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dimanche 20 mars 2005

Grève étudiante ou choc des générations ?

par Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval






Écrits d'Élaine Audet



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Au point où nous en sommes, les enjeux dans la grève étudiante semblent vouloir s’élargir et rejoindre l’ensemble de la population québécoise. Elle se dirige ni plus ni moins vers une remise en question de la légitimité du gouvernement en place. À bon droit, le mouvement étudiant refuse de se sacrifier comme génération et, à tort, ce gouvernement choisit, cette fois, de se braquer devant un groupe de jeunes qu’il juge plus bruyant que résolu.

Une question de crédibilité

La population est appelée à choisir entre d’une part, les affirmations de Yves Séguin, alors ministre des Finances du Québec qui, bien que tardivement, a reconnu qu’il était possible de trouver 103 millions dans les coffres de l’État, et d’autre part, celle de Jean-Marc Fournier qui a tenté de manipuler les représentant-es étudiants dès la rencontre de mardi soir dernier et qui n’a pas respecté ses engagements envers eux et elles. De même quant à la nature des « offres ». Il a tenté de les flouer en n’offrant que 29 millions alors qu’il savait qu’il pouvait aller au moins jusqu’à 41,5 millions, ce qu’il s’est empressé de faire le lendemain matin prétextant que les calculs n’étaient pas terminés. Soit qu’il ne dit pas la vérité, soit qu’il manquait - encore une fois - de préparation pour rencontrer les délégations étudiantes. Le caucus par contre avait bien reçu la consigne : soyez surpris que les étudiant-es refusent !

Autre élément que Fournier a presque réussi à passer sous silence, c’est le fait que la mise au rancart du programme de remboursement proportionnel au revenu (RPR), si savamment monté par son prédécesseur, lui fait économiser 22 millions. Sa véritable offre, en argent neuf, n’était donc que de 7 millions mardi soir, 19,5 mercredi matin. Et en ne remboursant les prêts que de ceux et celles qui réussissent dans les délais prescrits, le ministre fait le pari que la facture finale ne représentera en réalité qu’une fraction de ce montant (environ 70% avec les taux de diplomation actuels, en deça de 50% chez les diplômé-es dits à l’heure). Quant aux 95,5 millions allégués, il faudra attendre 5 ans ... une éternité en politique ! Demandez à Pierre Reid.

Il y a lieu de rappeler par ailleurs que pour une large part de la population étudiante en bénéficiant, le régime des prêts et bourses ne suffit pas à lui seul à subvenir aux besoins. Sans compter le fait que les étudiantes et les étudiants sont présumé-es gagner un salaire d’été, ce qui n’est pas toujours le cas, et d’autre part le régime comptabilise aussi pour nombre d’entre eux et d’entre elles une contribution parentale, que celle-ci soit réelle ou pas. Au départ, le régime sous-estime donc de façon systématique les besoins étudiants, et le bassin de ceux et celles qui manquent de l’essentiel est beaucoup plus large que ne laissent entendre les chiffres officiels. Cette précarité pousse vers l’obligation de concilier travail et études - et famille dans certains cas-, ce qui risque de retarder d’autant la diplomation. Bref, les plus démuni-es parmi la population étudiante fait plus de 100% de ceux et celles qui bénéficient du maximum des prêts et bourses, alors que Fournier entend n’en aider que 35%.

Le machisme politique

Je me permets de reprendre cette formule employée par Michel C. Auger pour en prolonger le sens, alors que celui-ci la restreint à la fermeté inutile du gouvernement Charest. Il faut rappeler que la population étudiante des cégeps et des universités est maintenant composée de femmes dans une proportion dépassant les 60%. Et c’est d’abord à elles que Fournier s’adresse quand il choisit de passer par-dessus le tête des représentant-es élu-es, incluant au demeurant ceux et celles de la CASSÉE, pour parler directement aux « étudiants ». Le message publié dans les quotidiens dit en effet que « le gouvernement du Québec propose aux étudiants ... » Si on comprend qu’il ne s’adresse pas qu’à 40% (de 35%) de la population étudiante, on comprend aussi qu’à l’image de son chef, Fournier continue volontairement à invisibiliser les femmes.

Toujours est-il que cette caractéristique de la population étudiante que l’on ne retrouvait pas dans les années 70 change profondément la dynamique de la présente grève. Ce sont les femmes étudiantes qui sont les plus endettées, notamment parce qu’elles font beaucoup moins d’heures de travail rémunéré. Ce sont d’abord les femmes pour qui l’éducation et la diplomation constituent un enjeu central en ce qu’il leur donne accès à l’autonomie et à l’indépendance financière. Ce sont d’abord elles qui, encore de nos jours, souhaitent garder ouverte la possibilité de fonder une famille. Voilà ce que Fournier attaque, voilà pourquoi la résistance sera farouche.

Deuxième raison qui milite dans le même sens : l’implication étudiante large. Comme plusieurs, j’ai été surpris de voir certaines facultés, certains départements, certains collèges se mettre en grève. Les exemples de médecine, de droit, de dentisterie ont été abondamment cités. Au-delà de la provenance disciplinaire, notre étonnement tient aussi au fait que les étudiants et les étudiantes sont sorti-es par solidarité - par sororité- incluant ceux et celles qui ne « profitent » pas du régime de prêts et bourses. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas de profiter d’une journée ou deux de plaisir, l’enjeu se situe dans le partage à parts égales, riches et pauvres, hommes et femmes, des risques et des défis d’un avenir à construire. L’enjeu vaut plusieurs semaines dans les rues ... et incite à ne pas confondre progressisme et indécence.

Les gars aux études

Il est maintenant bien établi dans la communauté scientifique que les garçons sont touchés plus fortement que les filles par les facteurs de risque associés à l’abandon des études. Pour ne citer qu’un exemple, une étude faite il y a quelques années au Lac St-Jean a montré que plus les jeunes demeurent loin de l’université, plus grands sont les risques qu’ils ne poursuivent pas leurs études après le cégep. La mesure du phénomène montre que ce facteur est plus agissant chez les garçons que chez les filles. Il en est de même pour un ensemble large de variables, incluant l’origine sociale qui reste le premier facteur relié au décrochage scolaire. Si on combine ce fait avec les statistiques qui montrent que dans les régions, à la fois « éloignées » et « défavorisées », ce sont de 60 à 70% des jeunes qui sont dans l’obligation de recourir au régime de prêts et bourses, on arrive à la probabilité que les coupures faites par le gouvernement Charest auront des effets néfastes plus grands en région et qu’elles toucheront plus les garçons que les filles.

Il est un peu alarmant de constater que les effets des coupures faites par ce gouvernement iront directement à l’encontre des objectifs visés par le programme d’intervention en milieu défavorisé Agir autrement (125 millions sur 5 ans) du ministère de l’Éducation, de même en ce qui a trait aux 60 millions que ce même ministère vient de débloquer il y a quelques semaines pour s’occuper des garçons en difficulté. Toute une contradiction ! Le ministre pourrait-il consulter certains de ses fonctionnaires le plus rapidement possible ? Quelqu’un pourrait-il de toute urgence lui faire un compte rendu de l’avis du Conseil supérieur de l’éducation Pour une meilleure réussite scolaire des garçons et des filles ?

Fournier affirme haut et fort qu’il a dit son dernier mot et que les coupures réaménagées prendront effet en juin prochain. Il est impensable que le mouvement étudiant sacrifie sa propre génération. Compte tenu de l’état de sa crédibilité et de celle de son chef, compte tenu du machisme politique dont il fait preuve, compte tenu des risques inutiles qu’il fait courir aux étudiant-es, des élections générales anticipées me semblent une solution tout à fait appropriée pour résoudre l’affrontement en cours. Enfin, l’éducation et la place qu’elle devrait occuper dans notre projet social pourraient faire l’objet d’un réel débat de société.

Chiche !

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 mars 2005.

Lire dans le même dossier

 Pour envoyer au premier ministre Jean Charest une lettre d’appui aux étudiant-es, vous rendre sur le site de la FEUQ.
 Qui est le plus violent : le mouvement étudiant ou le gouvernement ? par Micheline Carrier
 Revendications des mères étudiantes et des ménages étudiants du Québec, par la MÉMEQ
 Louis Mathieu Gagné Les Québécois contre le dégel, Le Journal de Montréal, 25 novembre 2007.



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Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval

Jean-Claude St-Amant est professionnel de recherche à l’Université Laval depuis 1992, rattaché au Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) ainsi qu’à la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes. Historien de formation, il a été professeur-chercheur pendant une dizaine d’années avant de se consacrer entièrement à la recherche. Intéressé par le rôle de l’éducation dans la réduction des inégalités, ses travaux récents ont porté sur la réussite scolaire en milieu autochtone, sur les dynamiques scolaires dans les familles de milieu populaire et sur les écarts de réussite entre garçons et filles.

Il prépare maintenant une enquête sur les difficultés scolaires selon le sexe vues par le personnel scolaire québécois.



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  • La grève des étudiants : deux écoles s’affrontent
    (1/1) 29 mars 2005 , par





  • La grève des étudiants : deux écoles s’affrontent
    29 mars 2005 , par   [retour au début des forums]

    Depuis un mois les étudiants sont en grève. Cette action fait suite à un an de manifestations contre le transfert de 103 millions de bourses en prêts. Quelle belle mobilisation ! 170 000 étudiantes et étudiants en grève. 80 000 étudiants et étudiantes (100 000 selon les organisateurs) dans les rues de Montréal le 16 mars dernier ! Cette lutte sans précédent dans le mouvement étudiant est un exemple de détermination, de persévérance et de solidarité. Toute une école ! Malgré la rigidité du gouvernement et les menaces de report de la session à l’automne, les étudiants continuent leur lutte. Les mesures du gouvernement ne touchent qu’une partie d’entre eux. Malgré cela, le mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur.

    Le gouvernement justifie le transfert des bourses en prêts par la situation des finances publiques mais il se soumet au gouvernement fédéral qui refuse de reconnaître le déséquilibre fiscal : l’argent est à Ottawa et les dépenses dans les provinces. Il se soumet aux entreprises qui demandent des baisses d’impôt. Le ministre Fournier refuse de discuter sous prétexte qu’il attend une contre-proposition de la part des étudiants. Mais quelle contre-proposition ? Ce ne sont pas les étudiants qui sont en demande, c’est le gouvernement. Les étudiants ne peuvent faire de concession ou de contre-proposition sans réduire l’accessibilité aux études supérieures de certains d’entre eux, en particulier ceux et celles des régions éloignées des grands centres. Socialement le prix est trop élevé.

    Les positions des deux parties se durcissent. C’est une question de rapport de force. Le mouvement étudiant ne manifeste aucun signe d’essoufflement. Au contraire il appelle toute la population à une manifestation le 30 mars. À nous de choisir notre camp : celui de la soumission ou celui de la solidarité, de la détermination et de la ténacité.

    Isabelle Lamarche, enseignante


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