ils deviennent facilement réceptifs à l’un ou l’autre des aspects de ce discours et s’approprient rapidement les constructions masculinistes de la réalité. Regardons quelques manifestations déjà existantes de la participation des hommes au mouvement des femmes. Un survol rapide du contenu de la Gazette des femmes de ces dernières années révèle de multiples collaborations avec des hommes dans des dossiers très divers, incluant un numéro portant sur « Les hommes mis à nu » (vol. 20, no 3, sept.-oct. 98). Excellent, mais pas suffisant ? Les hommes et certaines de leurs préoccupations n’ont jamais été exclus, sans pour autant que ceux-ci fassent partie des structures étatiques. Nous en voulons pour preuve le nombre de fois où la question des performances scolaires des garçons a été abordée dans cette même revue depuis deux ans. À quoi contribuerait l’ajout d’hommes au Conseil projeté, fussent-ils minoritaires ? L’impact le plus prévisible réside dans la disparition probable de l’approche spécifique ou sa dilution en problématiques généralistes (entendre masculinistes). Au lieu de complémentarité des approches, il faut prévoir une opposition entre elles. Les hommes deviendraient « sujets, acteurs et concepteurs de politiques et d’actions » (p. 45) selon l’approche sociétale, invalidant par le fait même les pratiques et les savoirs féministes élaborés au fil des ans. Très concrètement, combien sont-ils à participer aux colloques, cours ou conférences qui les invitent à partager les nouvelles connaissances produites par les analyses féministes ? Qui, du côté des hommes, a demandé une participation au CSF, sinon les masculinistes eux-mêmes ? Pour mieux discerner certains enjeux quant à la contribution éventuelle d’hommes au droit des femmes à l’égalité, peut-être serait-il opportun de rappeler la distinction sur le plan analytique entre, d’une part, le mouvement des femmes comme mouvement structuré, et d’autre part, la présence de ce mouvement dans la société québécoise. On s’entend généralement pour dire que le mouvement des femmes au Québec comporte trois volets : a) ce qu’il est convenu d’appeler les groupes de base, tels la Fédération des femmes du Québec ou le groupe Salvya (un regroupement de jeunes féministes à l’Université Laval) ; b) les intellectuelles, avec des chercheuses surtout dans les universités québécoises, et enfin, c) les féministes d’État que l’on retrouve entre autres dans des organismes comme le CSF et le SCF. Par ailleurs, certaines analyses ou enquêtes permettent de vérifier par exemple le degré de pénétration de pratiques égalitaires dans la population québécoise, les progressions ou les reculs. Les structures appartenant aux femmes continuent d’être essentielles pour assurer aux femmes le droit à l’égalité. Et, faut-il le rappeler, avant d’être des instances étatiques, le Conseil et le Secrétariat sont d’abord le résultat des revendications des femmes et des groupes de femmes dans les années 60 et 70. Ce sont des acquis du mouvement des femmes et ils leur appartiennent. Des hommes peuvent être mis à contribution pour progresser vers le droit des femmes à l’égalité. Ils peuvent le faire dans la composante sociétale du mouvement des femmes plutôt que dans les structures que les femmes se sont données. Par exemple, en se dissociant et en dénonçant les masculinistes qui continuent à prétendre parler en leur nom, en partageant véritablement le soin des enfants et celui des parents âgés, les tâches domestiques et le suivi scolaire, en remettant en question les processus de hiérarchisation des hommes entre eux. Ce type de démarche, en appui au mouvement des femmes mais en retrait de celui-ci, pourrait constituer une contribution. Être en retrait, voilà peut-être la position que les hommes ont le plus de difficultés à accepter, parce que la plus inhabituelle. Être en retrait signifie refuser, comme homme, de définir les discriminations que vivent les femmes en tant que femmes. Mais souhaiter que les hommes et leurs problématiques intègrent les structures que les femmes se sont gagnées, ce serait se faire complice d’une véritable confiscation ! 3 - Des inquiétudes qui demeurent Le projet de « nouveau contrat social » suscite bon nombre de questionnements parmi lesquels l’identité des « contractants » n’est pas le moindre. Dans la perspective d’une alliance, ces derniers devraient non seulement s’entendre sur des objectifs d’intérêt commun, mais ils devraient s’assurer de plus que leurs intérêts propres ne viennent pas effacer ceux qui les réuniraient. Or, dans la dynamique des rapports sociaux de sexe et des inégalités qui l’accompagnent, il n’est pas possible d’imaginer par quelle soudaine poussée d’altruisme les hommes accepteraient tout à coup de renoncer à leurs privilèges concrets. 3.1 - L’abolition du CSF et du SCF Un enjeu que nous voulons signaler et qui demeure en suspens après la publication de l’avis reste l’existence même du CSF et du SCF qui est remise en question. Le document rappelle à cet effet que : L’inquiétude sur le sort réservé au CSF et au SCF est nourrie quelques pages plus loin par la proposition suivante, située dans le cadre de l’axe d’intervention visant à « partager la responsabilité en matière d’égalité avec les parlementaires et les acteurs sociaux » : Suivant cette proposition, il y aurait vote d’une loi constitutive. Doit-on présumer dès lors que celle qui a créé le CSF serait abrogée ? Doit-on comprendre dès maintenant que le CSF et le SCF, de même que leurs mandats respectifs, seront fusionnés en un seul « organisme voué à l’égalité » et qui, de surcroît, s’occuperait « de la situation des femmes et des hommes » ? Si on suit cette même logique, le rapport sera-t-il soumis à la ministre responsable, ou, suivant l’évolution des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, à un ministre responsable ? Il semble opportun de rappeler ici que plusieurs centaines d’hommes de tous horizons ont signé une pétition demandant le maintien des deux organismes, de leur financement et de leur vocation (voir le texte à l’annexe 1). De même, plus de cinq mille femmes ont aussi revendiqué la nomination d’une ministre en titre de la condition féminine, avec un engagement explicite envers le droit des femmes à l’égalité (voir le texte à l’annexe 2). Bref, l’élaboration d’une nouvelle politique en vue de l’égalité entre les hommes et les femmes se fait dans un vague total quant aux organismes chargés de la mise en application de cette politique. Même la façon de les nommer reste en suspens, comme si un engagement explicite envers le droit des femmes à l’égalité posait problème ! 3.2 - La déresponsabilisation des hommes Le processus de déresponsabilisation des hommes fournit des explications à leurs pratiques qui seraient situées en dehors d’eux ; leur statut passant à celui de victimes plutôt que d’acteurs bénéficiaires des rapports sociaux de sexe. Ainsi lit-on en page 41 que « L’État a un rôle à jouer dans la détermination de ce qui fait obstacle à l’engagement des hommes [dans la construction de l’égalité] », comme si les hommes eux-mêmes ne choisissaient pas volontairement et sciemment de ne pas s’y engager parce qu’ils trouvent leur compte dans une organisation sociale qui les avantage. Plus loin dans le document, les hommes deviennent victimes de leur socialisation qui, malgré eux, « les conduit à une triple dissociation » (p. 120). En ce qui a trait à la non-participation des pères à l’éducation et aux soins des enfants, la faute reviendrait aux employeurs (p. 43). De même en est-il de la non-utilisation des congés parentaux, pourtant déjà accessibles aux hommes, et qu’ils choisissent de ne pas prendre, ou encore de leur recours à la violence « pour masquer leur sentiment d’impuissance et leur détresse » (p. 120) ! 3.3 - La symétrisation La symétrisation rend semblables des éléments qui ne le sont pas, ignorant par le fait même les inégalités entre les hommes et les femmes. Pour ne prendre qu’un exemple, une volonté d’intervenir autant pour les garçons que pour les filles dans la désexisation des choix d’orientation (p. 26) produit cet effet de symétrisation. On induit en effet qu’il s’agit là d’une même problématique. Dans le cas des filles, il s’agit d’un processus social d’exclusion dont les racines plongent plusieurs années en arrière et contre lesquels les femmes ont dû se battre et doivent le faire encore aujourd’hui pour en arriver à avoir accès à un spectre plus large de possibilités. Dans le cas des garçons, il s’agit plutôt d’un phénomène d’auto-exclusion, c’est-à-dire que ceux-ci refusent de se diriger vers des emplois ou des professions moins valorisées socialement, souvent d’ailleurs à cause d’une présence plus importante de femmes. Les « inciter » à le faire, comme on le propose (p. 43), aura-t-il un quelconque impact ? Un doute sérieux est permis. Une symétrisation se laisse voir également quand on présente les hommes comme victimes de la violence envers les femmes (p. 26) ou comme victimes des stéréotypes. 3.4 - La place des jeunes femmes Bien évidemment, il ne nous appartient pas de faire des représentations aux membres de la Commission en ce qui concerne les jeunes femmes. Nous remarquons cependant le peu de place qui leur est faite dans le projet de politique, et notamment à toutes celles d’entre elles qui s’identifient aux luttes féministes. Pourtant, les motifs invoqués pour remettre en question les stratégies gouvernementales en matière de condition féminine reposent en partie sur les épaules des jeunes femmes et elles servent en quelque sorte d’alibi. Qui plus est, dans la foulée de ce qui a été dit au point précédent, l’avis accorde beaucoup plus de place aux jeunes hommes et aux difficultés qu’on leur associe. Un modèle de ce que serait « l’égalité entre les femmes et les hommes » ? 3.5 - L’égalité de droits Suivant l’avis, l’égalité de droits serait chose faite pour les Québécoises. Bien que répétée en de multiples occasions, l’assertion laisse sceptique car elle laisse supposer que les interventions féministes en ce domaine ne seraient plus nécessaires. Est-ce bien le cas ? « Quoi que les femmes demandent au droit, elles se repentiront d’y avoir recouru. Il ne travaille jamais à leur avantage », témoigne la criminologue Marie-Andrée Bertrand . Certaines situations précises commandent un redressement des inégalités. Par exemple, le Code criminel prévoit une définition de ce que constitue la propagande haineuse et précise un certain nombre de groupes sociaux qui en sont protégés. Tout dernièrement, l’article en question a été amendé pour y faire ajouter spécifiquement les personnes homosexuelles. Or, les femmes, comme groupe social, n’y sont pas nommées. C’est donc dire qu’elles sont susceptibles d’être la cible de propagande haineuse sans outil légal adéquat pour se défendre. Dans la conjoncture actuelle où les masculinistes ne reculent devant aucune bassesse pour arriver à leurs fins, une véritable égalité de droits n’exigerait-elle pas des modifications à la loi, comme on l’a fait dans le passé pour la discrimination en cas de grossesse ou pour le harcèlement ? Maintenant un cas de figure : si une loi dûment votée enlève un droit à un groupe particulier et que ce même groupe est composé de femmes dans une proportion qui dépasse les 90%, ne faut-il pas y reconnaître une discrimination qui institue une inégalité de droit ? Au Québec, c’est pourtant précisément la situation actuelle des travailleuses en garderies à qui on refuse le droit à la syndicalisation. C’est dans ce sens que la juge Claire L’Heureux-Dubé, voit « la nécessité de réexaminer les doctrines [juridiques] existantes en tenant compte de notre compréhension nouvelle, sensible au contexte, de l’égalité » (10). Les débats doivent-ils être clos sur les préjudices légaux que subissent les femmes en tant que femmes ? Nous ne le croyons pas. 3.6 - Un quatrième levier, ou l’approche mondialisée À bon droit, l’avis souligne en différentes occasions le leadership du féminisme québécois et son rayonnement hors de nos frontières. Sur cette base, la « stratégie gouvernementale repensée et élargie » (p. 33 et suivantes) aurait pu choisir un autre levier, soit une approche mondialisée. En effet, plutôt que d’emprunter une approche développée dans des contextes où les droits des femmes à l’égalité sont souvent embryonnaires (nous faisons référence ici à l’Approche intégrée de l’Égalité (AIÉ), risquant ainsi de provoquer au Québec des reculs majeurs (11), pourquoi ne pas avoir inversé la perspective et proposé la diffusion du « modèle québécois » de féminisme à l’étranger. Cette approche mondialisée aurait pu se structurer notamment à partir des expériences de la marche du Pain et des roses, de la Marche des femmes pour contrer la pauvreté et la violence, de la Marche mondiale des femmes 2005, des réflexions et des actions de la Fédération des femmes du Québec, de celles des Femmes autochtones du Québec, des groupes lesbiens, des jeunes féministes, etc., et miser sur « un mouvement dynamique et diversifié, regroupant des personnes actives dans le milieu communautaire, dans les syndicats et les universités, dans l’administration publique et le monde politique, réparties sur l’ensemble du territoire » (p. 16) (12). Elle serait l’occasion de consolider les liens entre d’une part, le mouvement des femmes et certaines instances gouvernementales québécoisesnettementengagées,et d’autre part, les femmes et les groupes de femmes partout dans le monde. Une approche mondialiséeaurait permisdemieuxs’outiller comme société devant les défis que pose l’égalité, incluant bien sûr face à la montée des intégrismes religieux et de l’antiféminisme. La présentation de l’Approche intégrée de l’égalité (AIÉ) permet à la fois de situer les efforts consentis jusqu’ici au Québec dans la promotion du droit des femmes à l’égalité, et à la fois de connaître certaines initiatives prises à l’échelle gouvernementale dans divers pays - souvent très récemment - et au Conseil de l’Europe, en vue de l’égalité entre les femmes et les hommes. En faisant une adéquation trop rapide entre l’ADS et l’AIÉ (p. 38), l’avis fait l’économie d’une réflexion plus poussée sur une contribution québécoise spécifique au mouvement des femmes sur le plan international. Recommandations : 1- Procéder dans les meilleurs délais à la nomination d’une ministre en titre à la condition féminine. Bibliographie BERTRAND, Marie-Andrée (2004), « Nouvel arrivage », Gazette des femmes, vol 25, no 6, p. 12-13. Des hommes disent Non à l’abolition du Conseil du statut de la femme ! Madame Michelle Courchesne Madame, En tant qu’hommes engagés dans la promotion de l’égalité et de la justice sociale, nous tenons à vous faire part de notre vive inquiétude devant une éventuelle abolition du Conseil du statut de la femme et du Secrétariat à la condition féminine, ou encore une dilution de leurs rôles respectifs dans une approche dite intégrée où la symétrisation des conditions féminine et masculine conduit à un cul-de-sac. Nous voulons que le Conseil et le Secrétariat poursuivent chacun sa mission de vigile face au sexisme et de promotion des droits des femmes à l’égalité. Votre gouvernement se doit de respecter la loi, plus précisément celle qui a créé le Conseil du statut de la femme et qui lui a confié la tâche de lutter contre les injustices que continuent à vivre les femmes en tant que femmes. Aucun autre organisme ne pourrait remplacer le CSF et le Secrétariat. Chacune à sa façon, que ce soit auprès de gouvernements successifs ou auprès de groupes et d’individuEs dans toutes les régions du Québec, ces instances ont réussi à stimuler et à éclairer des débats de société importants. Elles ont canalisé des énergies vitales et su mettre de l’avant des propositions concrètes, contribuant ainsi à construire graduellement une société plus démocratique, plus inclusive et un peu plus égalitaire entre les hommes et les femmes. Hommes et femmes ont profité de leur travail de longue haleine en vue de l’émancipation des rôles et stéréotypes traditionnels. Au plan international, le Québec fait l’envie de plusieurs sociétés. L’avant-garde de la pensée et des analyses portant sur les rapports entre les hommes et les femmes, leur rayonnement dans les autres communautés, les liens privilégiés entre les « groupes de la base », les milieux intellectuels et les instances décisionnelles ont construit graduellement cette position québécoise avantageuse. Sans s’y réduire, celle-ci a été possible à cause de contributions comme celles du Conseil et du Secrétariat. Comme société en plein cœur de la modernité, ne serait-il pas souhaitable de miser sur nos points forts pour avancer davantage, plutôt que de se déresponsabiliser délibérément ? Dans la présente conjoncture occidentale de remise en question de plusieurs avancées en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, la présence et la pratique de ces deux organismes prennent une importance et une signification renouvelées. Les dangers de recul sont bien suffisamment réels, les inégalités bien suffisamment persistantes, sans que le Québec se prive de ces outils d’avancement essentiels. La nécessité de leurs contributions n’a jamais été aussi grande alors que la montée de la droite, fût-elle néo-libérale, fondamentaliste ou masculiniste, cible particulièrement les femmes et que s’accroissent leurs besoins. Se priver de ces apports serait se diminuer comme société. Ce serait surtout appauvrir injustement, dans une politique à courte vue, les générations de garçons et de filles qui nous suivent. Il serait particulièrement désolant de laisser entendre que tout progrès des garçons et des hommes appelle une mise au rancart des outils de promotion des droits de celles qui nous ont toujours invités à partager leur lutte pour l’égalité. Nous sommes déterminés à préserver l’existence, le financement et la vocation de ces organismes. Appel pour le maintien du Conseil du statut de la femme et Le gouvernement Charest a adopté à toute vapeur en décembre dernier des lois qui mettent en péril les acquis des femmes, fruits de décennies de luttes et de travail acharné. Par surcroît, des rumeurs persistantes indiquent l’intention du gouvernement de démanteler le CSF et d’abolir définitivement le Secrétariat à la condition féminine. De plus, on veut éliminer au sein des ministères les comités de condition féminine dont le rôle est de s’assurer que l’élaboration des programmes tient compte de la participation et des besoins des femmes. Bref, les femmes sont clairement la cible du gouvernement Charest qui cherche à faire des économies à leurs dépens. Comment expliquer autrement cette volonté de détruire des organismes qui ont fait leurs preuves ? Dans un tel contexte, nous croyons que le Conseil du statut de la femme et le Secrétariat à la condition féminine sont plus que jamais nécessaires pour empêcher des reculs qui seraient lourds de conséquences pour les femmes du Québec. Le CSF a joué un rôle majeur dans l’avancement de la société québécoise. Il a été créé pour contribuer à redresser une situation d’inégalité quant aux droits des femmes. Par ses avis éclairés aux instances gouvernementales, sa contribution aux débats de société, son apport au plan de la recherche, son soutien aux groupes locaux, le rôle joué par la Gazette des femmes comme outil d’information et de sensibilisation, le CSF a été à l’avant-garde. La situation s’est améliorée grâce aux actions du Conseil du statut de la femme, la population s’est éveillée à la nécessité d’intégrer davantage la contribution des femmes dans tous les domaines, mais l’égalité n’est pas encore chose faite. Elle est une conquête de longue haleine. Le mandat et les structures actuels du CSF doivent être maintenus, d’autant plus que l’organisme est bien ancré dans le mouvement des femmes et que ses structures régionales sont une réussite sous bien des aspects. Étant donné le retard de la société et de l’État québécois à reconnaître dans les faits l’égalité des droits, nous croyons également qu’un véritable ministère de la Condition féminine doté de budgets appropriés contribuerait à redresser la situation. Nous demandons donc au gouvernement du Québec : – N’hésitez pas à utiliser la fonction Version à imprimer pour copier ce document ou téléchargez ce dernier pour votre usage personnel en cliquant sur l’icône si-dessous. Vos commentaires sont aussi appréciés. – DROITS RÉSERVÉS. Il faut l’autorisation des auteurs pour reproduire ce document ou le présenter sous tout format que ce soit sur un autre site ou dans un autre média. Mis en ligne sur Sisyphe le 22 janvier 2005. – On peut consulter « Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes » sur le site du CSF et lire mon commentaire sur cet Avis.
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