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mercredi 26 octobre 2005 Gunilla Ekberg : « Le mieux que nous puissions faire pour nos soeurs prostituées, c’est de les aider à en sortir. » Témoignage devant le sous-comité parlementaire canadien pour la réforme des lois sur la prostitution
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Les débats du sous-comité pour la réforme des lois canadiennes sur le racolage nous éclairent sur les intentions, les opinions et les attitudes des protagonistes. À la veille de la conférence de Gunilla Ekberg, avocate et féministe canadienne, experte et conseillère sur la question de la prostitution et de la traite des femmes et des enfants pour le gouvernement de la Suède, Sisyphe présente dans leur intégralité le témoignage que G. Ekberg a donné devant le sous-comité, le 4 mai 2005, ainsi que les débats qui l’ont suivi. Certains propos arrogants de membres du sous-comité (notamment ceux de la députée néo-démocrate Libby Davies, qui ressemble parfois davantage à une militante pro-prostitution qu’à une députée membre d’un sous-comité consultatif), suggèrent qu’elles/ils connaîtraient mieux que Gunilla Ekberg la situation des femmes prostituées en Suède… On note au passage l’influence manifeste du groupe Stella auprès des membres du sous-comité, notamment auprès du député bloquiste Réal Ménard qu’on croirait parfois le porte-parole officiel de ce groupe (en effet, rares sont les séances auxquelles M. Ménard a participé sans s’appuyer sur les dires de ce groupe comme si c’était sa Bible). La députée Libby Davies demande à Gunilla Ekberg si ce n’est pas "porter un jugement" de penser que les prostituées sont dans une position d’inégalité, même si certaines ont parfois l’impression d’être en situation de pouvoir. « Pourquoi serait-ce porter un jugement ? » demande Gunilla Ekberg. Et Libby Davies de répondre : « Nous avons rencontré des femmes... » « Il y a presque 15 ans que je travaille avec des prostituées, témoigne Gunilla Ekberg, donc je pense savoir de quoi je parle. Les femmes m’ont dit qu’avec cette loi (en Suède), elles avaient l’impression pour la première fois que quelqu’un s’occupait d’elles ; qu’elles se rendaient compte que c’était une forme de violence contre les femmes ; que ce n’était pas quelque chose qu’elles voulaient faire et que cela leur a permis de contacter des travailleurs sociaux, des ONG, etc. pour arrêter de se prostituer. » […] « La situation d’une femme prostituée est la même que celle d’une femme battue. La violence subie est normalisée. Pour supporter leur cette situation et trouver de la dignité dans l’abus subi, bien des femmes, évidemment, diront qu’elles l’ont choisie et que cela fonctionne pour elles. J’ai rencontré bien des femmes, dans bien des pays, qui l’ont affirmé, mais lorsqu’on leur donnait le choix de quitter la prostitution et qu’elles avaient une chance de faire une rétrospective, elles pouvaient alors voir cette autre vie à laquelle elles avaient droit. Ce n’est pas que nous regardons de haut les prostituées. Tout au contraire, je pense que le mieux que nous puissions faire pour nos soeurs - parce qu’elles le sont - c’est de les aider à en sortir, et non pas de minimiser leur situation et de prétendre que l’une des pires formes de violence sexuelle du monde est quelque chose de bénin et qu’une femme choisit. C’est de la résignation, j’en suis fermement convaincue. » Le président du sous-comité a remercié Mme Ekberg de son témoignage : « Nous apprécions beaucoup votre apport et votre point de vue, a-t-il dit. Nous en tiendrons compte dans la rédaction de notre rapport. » Nous serons bientôt en mesure de savoir si c’était une simple formule de politesse ou une intention réelle puisque ledit rapport sera publié sous peu. (Sisyphe) [Traduction] Le président (M. John Maloney (Welland, Lib. : La 28e séance du Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile est ouverte. Notre invitée ce soir est Mme Gunilla Ekberg, conseillère spéciale sur les questions de prostitution et de traite des êtres humais auprès du gouvernement suédois. Madame Ekberg, vous avez environ 15 minutes pour faire un exposé. Ensuite, nous vous poserons des questions pendant le reste de l’heure ; nous ferons des tours de sept minutes suivis de tours de trois minutes si nous en avons le temps. Vous avez la parole, s’il vous plaît. Mme Gunilla Ekberg (conseillère spéciale, Questions de prostitution et de traite des êtres humains, Gouvernement suédois) : Bonsoir. Je suis enchantée d’être ici. [Français] Je vais répondre aux questions en français, mais je ferai ma présentation en anglais. [Traduction] Comme vous le savez, la prostitution n’est pas un phénomène nouveau. La communauté internationale d’aujourd’hui n’est pas la première qui tente de trouver une solution à cette atteinte sérieuse aux droits et à la vie surtout des femmes et des jeunes filles, mais également des jeunes hommes et de garçons. Pour réussir à trouver des solutions au problème de la prostitution, il est nécessaire de réfléchir et de discuter entre nous pour décider dans quel genre de société nous désirons vivre. Nous devons trouver notre base idéologique et ensuite, développer une vision politique qui garantit une société juste pour tous. Une fois que nous avons notre vision présente à l’esprit, nous pouvons élaborer et mettre en oeuvre différentes mesures qui, avec le temps, viendront faire en sorte que cette vision se concrétise. Je dirais qu’il y a deux visions qui s’affrontent dans le monde à l’heure actuelle. Je vais parler de ces dernières pendant un court laps de temps. Nous pouvons, comme certains pays l’ont fait, nous résigner et fonder notre action sur l’idée que la prostitution est inévitable, et nécessaire - quelque chose qui existera toujours et qui, par conséquent, devrait être accepté, parce que les hommes en ont besoin, ou parce que les femmes choisissent de la pratiquer, ou parce que la prostitution a toujours existé comme le plus vieux métier du monde. Si nous sommes d’accord avec ce modèle, nous allons mettre en oeuvre des mesures après coup - après que les femmes, les enfants et les jeunes hommes ont été exploités dans le cadre de la prostitution. Nous pourrions prétendre que les torts liés à la prostitution peuvent être atténués par des mesures comme des zones de tolérance, des programmes de pratiques sexuelles sans risque et des mesures visant à rendre la rue plus sûre, ou nous pourrions même accorder des permis aux femmes comme travailleuses du sexe et changer la législation pour permettre le proxénétisme et la création de maisons de prostitution légales approuvées -, ou nous pouvons rejeter fermement l’idée que certaines femmes et certains enfants, surtout des jeunes filles, puissent être utilisés comme des biens qui peuvent être achetés et vendus. Nous pouvons conclure, comme nous l’avons fait en Suède, qu’il est possible d’éliminer la prostitution et de créer plutôt une société fondée sur l’égalité entre les sexes, une société dans laquelle la prostitution est vue comme quelque chose d’incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine et l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Dans ce modèle, nous concentrons notre attention sur différentes mesures qui visent à empêcher que des femmes et des enfants, des jeunes hommes et des garçons deviennent des victimes de la prostitution, comme des mesures visant à changer les attitudes, des mesures visant à renforcer la situation sociale, politique et économique des victimes potentielles, des mesures de protection et d’aide pour les personnes qui en sont victimes et des mesures législatives qui ciblent tous les contrevenants - les acheteurs qui utilisent et exploitent sexuellement les femmes et les jeunes filles, les proxénètes et les trafiquants. La Suède a pris un engagement de longue date face à l’égalité entre les sexes et à la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains. Nous considérons la prostitution comme un crime sexospécifique et un obstacle grave à l’égalité entre les sexes dans toutes les sociétés. La prostitution est considérée comme un problème sérieux qui est nuisible non seulement pour les femmes, les enfants, les hommes ou les garçons prostitués, mais également pour la société dans son ensemble. Dans la Loi sur la violence commise envers les femmes de 1998, le gouvernement et le Parlement suédois ont défini la prostitution comme une forme grave de violence des hommes envers les femmes et les enfants et ont rejeté l’idée que la prostitution était un choix, que la prostitution était un travail, que la prostitution est une activité à laquelle les femmes, les enfants, les jeunes hommes et les garçons aimaient participer. Nous avons fait cela parce que nous comprenons également que les personnes qui sont marginalisées et opprimées du point de vue économique, racial ou ethnique constituent la majorité des victimes de ce crime. En conséquence, les victimes de la prostitution en Suède n’ont à craindre aucune répercussion du point de vue pénal, administratif ou autre. Les proxénètes, les trafiquants et les acheteurs exploitent sciemment la vulnérabilité des victimes, vulnérabilité qui a pour toile de fond des taux élevés de pauvreté et de chômage, des pratiques discriminatoires en matière d’emploi, l’inégalité entre les sexes et la violence des hommes envers les femmes et les enfants. Au niveau structurel, la Suède reconnaît que si elle veut réussir dans sa lutte contre l’exploitation sexuelle, il lui faut améliorer la condition politique, sociale et économique des femmes et des jeunes filles par l’adoption de mesures visant la réduction de la pauvreté, le développement durable, la promotion de l’égalité entre les sexes ainsi que par l’élaboration de programmes sociaux ciblant spécifiquement les femmes et les jeunes filles. En Suède, la prostitution et la traite des êtres humains à des fins sexuelles sont perçues comme des questions qui ne peuvent pas et ne devraient pas être séparées. Les deux sont des pratiques néfastes liées intrinsèquement. Le but de la traite des êtres humains et l’intention des trafiquants est, dans la plupart des cas, d’exploiter les femmes et les enfants à des fins sexuelles dans l’industrie de la prostitution, localement et internationalement. Une des pierres angulaires des politiques suédoises contre la prostitution et la traite des êtres humains est de centrer l’attention sur la cause profonde. Nous reconnaissons que sans la demande des hommes pour l’utilisation des femmes, des jeunes filles, des jeunes hommes et des garçons à des fins d’exploitation sexuelle et de prostitution, l’industrie mondiale de la prostitution ne serait pas en mesure de prospérer et de prendre de l’expansion. Une des conditions préalables les plus importantes de la prostitution et de la traite des êtres humains est l’existence de marchés locaux de prostitution où les hommes achètent des femmes et des jeunes filles pour les exploiter sexuellement. Ces marchés peuvent facilement grandir et il est toujours possible pour les trafiquants et les proxénètes de créer une nouvelle demande. Les demandes des acheteurs changent constamment. Les hommes qui fréquentent les maisons de prostitution, les clubs d’effeuilleuses, les salons de massage, les agences d’escorte et les trottoirs dans tous nos pays désirent un accès illimité à un approvisionnement varié de femmes et de jeunes filles de pays, de cultures et d’antécédents différents. Cette demande constante pour obtenir une marchandise différente donne lieu à un commerce national et international de femmes et de jeunes filles. En janvier 1999, la loi suédoise interdisant l’achat de services sexuels est entrée en vigueur dans le cadre d’un ensemble législatif plus vaste visant à contrer la violence envers les femmes. Cette loi reconnaît que c’est l’acheteur de services sexuels qui doit être considéré comme le criminel et non pas la femme ou l’enfant prostitué. Cette idée de criminaliser les acheteurs est une idée qui vient initialement des groupes de femmes. Des féministes, y compris des femmes ayant une expérience de la prostitution, ont analysé la situation des femmes dans la société et comment les hommes, par le biais de la violence, veillaient à ce que la position inférieure des femmes soit maintenue, y compris l’utilisation de certaines femmes et jeunes filles pour la prostitution. La loi, qui fait maintenant partie du Code pénal suédois, précise, dans le chapitre 6, article 11, qu’une personne qui... obtient une relation sexuelle occasionnelle contre rémunération doit être condamnée à une amende ou à un emprisonnement de six mois au plus pour achat d’un service sexuel. Cette disposition est également applicable lorsqu’une rémunération a été promise ou versée par un tiers. L’infraction comprend toutes les formes de services sexuels, qu’ils aient été achetés sur la rue, dans des maisons de prostitution, dans les salons de massage, dans les services d’escorte ou dans d’autres circonstances semblables. Les tentatives visant à obtenir un service sexuel sont également punissables. Si une tierce personne a promis de verser ou a versé une rémunération pour l’achat d’un service sexuel occasionnel, elle peut être jugée comme complice. Au cours de la première année de l’application de la loi, en 1999, les efforts des policiers ont été concentrés principalement sur les hommes achetant des femmes dans le cadre de la prostitution de rue. Cependant, les acheteurs de femmes, de jeunes hommes et d’enfants dans les maisons de prostitution, les clubs pornographiques, les salons de massage et les agences d’escorte ont également été ciblés avec succès. Un homme sur huit âgé de plus de 18 ans en Suède, ou approximativement 13 p. 100 des hommes âgés de 18 ans et plus, ont au moins une fois acheté une personne à des fins de prostitution en Suède ou dans d’autres pays. C’est 12,8 p. 100, comparativement à environ 24 p. 100 en Italie, 40 p. 100 en Espagne et 80 p. 100 en Thaïlande. Nous pouvons voir clairement que là où il y a une culture de la prostitution, là où la prostitution est normalisée, plus d’hommes achètent des services sexuels. Je vais faire circuler parmi vous des affiches que nous avons utilisées au cours de la campagne visant à lutter contre la prostitution en Suède. Ces hommes sont tous âgés entre 30 et 55 ans. Ils proviennent de toutes les classes économiques et toutes les origines ethniques sont représentées. Fait important, ils sont mariés, ou l’ont été, ou cohabitent avec un conjoint et ils ont souvent des enfants. Cela se reflète également dans les données statistiques provenant de la mise en application de la loi. Les hommes qui ont ou qui ont eu de nombreux partenaires sexuels constituent les acheteurs les plus fréquents, brisant ainsi le mythe voulant que l’acheteur soit un homme seul, peu attirant sexuellement, qui n’a pas d’autres exutoires pour sa sexualité que d’acheter une femme prostituée. Cela se reflète également dans les données statistiques et dans les travaux de recherche sur les acheteurs provenant d’au moins 10 autres pays. Si nous examinons les données statistiques portant sur les cinq premières années de l’application notre loi, entre janvier 1999 et mars 2005, nous constatons que 914 hommes ont été arrêtés en vertu de la loi et que 234 ont été reconnus coupables ou ont plaidé coupables d’avoir acheté des services sexuels. Les données statistiques sur les déclarations de culpabilité pour l’année 2004 ne sont pas encore disponibles, mais nous nous attendons à ce que le taux augmente, comme ce fut le cas au cours des deux dernières années. L’homme le plus âgé arrêté en vertu de la loi avait 70 ans et le plus jeune, 16 ans. L’âge moyen de l’acheteur était de 44 ans, ce qui concorde parfaitement avec les données statistiques. Comment pouvons - nous mettre en oeuvre avec succès ce genre de mesures ? Eh bien, il faut lancer un débat public approfondi sur la prostitution et les raisons pour lesquelles ces mesures sont proposées et mises en oeuvre. Nous posons les questions suivantes : qui est exploité dans la prostitution, qui est responsable de l’exploitation de ces femmes et qui profite de l’exploitation des personnes dans la prostitution ? Nous devons éduquer les organismes d’application de la loi, les autorités judiciaires et le personnel des services sociaux sur la nature de la prostitution, sur les victimes, sur les raisons pour lesquelles ces mesures et cette loi ont été mises en place et sur la façon d’appliquer efficacement ces mesures en gardant à l’esprit le bien - être des victimes. Nous devons nous assurer non seulement que les personnes victimes de la prostitution ont accès à des programmes sociaux étendus centrés spécifiquement sur la façon d’aider ces gens à sortir de la prostitution, mais nous devons également nous assurer qu’elles reçoivent une protection, un soutien et un accès appropriés à des programmes d’emplois publics, d’éducation, etc. pour les aider à continuer leur vie en dehors de l’industrie de la prostitution. Nous devons financer de manière appropriée les corps policiers, les organismes de services sociaux et les organismes non gouvernementaux pour mettre en oeuvre ces mesures. Enfin, nous devons mettre en place des programmes visant à modifier les attitudes et des programmes d’éducation sexuelle dans les écoles, dans les collectivités, auprès du personnel militaire et dans les clubs sportifs. Pour créer un changement permanent, nous devons créer des réseaux d’hommes qui s’opposent à la prostitution. L’application efficace de la loi est déterminée ultimement par l’attitude de la direction des forces policières locales et des policiers individuels, ainsi que de celle des procureurs et des autorités judiciaires. Lorsque la loi est entrée en vigueur, ces groupes se sont montrés très critiques à l’égard de cette législation, affirmant qu’il était impossible de trouver des preuves, demandant comment ils devraient poursuivre et ainsi de suite. Mais aujourd’hui, après six ans d’application, ces groupes appuient la législation. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi en 1999, les effectifs de la prostitution de rue ont diminué radicalement selon les données de la police, des ONG et des services sociaux. La criminalisation a également entraîné une diminution du nombre d’hommes qui achètent des services sexuels et un recul du recrutement de femmes et de jeunes filles pour la prostitution. Aujourd’hui, il y a environ 1 500 personnes dans l’industrie de la prostitution dans toute la Suède et l’effectif total de la prostitution de rue ne dépasse pas 350 à 400 personnes. Il n’y a aucun indice que la loi a entraîné une augmentation des contacts liés à la prostitution sur Internet. Le nombre de femmes qui s’adonnent à la prostitution par le biais de l’Internet en Suède demeure stable à environ 80 à 100 femmes, les mêmes femmes étant annoncées dans de nombreux sites Web différents. Les industries de la prostitution et de la pornographie ont toujours tiré avantage des innovations technologiques qui profitent à leurs activités. L’utilisation de l’Internet à des fins de prostitution est le fruit de ce développement technologique, et non une conséquence de la législation suédoise. Le rapporteur national suédois sur la traite des êtres humains, qui relève de la police criminelle nationale, estime qu’entre 400 et 600 femmes victimes de la traite arrivent chaque année en Suède, principalement des pays d’Europe de l’Est comme l’Estonie, la Lithuanie et la Russie. Ce chiffre doit être comparé à ceux de nos voisins qui n’ont pas cette législation et où le nombre de victimes se situent entre 5 000 et 15 000 par année. Notre chiffre est demeuré assez constant au cours des dernières années, depuis l’entrée en vigueur de la loi. Selon la police criminelle nationale, il y a des indications claires que la loi a eu des effets directs et positifs sur la traite des êtres humains à des fins sexuelles en Suède et la Suède n’est plus un marché attirant pour les trafiquants. Je devrais également ajouter que la loi s’applique aux gardiens de la paix suédois et qu’elle est régulièrement mise en application si un gardien de la paix achète une femme locale ou une femme victime de la traite dans le pays où il est déployé. L’interdiction de l’achat d’un service sexuel trouve un appui très fort en Suède. Plusieurs sondages réalisés en 1999, en 2001 et en 2002 ont montré qu’environ 80 p. 100 de la population suédoise appuie la loi et les principes qui la sous - tendent. Le dernier sondage, qui a été réalisé en novembre 2002, a révélé que huit personnes interrogées sur dix continuaient d’appuyer la loi. La loi est l’expression concrète et tangible de la croyance en Suède que la femme et les enfants ne sont pas à vendre. Elle écarte effectivement le droit que se sont arrogé les hommes d’acheter des femmes et des enfants à des fins de prostitution et remet en question l’idée que les hommes devraient pouvoir exprimer leur sexualité de n’importe quelle manière et en tout temps moyennant un prix. J’invite les membres du Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage d’envisager la mise en place de mesures complètes de prévention, de protection et de poursuites juridiques qui visent à abolir la prostitution, comme une législation qui interdit l’achat d’un service sexuel ; une législation efficace contre le proxénétisme et la traite des personnes qui comprend des mesures visant à contrer l’implantation et l’expansion de l’industrie de la prostitution au Canada et des mesures sociales, économiques et politiques visant à renforcer les droits et la situation des femmes. Et finalement, je vous invite à abroger la législation qui criminalise les personnes qui sont exploitées par le biais de la prostitution. Selon le point 5, de l’article 9 obligatoire du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants,
Je vous invite, par conséquent, à jeter un coup d’oeil de plus près aux pays qui ont adopté des mesures visant à décourager la cause profonde de la prostitution - la demande - et où des mesures à cette fin ont été discutées, comme, évidemment, la Suède, la Corée du Sud, la Finlande, l’Estonie, la Lithuanie, les Philippines et les États - Unis, ainsi que des villes comme Glasgow et Madrid et à l’heure actuelle, il y a de plus en plus d’administrations qui envisagent l’utilisation de notre modèle pour lutter contre la prostitution. Je serais heureuse que les membres du sous-comité fassent une visite en Suède et je me ferai un grand plaisir de vous aider à cet égard. Merci. Le président : Merci, madame Ekberg. J’aimerais rappeler aux membres du comité que nous avons un appel conférence vers 20 heures, alors, si c’était possible, gardons nos questions concises et précises de sorte que nous ayons tous l’occasion d’intervenir. Monsieur Hanger, vous avez sept minutes. M. Art Hanger (Calgary - Nord - Est, PCC : Merci, monsieur le président. Merci beaucoup, madame Ekberg, de votre exposé. Je dois vous féliciter vous et votre gouvernement. Je crois comprendre que vous êtes conseillère auprès du gouvernement sur ces questions, mais j’aimerais vraiment vous féliciter vous et votre gouvernement pour le travail que vous faites pour lutter contre la prostitution dans votre pays. Je sais que la question de la traite qui existe à l’échelle mondiale déborde largement les frontières de n’importe quel pays. Voici la question que j’aimerais vous poser. La loi est entrée en vigueur en 1999, de toute évidence, une année clé. Quelle était la situation en Suède avant 1999 ? Mme Gunilla Ekberg : Nous travaillons à essayer d’abolir la prostitution depuis le milieu des années 70. Le débat était très animé. Nous avons eu trois comités parlementaires qui ont examiné la question et le dernier a présenté sa proposition en 1993. Un chercheur seul, un membre du comité, a proposé de criminaliser aussi bien les personnes qui achètent des femmes, des hommes et des enfants dans le cadre de la prostitution que les personnes qui sont victimes de la prostitution. Cela a soulevé une vive indignation en Suède parce que le grand public était très contrarié du fait que les personnes qui étaient victimes de la prostitution étaient criminalisées. Alors, le gouvernement a décidé de proposer une législation qui criminalisait uniquement les personnes qui détiennent le pouvoir dans cette relation, c’est-à-dire les personnes qui achètent et qui exploitent sexuellement les victimes. Ce qui est important à noter, comme je l’ai dit dans mon exposé, c’est que pour cela, vous devez avoir un débat public et, en fait, nous avons eu un débat public très animé. Il se poursuit toujours. Il ne passe pas une semaine en Suède sans qu’il y ait des articles dans les journaux ou des reportages à la télévision portant sur cette question, approfondissant davantage la question, non pas pour critiquer la législation, mais, en fait, pour essayer de comprendre davantage. Avant l’entrée en vigueur de la loi, il y avait 2 500 à 3 000 personnes faisant de la prostitution, d’après nos connaissances. Comme je l’ai dit, ce chiffre a diminué à environ 1 500 personnes. Nous avions également un problème de traite des femmes avant l’entrée en vigueur de la loi, mais comme vous le savez, l’ampleur de la traite a augmenté de façon incroyable au cours des dix dernières années. M. Art Hanger : Oui. Mme Gunilla Ekberg : Mais nous savons, comme je l’ai indiqué également, que la traite des êtres humains en Suède est très faible comparativement à n’importe quel autre pays dans le monde. M. Art Hanger : Merci. Vous ciblez les personnes qui appuient toute cette activité de prostitution, alors le gouvernement poursuit les proxénètes. Il poursuit les souteneurs et si la situation l’exige, il poursuit même les vendeurs de drogue. Y a-t-il des sanctions pour les souteneurs qui « vivent des fruits » de cette activité ? Je suppose que l’accusation existe toujours dans les livres. Mme Gunilla Ekberg : Oui. M. Art Hanger : Est-ce que les peines sont plus sévères qu’elles l’étaient dans le passé ou Est-ce que les tribunaux ne font que mettre en application la loi qui existait à l’époque ? Mme Gunilla Ekberg : Pour ce qui est du délit de proxénétisme, nous venons juste d’augmenter la peine. Cependant, vous devez garder à l’esprit que la politique correctionnelle suédoise a toujours été axée sur la réhabilitation ; nous n’avons pas les sentences sévères que comporte le système correctionnel canadien. La sentence la plus longue que vous pouvez avoir pour un crime est de dix ans. Nous avons augmenté la peine d’emprisonnement pour proxénétisme avec circonstances aggravantes à huit ans. M. Art Hanger : Voulez-vous expliquer ce que veut dire proxénétisme avec circonstances aggravantes. Mme Gunilla Ekberg : Nous avons la sentence normale qui peut aller jusqu’à six ans d’emprisonnement. Si le proxénète s’est conduit de manière particulièrement répréhensible, s’il a réalisé d’énormes profits ou s’il exerce cette activité depuis longtemps, il peut alors être reconnu coupable de proxénétisme avec circonstances aggravantes. Les crimes liés à la traite - avant la promulgation de notre loi sur la traite - ont aussi été jugés dans le cadre de la loi sur le proxénétisme. Donc, la loi sur le proxénétisme a été renforcée. Après la signature et la ratification du Protocole contre la traite des personnes des Nations Unies, nous avons mis en vigueur une loi qui interdit la traite des personnes à toutes sortes de fins. Ce crime peut encourir une peine d’emprisonnement de dix ans, mais souvent les procureurs condamnent les trafiquants et les proxénètes pour d’autres crimes tels que le viol, la restriction de la liberté d’une personne et des choses de ce genre. M. Art Hanger : Qu’en est-il des lois sur la maison de débauche ? Existent-elles encore ? Que faites-vous pour cela ? Mme Gunilla Ekberg : Notre loi sur le proxénétisme ne fait pas de distinction entre une maison de prostitution ou la prostitution de rue. Cette loi, assez sévère, permet de condamner les proxénètes qui ouvrent des maisons de prostitution et ceux qui utilisent Internet pour vendre des femmes. Contrairement au Canada, nous n’avons pas de loi distincte pour les maisons de débauche. M. Art Hanger : Je suis vraiment content d’apprendre que vous mettez l’accent sur la prévention. Il semblerait que votre programme de sensibilisation vise à décourager ou peut - être à avertir ou éviter que les jeunes fassent ces activités. Au début, c’est peut - être un choix passionnant ou bien ils peuvent encore fuguer et tomber sous la coupe d’un proxénète quelque part. Donc, il y a un programme de sensibilisation. Deuxièmement, je crois comprendre que vous avez, pour les filles et les jeunes gars qui choisissent de se prostituer, un programme important qui leur permet de s’en sortir. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous faites dans ces deux cas de figure ? Mme Gunilla Ekberg : Oui. Je crois que pour lutter contre la prostitution et la traite des personnes, il faut savoir jongler avec au moins huit boules en même temps. Ce n’est pas toujours facile. Il faut faire de la prévention, aider et protéger les victimes. Il faut, bien sûr, condamner les proxénètes. Nous faisons tout cela. Jetons un coup d’oeil à nos programmes de prévention, et nous en avons quelques-uns. J’ai aussi quelques documents que je vous invite à consulter. Malheureusement, la plupart des documents ne sont qu’en anglais, mais il y a quelques petites choses en français. Je voudrais surtout parler d’un programme que nous venons de mettre en application dans les écoles secondaires suédoises. Nous avons projeté le film Lilja Forever, vous en avez peut-être entendu parler. C’est l’histoire d’une jeune femme qui victime de la traite qui se fait entre la Lithuanie et la Suède. Sa situation est très bien décrite, le film montre clairement qu’elle n’aurait pas été victime de la traite sans les hommes qui l’exploitent sexuellement dans le film. Nous nous servons de ce film. Nous avons rédigé un très bon manuel qui ne parle pas seulement de la prostitution et de la traite, car ce n’est pas important pour la majorité des jeunes Suédois. Le manuel parle de l’égalité des sexes, du viol, de la pornographie, de toutes sortes de violences sexuelles, d’attitudes envers les jeunes filles, de l’exploitation des filles sur Internet, des jeunes garçons et comment leur comportement peut être changé et comment la généralisation de la prostitution et de l’industrie pornographique sur Internet les touche. Nous avons projeté le film. Nous avons eu des séminaires d’une journée auxquels ont assisté 33 000 enfants en Suède. Ils l’ont tous vu. Les réactions ont été très positives, car nous avons essayé de placer le film à leur niveau et communiquer avec des enfants au lieu de ne se limiter qu’à leur montrer des choses. C’est l’une de nos réalisations. Ensuite, j’ai coordonné la campagne nordique baltique contre la traite des femmes. C’est la première campagne du gouvernement mettant l’accent sur la prévention afin de lutter contre la demande et de la décourager. Huit pays, les cinq pays nordiques et les trois pays baltiques y participent. Nous avons fait beaucoup de choses, y compris... Malheureusement, la douane a saisi les affiches, donc je n’ai pas pu les amener ici, mais je vous les enverrai. Je vous passerai cela. Vous les verrez peut - être. Nous avons fait une campagne d’affiches. Je voulais faire une campagne sur la prostitution qui serait différente des campagnes d’affiches habituelles que l’on voit toujours et qui montrent - vous savez, vous les avez vues, une femme en talons aiguilles, mini-jupe et décolleté se penchant à la fenêtre d’une voiture la nuit. Dans cette voiture, il y a quelque chose. On ne nous montre jamais ce que c’est. Nous voulions faire sortir l’homme de la voiture et le montrer pour la première fois, car la prostitution n’existe que parce que les hommes payent. Ces affiches étaient gigantesques. Il y en avait partout en Suède, dans les abris-bus, dans les tunnels du métro, sur les tramways, partout. L’affiche portait la phrase « Le moment est venu de jeter les clients dans la Baltique », car cette affiche faisait partie de la campagne nordique-baltique. Nous voulions que les hommes cessent d’aller dans les pays baltes, car beaucoup y vont, il y en a même qui viennent du Canada, je veux le souligner, mes collègues qui vivent là-bas me l’ont dit. L’affiche a aussi un autre slogan « Payer pour le sexe est un crime ». Dans les autres deux affiches, il y a plusieurs visages d’hommes. J’ai eu un peu de mal à trouver des acteurs pour poser pour cette affiche, car personne ne veut donner son visage à un client éventuel dans une affiche. Finalement, des collègues, notre conseiller politique et quelques secrétaires d’État, etc., ont accepté de figurer sur cette affiche. La troisième affiche montre qu’aujourd’hui, les hommes achètent des femmes sur Internet à des fins de prostitution. Principalement des jeunes hommes, surtout à cause de leurs connaissances informatiques. C’était simplement quelques exemples. Nous faisons beaucoup d’autres choses. Voici un autre exemple. Nous préparons une grande campagne dans la région de Barents, située au nord-ouest de la Russie - Murmansk et Arkhangelsk - et au nord de la Finlande, de la Suède et de la Norvège. Nous nous concentrons complètement sur la demande dans les pays nordiques en prenant toutes sortes d’initiatives et dans la région de Barents du côté de la Russie, nous mettons en place plusieurs mesures pour réduire la vulnérabilité des femmes et des filles vis-à-vis la traite des femmes. Je suis désolée d’avoir répondu aussi longuement. Le président : Merci, monsieur Hanger. Monsieur Ménard, s’il vous plaît. M. Réal Ménard (Hochelaga, BQ) : Merci. Je vais m’exprimer en français, mais vous avez la traduction. [Français] Je suis très content que vous soyez ici, puisqu’on a beaucoup entendu parler du modèle suédois. Je voudrais vous poser environ trois questions. J’espère, d’ailleurs, qu’on aura l’occasion de vous rendre visite en Suède, mais c’est un autre débat. Dans les notes de recherche qui ont été préparées à notre intention, il est dit que, dans la ville de Stockholm, la prostitution de rue a diminué de 75 p. 100. Ce sont des fonctionnaires des services de santé et des services sociaux de votre pays qui disent cela. À quoi attribuez-vous cela ? Est-ce simplement à cause du cadre législatif ? Deuxièmement, nous avons des organismes de défense des droits des travailleuses du sexe. Le plus connu au Québec est l’organisme Stella. Ces derniers condamnaient votre modèle en disant que, malgré tout, l’échange demeure possible. Pourquoi n’êtes-vous pas allés au bout de la logique ? Pourquoi ne pas interdire complètement ou permettre complètement ? Pourquoi s’en prend - on seulement aux clients ? Cela veut dire que l’échange est encore possible. D’ailleurs, c’est ce que nous disaient des représentants de l’organisme Stella lundi dernier. Pour sa part, une professeure - chercheure de l’UQAM nous disait que l’échange est encore possible et que cela comporte quand même des désavantages. Voilà mes deux premières questions. J’en aurai deux autres par la suite. [Traduction] Mme Gunilla Ekberg : Vous avez d’abord demandé la raison pour laquelle nous croyons avoir réduit la prostitution de rue à Stockholm. Je voudrais ajouter que ce n’est pas seulement à Stockholm, c’est aussi dans les trois autres grandes villes. Comme je le disais dans ma déclaration, il faut d’abord une loi interdisant l’achat de services sexuels. Mais, pour l’appliquer, la police doit mesurer l’importance de l’application de cette loi et aussi comprendre que ce sont les hommes qui doivent être ciblés, pas les femmes ni les jeunes hommes qui se prostituent. Nous avons formé des groupes spéciaux de services sociaux lorsque la loi a été promulguée, et nous avons agrandi les groupes qui existaient déjà et qui avaient pour mission d’aider les femmes ou les jeunes hommes qui se prostituaient dans la rue à s’en sortir. En Suède, nous ne suivons pas la démarche de réduction des méfaits, nous offrons la possibilité de quitter la prostitution. Donc, voilà la raison. Juste avant de venir, je me suis adressée - et je pense que c’est dans mon article aussi - au groupe de Stockholm et j’ai appris que 60 p.100 des prostitués ont arrêté et font d’autres choses, dans l’emploi, l’enseignement, le counselling ou dans d’autres domaines. C’était la réponse à la première question. Puis, vous avez dit que Stella, que je connais très bien et je lui en ai parlé plusieurs fois, dénonce ce modèle et demande la raison pour laquelle nous n’avons pas interdit complètement à la fois l’achat et le fait de se vendre. Je crois avoir déjà expliqué qu’en analysant la prostitution, il faut faire la distinction entre ceux qui achètent et ceux qui sont exploités. Nous savons cela, car ceux qui sont exploités par la prostitution sont tous issus d’un milieu déjà marginalisé. Ils finissent par se prostituer à cause de la pauvreté, du chômage, de la toxicomanie et de diverses inégalités des sexes. Nous savons aussi que les victimes de la traite sont originaires de sociétés où les structures sociales sont inexistantes. [Français] M. Réal Ménard : Il y a des gens qui prétendent qu’il y a quand même, en Suède, un monde parallèle de la prostitution. Selon eux, malgré les statistiques officielles que vous donnez, il existe une prostitution clandestine, qui a augmenté depuis l’adoption de la mesure législative en 1999. Est-ce que vous êtes en mesure de confirmer ou d’infirmer cela ? Je voudrais surtout savoir ce qui a déclenché cela. Vous dites que depuis 1999, les filles choisissent de se retirer de la prostitution. Quel est le déclencheur de cette situation ? Est-ce dû seulement au cadre législatif, ou Est-ce dû à la panoplie de services à leur disposition ? [Traduction] Mme Gunilla Ekberg : Permettez-moi de répondre d’abord à la dernière question, celle sur ce qui pousse les gens à quitter la prostitution. Je l’ai dit tout à l’heure, vous ne pouvez pas appliquer cette loi si vous n’avez pas mis en place des mesures d’aide, sinon les personnes ne sauront quoi faire, et ce n’est pas le but de l’opération. Nous voulons offrir de l’aide aux personnes pour qu’elles cessent de se prostituer. Soit dit en passant, je dirige - car nous croyons que nous n’avons pas fait assez - un plan d’action national contre la prostitution, dans lequel nous proposons d’autres solutions. Donc, ce qui pousse à quitter la prostitution, c’est une combinaison de la loi, qui...et j’ai beaucoup de contacts avec des prostituées. Il y a presque 15 ans que je travaille avec des prostituées, donc je pense savoir de quoi je parle. Les femmes m’ont dit qu’avec cette loi, elles avaient l’impression pour la première fois que quelqu’un s’occupait d’elles ; qu’elles se rendaient compte que c’était une forme de violence contre les femmes ; que ce n’était pas quelque chose qu’elles voulaient faire et que cela leur a permis de contacter des travailleurs sociaux, des ONG, etc. pour arrêter de se prostituer. Vous avez aussi posé une question sur ceux que certaines personnes appellent la prostitution « souterraine ». Je suis contente que vous ayez posé cette question, car il y a beaucoup de mythes à ce sujet Tout d’abord, le commerce du sexe ne fonctionne jamais complètement de manière « souterraine », comme vous le savez peut-être. Au pire, la prostitution se fait à l’écart du grand public. Donc, si vous éliminez la prostitution de rue, elle ne devient pas « souterraine », cela veut simplement dire que les citoyens ordinaires ne la voient pas. On ne la voit pas dans leur quartier. Le contact avec les acheteurs est le plus important facteur pour le commerce du sexe et ceux qui en bénéficient - les souteneurs, les proxénètes, les trafiquants, les propriétaires de maisons de prostitution, etc. Sans les acheteurs, ils ne pourront pas réaliser des profits sur les femmes qu’ils essaient de vendre. Donc, le commerce du sexe ne peut pas fonctionner de manière « souterraine ». Les policiers de Stockholm se fâchent toujours quand les gens pensent qu’il y a un commerce du sexe « souterrain ». La prostitution se fait peut-être dans des maisons de prostitution, mais elle n’est ni invisible ni inaccessible. Il s’agit simplement du genre de mesure prise pour essayer de mettre fin à cette prostitution, c’est ce que la police doit faire aujourd’hui, comme je l’ai déjà dit. La police a reçu des fonds supplémentaires pour oeuvrer spécifiquement dans ce domaine. Deuxièmement, la police dit toujours que si les acheteurs peuvent trouver ces femmes, elle peut aussi les trouver. Les acheteurs ont accès aux femmes par Internet, en contactant des souteneurs ou autrement. Il y a 21 districts policiers en Suède qui ont tous des enquêteurs sur Internet pour trouver les maisons de prostitution. J’aimerais dire que la façon de travailler des organismes de service social et des ONG doit aussi changer. Ayant moi-même travaillé dans les services sociaux, je sais que c’est difficile. Il faut trouver les moyens d’avoir accès aux femmes ou aux jeunes hommes qui se prostituent, mais pas dans la rue. Mais, cela n’a jamais affaibli notre détermination de mettre fin à la prostitution. [Français] M. Réal Ménard : Merci. [Traduction] Le président : Merci, monsieur Ménard. Madame Davies. Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) : Merci beaucoup d’être venus. Nous sommes heureux que vous soyez ici, car des témoins ont souvent mentionné le modèle suédois, les avantages et les inconvénients. Donc je suis contente de vous voir ici pour apporter votre contribution à ce débat et répondre à nos questions. Je crois que nous devons veiller à ne pas comparer des situations différentes. Je voudrais tout d’abord dire que la Suède a un réseau de soutien social bien meilleur. Ici, nous avons beaucoup plus affaire à un commerce du sexe pour la survie où il n’y a pratiquement rien pour aider les femmes à s’en sortir. Je suis donc d’accord avec vous pour dire que la prévention et la cessation de ces activités doivent servir de fondement pour trouver de vraies solutions de rechange. Cela n’existe pratiquement pas dans notre pays, il y a donc une très grande différence. Il serait facile d’engager avec vous un débat philosophique sur l’exploitation des femmes, mais je vais éviter cela et me concentrer sur l’effet de l’application de la loi et le rôle de la loi. Je dois vous dire que je m’interroge sérieusement, même en ce qui concerne le modèle suédois, sur le fait que la criminalisation du client n’a pas réellement réglé la situation. En fait, selon notre recherche, des rapports publiés indiquent que le problème, que vous l’appeliez ou non « souterrain », est simplement un peu plus caché. Je crois que ce qui est important ici, c’est que lorsqu’un régime inclut la répression - c’est-à-dire, l’application de la loi - même si elle ne vise pas les travailleurs du sexe, toute l’industrie va chercher à se cacher pour échapper à cette répression, il est donc plus difficile de fournir des services et du soutien. Vous avez répondu en partie à la question de savoir si oui ou non la prostitution fonctionne de manière « souterraine » ou si elle est plus invisible ou cachée, mais je ne pense toujours pas que l’application de la loi a vraiment changé la situation. Je conviens qu’il est généralement très difficile de changer le comportement ou l’attitude des gens dans la société. J’aimerais que vous nous précisiez si elle a actuellement diminué ou si elle a tout simplement changé et est devenue moins visible. Deuxièmement, au sujet de l’exploitation des femmes, je suis curieuse de savoir si la Suède interdit des films, des divertissements, des affiches, quoi que ce soit, qui décrive de n’importe quelle façon, dans des films par exemple, des scènes de prostitution. Sont-ils aussi interdits ? Car, il y a évidemment les mêmes éléments en termes d’exploitation. Quel est le degré de tolérance ? Mme Gunilla Ekberg : J’aimerais revenir à la notion de prostitution cachée. Si l’on considère les pays qui n’ont pas notre loi, comme le Canada par exemple... Prenons Vancouver, où il y a un nombre considérable de studios de massage et de maisons de prostitution et il n’y a pas de soutien. Aucun groupe de soutien n’a accès aux femmes qui se prostituent dans de tels endroits. Mme Libby Davies : Il y en a deux ou trois. Mme Gunilla Ekberg : Oui, mais pas beaucoup dans la plupart des pays. Si vous considérez les pays qui ont légalisé la prostitution, le commerce du sexe est tellement caché, pour utiliser le terme que vous avez employé, que la police n’intervient pas du tout. Par exemple, la prostitution cachée en Hollande, c’est-à-dire le nombre de maisons de prostitution illégales est probablement le triple ou au moins le double de celui des maisons de prostitution légale. C’est pareil en Australie, où par exemple à Melbourne il y a deux ou trois ans, il y avait 100 maisons de prostitution légales et 400 illégales. En évitant la criminalisation et en gardant la police loin du commerce du sexe, la prostitution serait beaucoup plus cachée qu’en Suède . La Direction nationale de la santé et des affaires sociales a été chargée de suivre les questions liées à la prostitution au moment de la promulgation de la loi. La Direction présente des rapports annuels au gouvernement. Elle interroge toutes les personnes qui, selon elles, ont quelque chose à faire avec la prostitution, luttent contre la prostitution, les personnes dans la prostitution, les travailleurs sociaux, les policiers, etc. Son dernier rapport publié en 2004 conclut que rien ne prouve que la prostitution cachée s’est accrue. Ce que j’essaie d’expliquer, c’est qu’il faut une loi, mais il faut aussi des gens qui sachent la mettre en oeuvre sans menacer le bien-être de ceux qui sont dans la prostitution. Donc, quoi que vous ayez entendu en Suède, je... Mme Libby Davies : Certains de ces renseignements proviennent des rapports du Conseil national de prévention du crime et de la Direction nationale de la santé et des affaires sociales... Mme Gunilla Ekberg : C’était en 1999 - une année. Mme Libby Davies : Voulez-vous dire que leur position a changé ? Mme Gunilla Ekberg : Elle a beaucoup changé. Durant la première année de l’application de la loi, la police était très sceptique et ne voulait pas l’appliquer. Les procureurs et les juges ont eu les mêmes hésitations. Une fois que leur avions montré comment la loi devait être appliquée, le commerce du sexe a de connu de plus en plus de déboires. Ce rapport a été publié sept mois après la mise en vigueur de la loi. Rien dans ce rapport montre qu’on pourrait s’y référer en comparaison à nos six années de travail. Je l’ai dit, la Direction nationale de la santé et des affaires sociales établit des rapports et la police criminelle nationale fait rapport de la traite des personnes, ce qui inclut la prostitution, le proxénétisme et l’achat de services sexuels. Ils ont publié six rapports et le septième sera publié incessamment. Ces rapports concluent que la loi est efficace et qu’il n’y a pas... Mme Libby Davies : Êtes-vous en train de dire qu’il n’y a pas de rapports, publiés officiellement par les organismes gouvernementaux ou par les ONG critiquant la situation ou suggérant que le problème a changé et que la prostitution n’a pas vraiment diminué mais qu’elle est tout simplement moins visible ? Mme Gunilla Ekberg : Certains universitaires suédois ont pris une position... Je connais deux autres individus liés à des organisations internationales de travailleurs du sexe qui prétendent que la prostitution a augmenté. Comme je l’ai dit, je tiens des audiences, tout comme vous, au sujet de notre plan d’action national contre la prostitution et la traite. Nous avons interrogé tous les acteurs possibles, y compris des femmes prostituées. Aucun d’entre eux a conclu qu’il y avait une aggravation du problème de la prostitution cachée. Mme Libby Davies : Donc, des travailleurs du sexe en Suède ont participé à certaines des recherches. Mme Gunilla Ekberg : Des femmes dans la prostitution. Mme Libby Davies : D’accord. Que pensez - vous de leur situation ? Appuient-elles la loi ? Mme Gunilla Ekberg : Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai une longue expérience de travail avec les femmes dans la prostitution et il y a longtemps que je lutte contre la violence des hommes envers les femmes. Mon rôle est très différent de celui de la plupart des gens qui travaillent pour le gouvernement, car les personnes qui travaillent dans la prostitution me font confiance. Mme Libby Davies : Mais, dans la recherche plus large dans laquelle des travailleurs du sexe ont été contactés et auxquels on a demandé ce qu’ils pensaient des effets de la loi... Mme Gunilla Ekberg : La Direction nationale de la santé et des affaires sociales a étudié cela, ainsi que d’autres chercheurs comme Sven-Axel Mansson, Ulla - Carin Hedin et Hanna Olson qui sont tous très respectés et bien connus. Comme je l’ai dit, j’ai le témoignage de femmes qui sont soit dans la prostitution ou qui ont quitté la prostitution. Ce sont les preuves que j’ai. Mme Libby Davies : Merci. Le président : Merci, madame Davies. Madame Fry : Merci beaucoup pour votre rapport. Je tiens à vous féliciter d’avoir présenté une espèce de stratégie globale, qui englobe, bien sûr, la prévention. Il y a aussi, bien entendu, la législation sur l’application de la loi, pour aider à composer avec les stratégies de sortie. Je pense que c’est une bonne façon de voir le problème. Si nous nous concentrons uniquement sur les mesures législatives, sans nous intéresser à autre chose, nous ne résolvons pas ce qui est, de fait, un problème très général et très complexe. J’aimerais vous poser deux ou trois questions. Je lis dans le code pénal suédois, au chapitre 6, l’article 11, quelque chose comme : Une personne qui obtient des relations sexuelles occasionnelles contre paiement doit être condamnée...pour l’achat de services sexuels, à une peine d’emprisonnement maximale de six mois. Pourriez - vous un peu m’expliquer cela ? Qu’entendez - vous par « relations sexuelles occasionnelles contre paiement » ? Si vous avez une aventure d’un soir et que vous recevez un superbe cadeau après, est-ce que cela constitue un paiement ? Pour moi, c’est la question qui se pose. C’est occasionnel. Ce n’est pas quelque chose qu’on pourrait appeler une relation continue. Si vous recevez quelque chose en cadeau, quand le cadeau devient - il un paiement et quand ne l’est-il pas ? J’ai pensé que c’était peut-être un concept assez nébuleux. J’aimerais aussi parler d’autres choses, parce que cela paraît tout à fait merveilleux et les résultats semblent excellents. J’ai toujours eu en moi cet espèce de cynique éternel qui me fait penser que quand quelque chose paraît trop beau pour être vrai, ce doit l’être. En réponse aux questions de Mme Davies, vous avez dit que bon nombre des rapports dont elle a parlé ont été rédigés en 1999 ou l’année suivante. J’ai ici un rapport du National Police Board, qui a été rédigé en 2001, et le rapport du Conseil national de prévention du crime, qui date de 2000. Ils disent encore les mêmes choses. Ils disent que c’est logique. Cela me paraît tout à fait logique. Si on criminalise l’acheteur sans criminaliser le vendeur, on crée une espèce de régime presque hypocrite et illogique. La personne qui achète va être déclarée criminelle, mais celle qui vend est souvent forcée à témoigner contre cette personne. Elle n’est rien. Elle n’est ni victime, ni délinquante, alors elle flotte dans une espèce de « no-person’s land ». Apparemment, bien des femmes qui ont été interrogées ont dit qu’elles ne sont pas d’accord avec le fait qu’elles s’engageaient dans une activité criminelle. En fin de compte, si vous voulez me pardonner un mauvais jeu de mots, lorsque deux personnes participent à une espèce d’acte sexuel, où se retrouve, en fin de compte, l’acheteur et le vendeur ? Ils font la même chose. Le problème, c’est que bien des femmes estiment qu’elles ont été encore plus stigmatisées parce qu’elles participent à une activité criminelle. L’acte d’acheter des relations sexuelles est une activité criminelle. Elles s’en inquiètent. Elles sont nombreuses à craindre d’avoir été encore plus stigmatisées. Elles sont entrées dans le monde clandestin. Les enfants vivent maintenant du produit de la prostitution, avec la nouvelle loi, et aussi leurs partenaires. Elles estiment être à risque, et elles agissent clandestinement. Je sais que vous n’aimez pas l’expression, mais il semble que ces femmes elles - mêmes l’ont déjà employée. Elles ne consultent pas de professionnels de la santé, parce que les risques de problèmes de santé sont plus grands. Elles craignent de sortir et de bien contrôler leurs acheteurs, alors elles ont moins d’acheteurs. Elles exécutent plus d’actes sexuels. Elles doivent se vendre à moindre prix. Elles prennent des risques. Pour avoir un client, elles acceptent la relation sans condom. Je tire ces choses-là d’un rapport. Ce sont les travailleuses du sexe qui le disent. M. Ménard a notamment dit, je crois, que nous avions espéré pouvoir faire une visite. Je pense que l’un des avantages de ce genre de visite, c’est qu’on peut parler avec tout le monde, plutôt que de seulement recevoir un rapport officiel de n’importe qui. On peut parler réellement avec les gens qui sont dans le système, et ils peuvent nous dire certaines choses. À moins qu’on décide soudainement de faire venir bien des travailleuses du sexe de la Suède et de la Hollande ici pour témoigner devant le comité, je pense qu’il est vraiment dommage qu’on n’ait pas permis au comité d’aller là-bas chercher la vérité. Ce sont des choses que j’ai entendues. Pourriez - vous les commenter ? Le président : Merci. Mme Gunilla Ekberg : Permettez-moi de donner une précision sur les rapports du Conseil national de prévention du crime et du National Police Board. Ces deux rapports ont été rédigés en 1999 et publiés en 2000. Ils ne portent que sur la première année d’application de la loi. Je voulais le préciser. Le premier couvre sept ou huit mois de 1999. Alors même s’il est publié en 2000, il ne concerne qu’une année. Voilà six ans que la loi est entrée en vigueur, et nous avons beaucoup plus de données d’information maintenant que pendant la première année. In ne faut pas l’oublier. Je n’ai pas vraiment compris cette affaire de femmes qui sont obligées de témoigner, d’enfants qui vivent du produit de la prostitution et des femmes qui sont criminalisées. L’idée de cette loi, c’est justement que la prostitution ne soit pas criminalisée. Les enfants des femmes ne vivraient pas du produit de la prostitution. Ce serait absolument ridicule. Le but visé est vraiment que les activités des prostituées ne soient pas criminalisées, ne soient pas obligées de témoigner, ne soient pas obligées de faire aucune des choses que les femmes du Canada doivent faire parce que leurs actes sont criminalisés. Alors je ne comprendspasvraiment.Parcontre,jecomprendsoùvousavezobtenucesrenseignements,etnouspourrons en parler tout à l’heure. Je parle avec des femmes prostituées. J’ai travaillé avec elles pendant de nombreuses années en Suède. Je suis respectée pour cela. Il y a quelques personnes qui sont en rapport avec les organisations internationales des travailleurs du sexe qui, je crois, sont liées au secteurde la prostitution. Bien entendu, elles n’ont aucun intérêt à vous donner les renseignements justes. Je vous encourage à aller en Suède parler à des prostituées. Vous entendriez les mêmes choses que ce que je vous dis. Pour ce qui est de la question sur les relations sexuelles occasionnelles, les aventures d’un soir et les cadeaux ne sont pas visés ici. Il faut que ce soit dans le contexte de la prostitution, alors nous n’avons pas à nous en préoccuper. Le Code criminel emploie l’expression « relations sexuelles occasionnelles » parce que nousne voulons pas viser avec cette loi les femmes engagées dans des relations à long terme, des femmes mariées et toutes les autres. La loi vise, par contre, un homme qui achète les services de la même femme à plusieurs occasions. Nous avons eu un juge, dans le sud de la Suède, qui a acheté les services de la même femme une dizaine de fois. Il a été condamné en vertu de la loi et invité à démissionner de son poste. Est-ce que cela répond à votre question ? L’hon. Hedy Fry : Pas vraiment, mais ce n’est pas grave. Le président : Nous avons écoulé notre temps, mais nous n’avons pas fait de deuxième tournée. Il y a quelqu’un qui nous attend à Vancouver pour une téléconférence. Est-ce que vous voulez faire une tournée d’interventions de trois minutes justes, ou est-ce que vous voulez que nous poursuivions ? M. Hanger veut trois minutes. Madame Ekberg, est-ce que vous pouvez répondre le plus brièvement que possible ? Mme Gunilla Ekberg : Il est difficile de répondre brièvement quand il s’agit de situations complexes. M. Art Hanger : Je suis impressionné par votre présentation. Avec mon expérience d’ex-policier, je connais bien cet horrible filet de la prostitution et le groupe peu recommandable de gens qui en profitent. J’aimerais bien qu’il y ait quelque chose de différent, ici, au Canada. Il nous faut trouver un moyen de nous attaquer aux proxénètes, aux entremetteurs et à ceux qui profitent de tout cela. C’est souvent une activité criminelle organisée. Je m’intéresse à la question suivante ; elle va au coeur la raison d’être de ce comité. Bien de l’importance a été donnée à la raison pour laquelle Mesdames Davies et Fry voulaient créer ce comité. Je dirais que c’est en rapport avec le décès de ces femmes de la région de Vancouver. Il y en a eu des dizaines, et ce n’est pas le seul scénario du genre au pays. Est-ce que la violence contre les femmes, à part l’acte de prostitution, a enregistré une baisse en Suède ? Est-ce que les décès de prostituées et les actes de violence contre elles ont diminué dans l’ensemble ? Est-ce que la police cible les salons de massage et les services d’accompagnement, en rapport avec la prostitution, en Suède ? Mme Gunilla Ekberg : Pour répondre en quelques mots, pour ce qui est de la violence, des décès tragiques ou des meurtres de femmes à Vancouver et Edmonton, par exemple, nous n’avons rien de cela en Suède. Le dernier meurtre connu d’une prostituée est survenu en 1989. Après cela, nous n’avons pas eu de meurtres du tout de femmes prostituées, et je pense que c’est le fruit non seulement, bien sûr, de la loi - parce qu’elle est venue bien après - mais aussi de l’effort concerté, à bien des niveaux, pour essayer de mettre fin à ce type de crime contre les femmes. La violence contre les femmes en général - voulez-vous dire dans la population en général, ou les femmes prostituées ? M. Art Hanger : Les prostituées. Mme Gunilla Ekberg : La prostitution. Je voulais seulement... M. Art Hanger : Je parlais de la violence, comme des actes meurtriers, d’agressions graves, les viols, ce genre de chose. Mme Gunilla Ekberg : D’accord, je comprends. La prostitution est le domaine professionnel le plus violent qui existe dans le monde. Même le comité Fraser, en 1985, un comité canadien, a conclu que les femmes prostituées couraient 40 fois plus de risques que les autres d’être assassinées. Alors nous savons que c’est le domaine le plus violent qui existe. Si on ajoute à cela l’acte de prostitution lui - même, la pénétration cinq ou dix fois par jour par des inconnus, c’est le summum de la violence. C’est pourquoi nous considérons la prostitution comme un acte de violence morale. Si vous voulez savoir si les femmes ont plus été visées par la violence des acheteurs et des proxénètes depuis l’entrée en vigueur de cette loi, rien ne l’indique. Il y a eu une certaine réflexion entre travailleurs sociaux qui ont discuté sans fin pour savoir si c’était le cas, mais rien, vraiment, ne l’indique. Par contre, nous en sommes conscients, et dans ce plan d’action national, nous allons nous étudier la question de plus près. Je voudrais souligner encore une fois que les acheteurs, les proxénètes, les entremetteurs et les trafiquants sont des hommes violents, et ils sont violents quelle que soit la situation. Et je pense que c’est très clair, ici, au Canada, qu’étant donné que les femmes ne peuvent pas facilement avoir accès à la police et aux services sociaux, elles courent un plus grand risque d’être assassinées et violées. Le président : Merci, madame Ekberg. Monsieur Ménard, vous avez trois minutes pour les questions et les réponses. [Français] M. Réal Ménard : J’aimerais avoir la liste des programmes sociaux que vous mettez à la disposition des personnes qui veulent quitter la prostitution. À combien estimez-vous l’effort national consenti par votre gouvernement pour mettre en vigueur ces programmes ? Si vous pouviez remettre un document à notre sympathique et attachante attachée de recherche, ce serait très apprécié. [Traduction] Mme Gunilla Ekberg : D’accord. Je les lui donnerai. Le président : Vous avez terminé ? D’accord. Allez - y, Libby. Mme Libby Davies : J’ai beaucoup de questions à poser sur le modèle suédois, et elles ne peuvent toutes recevoir une réponse aujourd’hui. Je crois comprendre d’après votre exposé et cette loi qu’on ne peut jamais considérer qu’il y a deux adultes - parce qu’il ne s’agit pas ici de juvéniles - qui sont consentants dans une relation sexuelle pour laquelle de d’argent change de mains. Je trouve cela difficile à accepter. Vous pouvez certainement avoir ce point de vue, mais il y a bien d’autres gens qui ne voient pas les choses ainsi. Nous en avons rencontré certains. Vous avez parlé de Stella, et je peux vous dire que bien de ces femmes que nous avons rencontrées n’étaient pas des victimes. Elles contrôlaient très bien leur propre vie et estimaient faire les choix qu’elles voulaient faire. Je suppose que vous pouvez dire non, ce n’est pas correct. Mais lorsque vous dites qu’elles ne disent pas toute la vérité, il est certain qu’il faut reconnaître qu’il y a d’autres points de vue et qu’il y a des gens qui abordent cette question sous l’angle de ce qu’est le consentement. Je suis d’accord avec vous au sujet de l’exploitation, mais d’après votre exposé, il ne peut qu’y avoir exploitation. J’ai un peu de difficulté avec cela, fondamentalement. C’est tellement catégorique. Mme Gunilla Ekberg : Non, ça ne l’est pas, c’est fondé sur une longue expérience - non pas seulement la mienne, mais celle de bien des gens qui travaillent dans le domaine, et aussi, particulièrement, sur l’expérience de femmes prostituées. Je vais vous énoncer trois questions auxquelles vous pourrez réfléchir. Premièrement, qui sont les prostituées et d’où venaient - elles ? Qui est exploité, pour la prostitution ? La réponse qui vient tout de suite, c’est que ce sont celles qui ont le moins de choix. Nous le savons d’après les recherches menées même ici au Canada et dans bien d’autres pays. Deuxièmement, il faut penser à ce que vivent les prostituées - non pas la version glorifiée, mais la réalité de ce que cela signifie que d’être prostituée, qu’on travaille dans la rue, dans un salon de massage ou dans les bordels luxueux du centre-ville de Vancouver. Qu’Est-ce que cela signifie ? Eh bien, nous avons parlé de la violence extrinsèque - et elle est partout. L’acte de prostitution lui-même, si ce n’est pas une relation sexuelle à égalité... et elle ne peut l’être si on est un homme qui utilise une femme qui est là non pas par libre choix mais parce qu’elle s’est retrouvée dans une situation où elle ne pouvait faire autrement. La troisième question qu’il faut se poser, c’est quelles sont les conséquences d’avoir été prostituée ? Qu’Est-ce que cela fait à quelqu’un ? Il faut penser aux dommages physiques et émotionnels ; les risques de ne pas trouver d’emploi parce qu’on a été prostituée ; le fait que des photos de vous circulent dans Internet éternellement, et si votre voisin de bureau en trouve une, vous vous retrouvez sans emploi. Je peux vous donner une longue liste. Je ne pense pas qu’il y ait d’égalité quand il y a inégalité du pouvoir. Ce n’est pas possible. Les femmes, quand elles sont prostituées, peuvent très bien sembler avoir le contrôle de leur situation, mais je ne pense pas que vous ou moi... Mme Libby Davies : Est-ce que ce n’est pas porter un jugement ? Mme Gunilla Ekberg : Pourquoi est-ce que ce serait porter un jugement ? Je ne vois pourquoi. Mme Libby Davies : Nous avons rencontré des femmes qui... Mme Gunilla Ekberg : La situation d’une femme prostituée est la même que celle d’une femme battue. La violence subie est normalisée. Pour supporter leur cette situation et trouver de la dignité dans l’abus subi, bien des femmes, évidemment, diront qu’elles l’ont choisi et que cela fonctionne pour elles. J’ai rencontré bien des femmes, dans bien des pays qui l’ont affirmé, mais lorsqu’on leur donnait le choix de quitter la prostitution et qu’elles avaient une chance de faire une rétrospective, elles pouvaient alors voir cette autre vie à laquelle elles avaient droit. Ce n’est pas que nous regardons de haut les prostituées. Tout au contraire, je pense que le mieux que nous puissions faire pour nos soeurs - parce qu’elles le sont - c’est de les aider à en sortir, et non pas de minimiser leur situation et de prétendre que l’une des pires formes de violence sexuelle du monde est quelque chose de bénin et qu’une femme choisit. C’est de la résignation, j’en suis fermement convaincue. Je vous remercie. Le président : Merci, madame Davies. Madame Fry. L’hon. Hedy Fry : Je dois revenir sur ce que disait Mme Davies. Je trouve que c’est une attitude très paternaliste à l’égard des femmes. Les femmes sont des êtres humains qui ont le droit de faire des choix, dans la mesure où il n’y a pas exploitation, dans la mesure où elles ne font pas ce qu’elles font parce qu’elles sont pauvres, toxicomanes, ou exploitées. En tant que médecin, je peux vous dire tout de suite que j’ai eu beaucoup de patientes qui sont venues me voir - et les patientes ont grande confiance dans leur médecin, alors elles nous disent des choses qu’elles ne disent à personne d’autres - des femmes qui étaient à l’aise, des femmes très instruites, qui ont choisi de faire cela parce qu’elles voulaient le faire pendant un certain temps, se faire un peu d’argent, puis faire autre chose ensuite ; il y en a beaucoup qui m’ont affirmé qu’elles se jugeaient en position de pouvoir parce qu’elles pouvaient tirer de ces hommes exactement ce qu’elles voulaient, quand elles le voulaient et de la manière dont elles le voulaient. Elles décidaient ce qu’elles feraient et ne feraient pas, et elles fixaient les critères de la manière dont elles s’engageaient dans la relation. J’ai de la difficulté à concevoir quelque chose qui est tellement ancré dans l’idéologie. Il est certain que le fondement du féminisme est de permettre aux femmes d’exercer un contrôle sur leur corps ; et lorsqu’une femme dit qu’elle a ce contrôle, et qu’on extraie l’élément de l’exploitation, de la violence et de la pauvreté - tous ces autres problèmes qui font l’exploitation des femmes qui n’ont pas de choix - je pense encore que les femmes ont des choix de s’y engager ou non. C’est ce qui me gêne beaucoup dans ce modèle. C’est un modèle très paternaliste qui traite les femmes comme si elles n’avaient pas assez de cervelle pour pouvoir faire des choix - et je dois le préciser - une fois supprimés les éléments de l’exploitation. Cela me pose vraiment un problème. J’aurais vraiment voulu pouvoir parler à des prostituées de la Suède pour savoir ce qu’elles pensent réellement de cette loi et si elle est vraiment efficace pour elles, plutôt que de n’entendre qu’une personne - avec tout le respect que je vous dois, madame Ekberg - qui a créé la politique, et qui dit que c’est ce qui a pu arriver de mieux depuis le pain en tranches. cela me pose des problèmes, c’est tout. Je vous remercie. Le président : Madame Ekberg. Mme Gunilla Ekberg : Bien sûr, nous pouvons ne pas être d’accord. C’est tout à fait normal. Mais je pense que pour pouvoir faire un choix, il faut avoir d’autres choix égaux, et s’il n’y a pas ces choix égaux, il n’y a pas de choix. C’est le fondement du féminisme. Un autre fondement du féminisme, c’est que nous luttons contre la violence à laquelle les femmes sont exposées, que ce soit la prostitution, le viol ou d’autres formes de violence masculine. Je pense aussi qu’il est bien malheureux que les femmes doivent entrer dans la prostitution pour pouvoir épargner de l’argent et vivre leur vie. Alors, nous devrions lutter pour nous assurer que les femmes n’aient pas à vivre dans une situation où elles ne reçoivent pas de prestations de l’État ou n’ont pas d’autre moyen de vivre sans avoir à se prostituer. Je ne pense pas que le système soit paternaliste, et je crois que nous veillons sur les intérêts des femmes. Ce qui est troublant, c’est d’entendre que nous essayons de sanctionner l’industrie de la prostitution et ceux qui exploitent ces femmes en disant que c’est un choix. C’est cela qui, je pense, est troublant - non pas que nous disions que les femmes ne devraient pas se prostituer. Je vous remercie. L’hon. Hedy Fry : Ce n’est pas ce qu’on dit. Le président : Merci, madame Ekberg. L’une de nos attachés de recherche a une question à poser. Laura. Mme Laura Barnett (attaché de recherche auprès du comité) : J’aimerais seulement pousser un peu plus loin une question qu’a posée M. Hanger, il y a un moment. L’un des objectifs de la loi suédoise est de réduire la violence contre les femmes. Y a-t-il des preuves, ou des conclusions de recherches voulant que la violence contre les femmes de façon plus générale, à part la prostitution, a été réduite après l’entrée en vigueur de cette loi ? Mme Gunilla Ekberg : Cette loi n’a pas été mise en oeuvre pour minimiser d’autres formes de violence masculine, alors ne faites pas ce lien. Mais j’aimerais faire un commentaire à ce sujet. On me demande souvent si, avec ceci, le nombre de viols a augmenté en Suède. Ce que j’aimerais signaler, c’est que dans les pays où la prostitution a été normalisée - c’est-à-dire lorsqu’il est tout à fait acceptable que les hommes achètent et exploitent sexuellement les femmes ou les enfants ou les jeunes hommes, ou quoi encore - on fait en sorte que les femmes soient objectivées et sexualisées, et c’est alors que la violence est en hausse. Si vous regardez les pays comme les Pays-Bas, comme l’Allemagne, et vous y réfléchissez bien, vous pouvez voir que le nombre de touristes du sexe par habitant, dans ces pays, est bien plus élevé que chez-nous et ailleurs où il existe une loi pour essayer de restreindre cette activité. Plus on normalise l’objectivation sexuelle des femmes, plus la violence augmente, et c’est tout à fait logique. Le président : Madame Ekberg, je vous remercie d’être venue témoigner ce soir. Nous apprécions beaucoup votre apport et votre point de vue. Nous en tiendrons compte dans la rédaction de notre rapport. Je vais demander au comité d’ajourner la séance pendant deux minutes pour que nous puissions passer à huis clos, et nous reprendrons ensuite. [La séance se poursuit à huis clos.] Source : Site du sous-comité. Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 octobre 2005. |