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dimanche 12 juin 2005


Prostitution
Pour une politique abolitionniste canadienne

par Richard Poulin, sociologue






Écrits d'Élaine Audet



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Le sous-comité de l’examen des lois sur le racolage va déposer son rapport sous peu en recommandant au gouvernement des réformes législatives. L’auteur a présenté un mémoire au sous-comité et a participé, le 30 mai, à une table ronde sur les aspects législatifs à privilégier. Voici la position qu’il y a exposée.

Introduction

Le 30 mai dernier, je participais à une table ronde organisée par le sous-comité de l’examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la Justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile. Comme les autres participant-es, je devais répondre à deux questions mises en débat : 1) « Quelle approche législative le gouvernement fédéral devrait-il adopter pour gérer les activités liées à la prostitution (prohibitionnisme, criminalisation, décriminalisation, néo-abolitionnisme ou légalisation) » ? 2) « [...] Les modifications législatives apportées doivent aller de pair avec la mise en oeuvre de programmes sociaux et éducatifs qui s’attaquent aux problèmes sous-jacents de la prostitution. Quelles sont les initiatives à envisager selon vous en cette matière » ? Chacun-e des participant-es devait élaborer ses réponses en cinq pages.

Sachant que trois des quatre député-es membres du sous-comité privilégiaient la décriminalisation de la prostitution et que la grande majorité des invité-es à la table ronde était de cet avis (pour 6 invité-es favorables à la décriminalisation de l’industrie de la prostitution, il n’y avait que 3 abolitionnistes sur 11 invité-es), j’ai donc opté pour mettre les député-es devant le fait que le Canada était partie prenante de Conventions internationales via lesquelles il s’était engagé à réprimer, sous toutes leurs formes, la traite des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes et des enfants. J’ai donc proposé, en conformité avec lesdites conventions, que le Canada adhère à la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (Convention de 1949 ou Convention abolitionniste) et qu’il ne décriminalise pas l’industrie de la prostitution.

Mon opposition à la décriminalisation de l’industrie de la prostitution, notamment à la dépénalisation du proxénétisme, résulte, entre autres, d’une analyse des effets de cette politique. Les expériences à l’étranger, notamment aux Pays-Bas, en Allemagne, en Grèce et en Australie, montrent que l’officialisation institutionnelle des marchés du sexe renforce les activités de l’organisation proxénète et du crime organisé. Cette consolidation, accompagnée d’un accroissement important des activités prostitutionnelles et de la traite, entraîne une dégradation non seulement de la condition générale des femmes et des enfants, mais aussi, en particulier, celle des personnes prostituées et des victimes de la traite à des fins de prostitution. Ces dernières sont généralement criminalisées en tant qu’immigrantes clandestines, si elles ne sont pas victimes d’une traite légale grâce à des visas de travail temporaires, et expulsées dans leur pays à l’échéance du visa, à moins qu’elles n’entrent dans la clandestinité, ce qui est souvent le cas, puisque l’industrie du sexe a intérêt à pérenniser leur exploitation.

L’expérience canadienne confirme, à son niveau, cette analyse. Au Canada, la libéralisation de la danse nue a eu pour effet de faire baisser les revenus des danseuses. Particulièrement avec l’apparition de la « danse contact » ou « lap-dance », de salariée, la danseuse nue est devenue une « travailleuse autonome », et par conséquent, elle paie maintenant pour danser dans les bars. Certaines perdent de l’argent. Les propriétaires, qui ne donnent plus de salaire aux danseuses, acceptent autant de danseuses qu’ils le peuvent. Depuis la légalisation de la « danse contact », c’est-à-dire le droit du client de tripoter la danseuse dans des isoloirs, de moins en moins de citoyennes canadiennes acceptent d’exercer la danse nue, d’où cette traite de danseuses « exotiques » étrangères, les propriétaires de bar ayant réussi à démontrer à Immigration Canada que ce « secteur » connaissait une « pénurie » de main-d’oeuvre.

Ce n’est pas tant à une pénurie que nous assistons mais à une surexploitation, puisque nombre de bars acceptent 30, 40 et même plus de danseuses « sur le plancher ». Si les propriétaires devaient donner un salaire, ils limiteraient le nombre de danseuses à 5 ou 6, ou tout au plus à une douzaine. Évidemment, la concurrence entre les danseuses est exacerbée, les revenus sont moins intéressants, à moins d’accepter de faire vraiment « plaisir » aux clients… Ce qui a pour conséquence que la danse nue se confond de plus en plus avec la prostitution. Non seulement les revenus ont baissé, mais les conditions générales d’exercice de la danse nue se sont dégradées : les danseuses reviennent chez elles avec des « bleus » sur tout le corps, de trop nombreux clients aimant les tripoter avec force.

Après plus de 30 ans de régime légal, nous attendons toujours le premier syndicat de danseuses nues. Difficile de créer une solidarité dans un milieu où c’est la capacité de se distinguer des autres qui permet d’attirer le client ! Les défenseurs de la perspective favorable à la décriminalisation des industries du sexe argumentent qu’une telle politique permettra de rendre plus sécuritaires les conditions de l’exercice de la « profession ». C’est l’inverse qui s’est produit dans la danse nue et c’est également l’inverse qui s’est produit dans les pays qui ont légalisé l’industrie de la prostitution. Cette vision n’est tout simplement qu’un miroir aux alouettes et ne reflète que les intérêts d’une infime minorité de « travailleuses du sexe ». C’est cette minorité que représentent des organismes comme Stella.

Lorsque j’ai fait part de cette analyse de l’évolution de la danse nue à la table ronde du sous-comité, la seule réplique d’une invitée pro-prostitution fut de dire que le problème était dû au fait que les propriétaires de bar n’avaient pas un vrai statut d’employeurs. Une fois ce statut accordé, tout irait pour le mieux ! Comme si ces propriétaires n’engageaient pas des serveurs, des disc-jockeys, des « gorilles », etc., bref, n’étaient pas déjà des employeurs…

***

Le texte que j’ai soumis au sous-comité est incomplet. Il joue sur le fait que le Canada devrait respecter ses engagements après son adhésion à différentes conventions internationales et propose certaines mesures pour implanter une politique abolitionniste au Canada. Il souligne que la lutte contre la prostitution et la traite aux fins de prostitution s’inscrit dans l’objectif plus général de lutte pour l’égalité des femmes et des hommes. Cette égalité restera inaccessible tant que les hommes achètent, vendent et exploitent des femmes et des enfants en les prostituant. De mon point de vue, l’abolitionnisme féministe représente une résistance à la marchandisation sexuelle en oeuvre avec la mondialisation néo-libérale ; il est un élément fondamental de la lutte contre le néo-libéralisme, la privatisation du vivant, la mondialisation capitaliste et le système proxénète planétaire.

Cet abolitionnisme s’oppose à la monétarisation des rapports sociaux et à la marchandisation du sexe des êtres humains. Il est la seule position philosophique, politique et juridique qui peut permettre la contestation de l’ordre marchand et sexiste tel qu’il se déploie dans l’industrie mondialisée du commerce du sexe. Il est basé sur le caractère inaliénable du corps humain. L’abolitionnisme traditionnel vise l’« abolition » des règlements sur les personnes prostituées, et non l’abolition de la prostitution, sans s’attaquer à l’une des causes de la prostitution : les clients (la demande). Il n’a pas non plus élaboré de politiques sociales permettant aux personnes prostituées d’échapper au système prostitutionnel. Cet abolitionnisme, qui fonde le système juridique de nombreux États, doit donc être repensé et réactualisé.

Ce texte se veut un élément, certes rudimentaire, dans cette nécessaire réflexion à poursuivre, notamment dans le cadre de la CLES, la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle, nouvellement fondée, sur Sisyphe et en d’autres lieux féministes. Il ne s’agit plus de se dire abolitionniste ou néo-abolitionniste, il s’agit d’élaborer concrètement une politique abolitionniste féministe et anti-capitaliste.

*****

Le Canada est un État partie de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Dans son article 6, cette Convention affirme que les États signataires doivent prendre toutes les mesures appropriées, incluant la législation, pour éliminer toutes les formes de traite des femmes et d’exploitation des femmes par la prostitution (1).

Le Canada a ratifié la Convention contre la criminalité transnationale organisée (Convention de Palerme). Cette convention établit les paramètres d’une coopération judiciaire internationale contre la criminalité transnationale organisée et crée un régime juridique international sous lequel les trafiquants sont tenus responsables de leurs crimes. Dans le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, auquel adhère le Canada, il est stipulé à l’article 2 :

« Le présent Protocole a pour objet : a) De prévenir et de combattre la traite des personnes, en accordant une attention particulière aux femmes et aux enfants ; b) De protéger et d’aider les victimes d’une telle traite en respectant pleinement leurs droits fondamentaux ; et c) De promouvoir la coopération entre les États Parties en vue d’atteindre ces objectifs ».

L’article 3 précise : « Aux fins du présent Protocole : a) L’expression "traite des personnes" désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes ; b) Le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée, telle qu’énoncée à l’alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés à l’alinéa a) a été utilisé » (2).

Le Protocole reconnaît que la plus grande part de la traite a pour finalité l’exploitation pour fin de prostitution et autres formes d’exploitation sexuelle. Le Protocole étend aussi la protection aux personnes, y compris aux enfants de moins de 18 ans, qui sont l’objet de traite pour d’autres raisons comme le travail forcé, l’esclavage et la servitude.

L’Article 9 de ce Protocole exige des États qu’ils mettent en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour empêcher la traite. Ils doivent s’efforcer d’organiser, par exemple, des campagnes dans les médias, y compris à l’étranger (notamment dans les pays d’origine des femmes et enfants victimes de la traite), et prendre des initiatives économiques et sociales.

En conformité avec la Convention de Palerme et son Protocole additionnel, le Canada ne devrait plus émettre des permis de travail temporaire sous la forme de visas d’artistes pour l’industrie de la danse nue.

Et en conformité avec la signature par le Canada de la Convention de la CEDAW et de la Convention de Palerme, le Canada doit ratifier la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (Convention de 1949).

Les principes fondamentaux de la Convention sont les suivants :

 Les personnes en situation de prostitution sont considérées comme des victimes du système prostitutionnel.
 La charge de la preuve ne peut en aucun cas être portée par les victimes.
 La Convention ne fait pas de séparation entre le proxénétisme transnational (traite) et le proxénétisme national. L’un étant aussi condamnable que l’autre, l’un étant souvent lié à l’autre.
 Des mesures de protection et de réinsertion doivent être données aux victimes. En aucun cas la protection n’est contingente à un témoignage ou à une plainte de la victime. Toutes les ressources présentes auprès des personnes prostituées (services sociaux et de santé, services policiers, devant être formés pour intervenir dans une optique d’écoute active et non de répression de criminelles), ONG, groupes charitables, regroupement de « survivantes », universitaires faisant des recherches sur ce problème, etc., doivent être mises à contribution pour créer des mécanismes efficaces de réinsertion sociale des femmes prostituées.
 Un office centralisé pour les informations doit être créé.

La signature par le Canada de la Convention de 1949 n’exigerait pas un bouleversement important des articles du Code criminel qui concernent la prostitution, car, comme pour la Convention de 1949, le Code criminel ne rend pas illégale la prostitution, mais certaines des activités reliées à la prostitution, dont le proxénétisme, la tenue d’une maison de débauche, etc. Ce qui serait bouleversé globalement, c’est la philosophie qui préside à la politique à l’égard de la prostitution et les pratiques policières et judiciaires. En outre, le pays devrait mettre en oeuvre un certain nombre de mesures pour prévenir, protéger et réinsérer professionnellement les victimes de la prostitution.

Réprimer davantage le proxénétisme

Au Canada, il est nécessaire de renforcer la répression du proxénétisme. Il faut mettre en place des politiques plus sévères pour réprimer toutes les formes de proxénétisme et pas seulement celles relatives à l’exploitation de la prostitution visible dans les lieux publics. Il faudrait former un corps policier spécial et lui donner les moyens financiers et autres de faire des enquêtes qui mènent à des emprisonnements. Les peines devraient être sévères.

Puisque le Canada est signataire de la Convention de Palerme, de la Convention de la CEDAW et de la Convention relative aux droits de l’enfant (3), ces conventions ainsi que celle de 1949 doivent servir de cadre pour réformer la loi canadienne et l’adapter aux nouvelles réalités de la mondialisation des industries du sexe. Des politiques qui s’appuient sur ces conventions, telle la criminalisation renforcée du proxénétisme, du tourisme sexuel et de la traite, peuvent freiner et combattre cette mondialisation des industries du sexe ainsi que leur croissance très importante.

En conformité avec la Convention de 1949 et en s’appuyant sur la définition des victimes de la Convention de Palerme, le Canada pourrait dépénaliser les activités des personnes prostituées, considérées comme des victimes à l’intérieur de rapports sexuels et sociaux de pouvoir et victimes d’un système largement dirigé et organisé par le crime organisé national et transnational (y compris dans les pays où la prostitution est légale). Le système de la prostitution est fondé sur l’exploitation, la violence et la domination d’un sexe sur l’autre, ce qui s’oppose aux principes d’égalité professés par le Canada au plan national et international.

Lutter contre la prostitution, source de la traite

Dans le dessein de combattre la traite des humains aux fins de prostitution, le Canada, qui est à la fois un pays de destination et de transit de cette traite, doit lutter contre la prostitution, source de la traite. À cet effet, il doit s’attaquer à la demande, c’est-à-dire aux clients (tant au niveau national qu’à l’étranger, notamment dans le cas du tourisme sexuel de ressortissants canadiens), autre cause de la prostitution, par une politique de pénalisation comme la Suède a su l’adopter. À cet égard, la Suède n’a fait qu’appliquer à sa façon l’article 9.5 du Protocole additionnelqui mentionne les hommes comme les créateurs de la demande pour des femmes prostituées. Tous les pays signataires et qui ont ratifié cette Convention doivent adopter ou renforcer la législation et les autres mesures pour décourager la demande qui nourrit toutes les formes d’exploitation des personnes, spécialement les femmes et les enfants, et qui conduit à la traite.

La Suède considère la prostitution comme l’un des aspects de la violence masculine à l’égard des femmes et des enfants. La prostitution y est officiellement reconnue comme une forme d’exploitation des femmes et des enfants et comme un problème social significatif, non seulement pour la personne prostituée, mais aussi pour la société dans sa totalité.

Bref, le Canada doit mettre à jour ses lois sur la traite à partir de ces points :

1° La première cause de la traite reste l’exploitation de la prostitution ;
2° La charge de la preuve ne doit pas peser sur les victimes ;
3° Il faut différencier la protection des victimes (contenue dans le Protocole additionnel) de la protection des témoins (contenue dans la Convention de Palerme) ;
4° Il faut décourager et combattre, y compris par des moyens législatifs, la demande qui favorise le développement de la traite et de la prostitution.

Sur la prostitution, l’approche du Canada doit tenir à 3 grands axes : 1° la dépénalisation des personnes prostituées ; 2° la pénalisation de ceux qui profitent de la prostitution d’autrui, proxénètes et clients ; 3° la prévention, la protection, la réinsertion des victimes de prostitution et de traite. L’État est responsable d’aider les femmes à sortir de la prostitution et de fournir aux femmes l’accès à des refuges, à du counseling, à l’éducation et à la formation professionnelle.

Le Gouvernement doit élaborer un programme d’action national s’appliquant à la prostitution et à la traite des êtres humains. Le programme d’action national doit comprendre :

1.Un plan national pour lutter contre la prostitution et la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants, à des fins de prostitution ou d’autres formes d’exploitation sexuelles. À ce titre, lancer, par exemple, une campagne nationale (comme celle contre le tabac ou l’alcool au volant) pour changer les mentalités et cesser de banaliser la « consommation » de prostitution par les clients.
2. Un plan national de lutte contre la traite des êtres humains pour le travail forcé, le trafic d’organes ou pour d’autres fins.
3. Puisque l’âge moyen d’entrée dans la prostitution au Canada tourne autour de 14 ans, il est urgent de mettre en place un plan d’action et d’information pour prévenir la prostitution des jeunes et faire les efforts nécessaires pour protéger et assister les victimes de la prostitution. Il faut en outre définir et mettre en oeuvre des mesures particulières pour prévenir et lutter contre la demande, c’est-à-dire les clients et les touristes sexuels. Cette demande favorise toutes les formes d’exploitation sexuelle humaine, en particulier des femmes et des enfants. Des mesures de rééducation telles que la confrontation avec des « survivantes » et la prise de conscience de la réprobation sociale qu’entraîne l’achat d’un autre être humain, assorties d’une nécessaire pénalisation, de six mois à un an par exemple (première offense à cas aggravé), pour montrer clairement que l’État canadien ne sanctionne pas la vente et l’achat du sexe des femmes et des enfants.

En réprimant l’ « achat de services sexuel », le Canada se conformerait à la Convention de 1949 et de la CEDAW. En effet, le protocole de clôture de la Convention de 1949 indique que les États parties peuvent adopter des mesures plus « rigoureuses » pour lutter contre la traite et l’exploitation de la prostitution d’autrui. En rendant visible la demande, complice des proxénètes, les législateurs refusent résolument les discriminations, les violences et les inégalités qui portent atteinte à la dignité des êtres humains.

Quelle protection pour les victimes ?

Le Canada doit reprendre les articles 6, 7 et 8 du Protocole additionnel sur la traite des personnes qui énumère précisément les mesures pour protéger les victimes (4). Ces articles s’inscrivent dans l’esprit des articles 16, 17, 18 et 19 de la Convention de 1949.

Quelques recommandations :

1. Placer la prostitution au coeur des politiques de lutte contre la violence à l’égard des femmes ;
2. Créer un Observatoire sur le système de la prostitution. Cet Observatoire pourrait être composé de représentants du ministère de la Justice, de la GRC, de gouvernements provinciaux et municipaux, de groupes de femmes qui luttent contre la violence, ainsi que de chercheurs experts. Son mandat serait d’analyser les différentes formes contemporaines de ce système, les activités et ramifications de l’industrie du sexe et son évolution rapide à l’échelle mondiale et nationale.
3. Débloquer des crédits pour protéger les victimes de la traite et de la prostitution.
4. Encourager la création et le développement des Centres pour les victimes de violences masculines, y compris pour les victimes de la prostitution et de la traite pour les protéger des proxénètes, des filières criminelles ou des auteurs de violences (notamment les clients) ou doter de ressources additionnelles et suffisantes les centres existants pour qu’ils puissent protéger également les victimes du système prostitutionnel.
5. Offrir des ressources d’accompagnement global des victimes pour leur permettre de se reconstruire et de se réinsérer dans un milieu social et professionnel.
6. Élaborer des politiques visant à prévenir l’exploitation sexuelle des femmes, notamment chez les jeunes, y compris dans certains pays sources de la traite à des fins de prostitution au Canada.
7. Mettre en place des programmes de sensibilisation sur les conséquences de la prostitution en matière de santé.

La lutte contre la prostitution et la traite aux fins de prostitution s’inscrit dans l’objectif plus général de lutte pour l’égalité des femmes et des hommes. Cette égalité restera inaccessible tant que les hommes achètent, vendent et exploitent des femmes et des enfants en les prostituant.

Notes

1. L’article 6 se lit comme suit : « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes ».
2. L’aspect le plus controversé du Protocole a porté sur la définition de la traite que l’on retrouve à l’article 3. Au cours des négociations, des pays et quelques ONG pro-prostitution plaidaient en faveur d’une définition qui limiterait la protection uniquement aux seules victimes de la traite où il y a contrainte ou utilisation de la force, et où les victimes ne consentaient pas à cette traite. Ces pays et ces ONG voulaient omettre toute mention de la traite à des fins de prostitution ou d’exploitation sexuelle et effacer le terme « victimes » du texte. Si cette définition avait été acceptée, ce qui n’a pas eu lieu, l’accent aurait été mis sur la victime et son état d’esprit, son caractère, plutôt que sur les actions des auteurs du crime. Elle aurait aussi fait porter le fardeau de la preuve sur la victime, qui devait alors prouver son non-consentement., une tâche pratiquement impossible pour des femmes et les enfants en situation de vulnérabilité, d’extrême dépendance et de subordination.
3. L’article 34 stipule que Les États parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle. A cette fin, les États prennent en particulier toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher a) Que des enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale ; b) Que des enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales ; c) Que des enfants ne soient exploités aux fins de la production de spectacles ou de matériel de caractère pornographique. L’article 35 stipule : Les États parties prennent toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit.
4. Nous retrouvons aussi, dans le Protocole, des articles qui exigent des pays qu’ils viennent en aide aux femmes et aux enfants victimes de la traite en offrant une assistance au plan social, médical et psychologique… (article 6). Ils doivent de plus pourvoir à la sécurité physique des victimes et doivent s’assurer que ces personnes sont autorisées à demeurer dans le pays d’accueil, temporairement ou de façon permanente, « s’il y a lieu » (article 7).

Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 juin 2005.

Note de l’éditrice

Votre opinion est importante.

Ce projet de réforme des lois sur la prostitution concerne toute la population. Il est donc important que le plus grand nombre possible fasse connaître son opinion au gouvernement canadien. Pour une façon de le faire, et toutes les adresses nécessaires, on peut se rendre sur cette page : « Une trentaine de personnalités demandent la décriminalisation des personnes prostituées, mais non la décriminalisation de la prostitution ».

Lire : Trois positions dans le débat sur la décriminalisation de la prostitution, par Élaine Audet



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Richard Poulin, sociologue


Sociologue, l’auteur est professeur titulaire à l’université d’Ottawa et associé à l’Institut d’études et de recherches féministes de l’UQÀM, auteur de plusieurs ouvrages sur la prostitution et la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle dont : Enfances dévastées, l’enfer de la prostitution (Ottawa, L’Interligne, 2007), Abolir la prostitution. Manifeste (éditions Sisyphe, Montréal 2006), co-auteur avec Yanick Dulong de Les meurtres en série et de masse, dynamique sociale et politique (éditions Sisyphe, 2009), La mondialisation des industries du sexe (Ottawa, L’Interligne 2004 et Paris, Imago, 2005), et il a coordonné le numéro d’Alternatives Sud, Prostitution, la mondialisation incarnée (Paris, Cetri et Syllepse, vol. XII, n° 3, 2005). Voir plus d’information sur les publications de l’auteur sur le site du Département de sociologie, Université d’Ottawa.



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