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vendredi 4 novembre 2005 Le Parti québécois élira-t-il son fossoyeur le 15 novembre ?
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« Quand allons-nous sortir de cette manie morbide de chercher notre "salut" en un jeune « héros » ? se demande un jeune homme lucide. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que nous n’arrivions pas à élire une femme cheffe de parti ou Première ministre. Ça nous prend le héros viril qui va se battre, épée au poing, envers et contre tous, pour nous sauver. Un rôle typiquement masculin qui plaît à trop d’hommes et de femmes, peu importe la génération dont ils et elles sont issu-es ». L’aspiration au "salut" et la pensée magique imprègnent la société québécoise, toujours prête à s’inventer des héros, plus rarement des héroïnes, qui prendraient à bras-le-corps, en son nom et sans effort, son destin. Aux yeux de plusieurs, André Boisclair, que l’on dit favori dans la course à la direction du Parti québécois, incarnerait ce chevalier sans peur et sans reproche capable de mener le Québec sur la voie de la réussite (néocapitaliste, bien sûr) et de l’indépendance. Dans les tribunes des médias, on a comparé l’engouement qu’il suscite auprès des jeunes à la trudeaumanie des années 70… Sans vouloir offenser le candidat Boisclair, je ne crois pas que la comparaison tienne à l’envergure intellectuelle et politique des deux hommes. Dans la quête d’un messie, il me semble que le niveau d’exigences baisse... Voter pour des icônes ? Les phénomènes de masse, qui prêtent une auréole à des individus dont on verrait plutôt les cornes si on n’était pas aveuglé par un si grand besoin de salut, me laissent perplexe. Comme on s’agenouillait autrefois devant des images religieuses pour demander pardon de fautes réelles ou imaginaires, aujourd’hui, on s’agenouille devant des hommes politiques comme devant des vedettes de musique pop, en leur accordant d’avance l’absolution pour n’importe quoi et en les suppliant d’être notre miroir, aussi déformant soit-il. Que l’aspiration au changement soit le principal, voire le seul critère de choix pour nombre de partisan-es du candidat Boisclair a de quoi faire réfléchir. Quel changement bénéfique pour la société québécoise peut-on attendre de lui dans les domaines social, politique et économique ? Quel espoir peut-il susciter aux yeux de ceux et de celles qui aspirent à un Québec progressiste, équitable et éventuellement indépendant ? Il a beau représenter une génération plus jeune que celle qui a jusqu’ici dirigé son parti, il incarne davantage le conservatisme que le progrès social et économique. Soutenir un candidat parce qu’il est de notre génération, qu’on le trouve sympathique, qu’il représente une certaine marginalité (que plusieurs prennent pour du courage), ou encore, par compassion, ce n’est pas très sérieux. D’ailleurs, les jeunes ne sont pas tous derrière André Boisclair, comme on voudrait nous le faire croire. Des articles et des commentaires sur cette grande autoroute de l’information et du bavardage qu’est le réseau Internet nous transmettent d’autres échos. Tantôt des cégépien-nes le reçoivent fraîchement, tantôt d’autres affirment ne pas se reconnaître en lui. Comme Mario Dumont, la première préoccupation déclarée du candidat Boisclair est la réduction de la dette. Il semble aussi plus proche de la vision socio-politique de Lucien Bouchard que de celle de n’importe quelle personnalité souverainiste actuelle ou passée. Pas étonnant qu’il ait accueilli favorablement le « manifeste des parvenus » dont Lucien Bouchard s’est fait récemment le propagandiste et dans lequel Jacques Parizeau voit un épouvantail pour faire peur au monde. Une fois élu à la tête d’un gouvernement, André Boisclair s’empresserait-il, comme Lucien Bouchard, de satisfaire les grandes entreprises en organisant des « sommets » pour jeter de la poudre aux yeux des citoyens et des citoyennes et les encourager à accepter des diminutions de salaires sous la menace de perdre leurs emplois ? Quant à l’engagement souverainiste du candidat Boisclair, aurait-il survécu à son séjour dans les milieux d’affaires de Toronto ? Un homme politique sans envergure Si on se fie à l’expérience politique de l’ex-ministre Boisclair, on n’y trouve aucune trace d’une vision prometteuse de la société québécoise ni aucune compétence particulière le disposant à diriger un parti ou un gouvernement. André Boisclair a été ordinaire, et parfois moins qu’ordinaire, aux commandes des ministères qu’on lui a confiés. Il était ministre de l’Immigration et de la Solidarité sociale quand le gouvernement de Lucien Bouchard s’est engagé sur la voie du déficit zéro, au mépris des services publics et des personnes les moins favorisées de la société. Quand on a sapé dans les programmes sociaux touchant les plus démunis, des jeunes notamment, j’avais écrit au ministre de la soi-disant "solidarité sociale", lui suggérant de modifier le nom de son ministère qui me semblait une imposture. Certains ne lui ont pas pardonné son ironie cruelle lors des débats sur la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale (« Pourquoi pas une loi contre la pluie ? »). Il était au même ministère lorsque le gouvernement Bouchard et son ministre des Finances, Bernard Landry, ont traité avec arrogance les demandes pourtant légitimes de la Marche mondiale des femmes. Au ministère de l’Environnement, André Boisclair a fait adopter sur papier une belle politique de l’eau sans les moyens concrets de protéger cette ressource collective. Il se vante d’avoir joué un rôle essentiel dans l’adoption du protocole de Kyoto, mais on se demande bien lequel. Si son parti avait gardé le pouvoir, le candidat Boisclair aurait été favorable au projet du Suroît que la population a obligé le gouvernement Charest à abandonner. Il ne s’est pas illustré davantage au ministère des Affaires municipales. Une erreur de jugement Une chape de silence s’est abattue soudain sur "l’erreur de jeunesse" du candidat André Boisclair qui a reconnu avoir consommé de la cocaïne lorsqu’il était ministre. Cette affaire a donné une sorte d’auréole à un candidat somme toute assez terne et sa cote de popularité a monté dans les sondages. Les voies qui incitent à placer quelqu’un sur un piédestal sont parfois insondables… Le Parti québécois, qui a tout fait pour banaliser et étouffer cette affaire, n’en sortira pas grandi. Il sera jugé tôt ou tard sur l’impression qu’il a laissée d’avoir autre chose à cacher et d’autres personnes à protéger. De plus, il envoie un message très ambigu à la population, en particulier aux jeunes : ce n’est pas grave de consommer de la cocaïne quand on occupe de hautes fonctions au sein d’un gouvernement, car on jouit de l’immunité. Sans compter l’occultation des conséquences graves que la consommation de drogues dures entraîne chez plusieurs. Le candidat André Boisclair ne mérite pas d’être crucifié pour cette erreur de jugement. Mais il est faux de prétendre qu’il s’agisse d’un incident privé, banal et sans conséquence. Ceux et celles qui le prétendent sont irréalistes ou font de la dénégation, un mécanisme de défense humain bien connu qui survient souvent quand il s’avère trop difficile de regarder la vérité en face. Quand l’incident s’est produit, André Boisclair était chargé d’administrer les affaires de l’État dans un ministère dont il était responsable. A-t-il tenu compte des conséquences que ses actes pouvaient entraîner pour son parti, ses collègues, le gouvernement et, par ricochet, ses concitoyen-nes ? Il s’est campé dans le rôle de victime des médias quand ces derniers ont révélé l’affaire, comme s’il était moins répréhensible, pour un ministre, de poser des gestes illégaux et téméraires exposant son gouvernement aux pressions et au chantage, que pour les médias de rapporter le fait. On se réjouit que les médias aient assuré une « couverture » complète du « scandale des commandites », mais on voudrait qu’ils ne s’interrogent pas sur les écarts dans le camp souverainiste. La population a le droit d’être informée de ce qui se passe dans la cour des politiciens de toute tendance, si elle veut faire des choix éclairés. Si consommer, et donc acheter illégalement de la cocaïne, est un acte banal pour un ministre ou pour d’autres personnes en position de pouvoir, alors finissons-en avec l’hypocrisie. Cessons d’appliquer deux poids, deux mesures dans l’administration de la justice. Cessons de pénaliser les citoyen-nes ordinaires pour des actes semblables. Cessons de disqualifier les athlètes qui consomment toutes sortes de drogues pour mieux performer et, d’abord, cessons de nous faire croire que le silence imposé sur cette affaire relève simplement du respect de la vie privée. Je navigue à contre-courant et je paraîtrai sans doute iconoclaste en affirmant que le Parti québécois s’apprête, si l’on en croit les sondages, à miser sur le mauvais cheval. Le candidat André Boisclair n’a pas l’étoffe d’un chef de parti ni d’un futur premier ministre. En outre, dans une lettre au Devoir, Pierre Vadeboncoeur signalait gentiment que le candidat Boisclair s’était mis lui-même (et son parti avec lui) dans une position vulnérable qui ne lui permettrait pas, s’il était choisi, de redonner le pouvoir au Parti québécois à la prochaine élection. Outre le fait qu’on lui rappellerait sans cesse un acte irresponsable et ses erreurs de jugement, les militantes et les militants péquistes auraient eu tout le temps de constater la ressemblance entre les visions socio-économiques d’André Boisclair, de Mario Dumont et de Jean Charest. La population québécoise, elle, pourrait se demander s’il vaut la peine de changer pour du pareil au même. André Payette rappelait que si le camp fédéraliste a pu jouer impûnément avec les résultats du dernier référendum et même violer la loi, il pourrait, au moment opportun, exploiter l’affaire de la cocaïne : « Si Ottawa décidait de faire intervenir la GRC dans l’affaire Boisclair avant la prochaine élection ou au moment du référendum, écrit-il, on ne sait pas ce qui en résulterait, mais on apprendrait peut-être bien des choses. Et le simple déclenchement connu d’une enquête policière dans une affaire de drogue illicite suffirait à renverser la vapeur favorable à une élection ou à un référendum ». Et quand la vague se brisera ? Une sorte de vague artificielle, pour ne pas dire virtuelle, semble porter pour l’instant le candidat Boisclair, mais qu’arrivera-t-il lorsque la vague se brisera ? Cela se produira inévitablement, et peut-être plus tôt qu’on ne le pense : on ne sait pas si l’avance du candidat Boisclair dans les sondages traduit les intentions de vote de véritables péquistes ou d’adversaires masqués pour l’occasion... S’il est élu, André Boisclair aura à assumer le poids du pouvoir, moins grisant sans doute que des tournées dans les cégeps et les universités où on l’acclame. Il aura à faire face à des publics autrement plus exigeants. Sera-t-il capable de supporter la critique et la pression, lui qui s’est senti agressé parce que les journalistes, faisant leur travail, l’interrogeait sur l’affaire de la cocaïne ? Sur son blogue, ses partisan-es ont déjà trouvé une parade : formuler des critiques à l’égard du candidat Boisclair serait faire preuve d’homophobie... Pour diriger un parti politique, il me semble qu’il faut d’abord avoir des idées à proposer, une compétence administrative éprouvée, un jugement sûr, avoir à la fois du coeur et la tête froide, et ne pas se laisser conduire par ses impulsions et ses problèmes personnels. Pour diriger le Parti québécois en particulier, il faut peut-être une main de fer dans un gant de velours afin de « gérer » les perpétuels tiraillements et concilier les factions. Si les péquistes croient qu’André Boisclair est cette personne et lui confient l’héritage et l’avenir de leur parti, je crains qu’ils ne doivent assumer la responsabilité de la déroute éventuelle du Parti québécois et de l’échec du prochain référendum. Ce ne sera pas la faute du "fédéral", des médias ou de quelqu’un d’autre, ce sera la leur. Avec André Boisclair, le Parti québécois a peut-être gagné des milliers de membres "de circonstance", mais il pourrait en perdre davantage avant de se rendre à la prochaine élection. Qui sait si ce parti ne devra pas mener une autre campagne à la direction dans trois ou quatre ans ? Il est peut-être exagéré de prédire au Parti québécois le sort de l’Union nationale, mais qui connaît l’avenir ? Le risque que s’apprêterait à prendre les militants et militantes en plaçant André Boisclair à la tête du Parti québécois paraît d’autant plus réel que s’annonce sur la scène politique un nouveau parti qui pourrait rallier, grâce à un programme social et politique audacieux, l’essentiel des forces progressistes et un large pan de la population. – Lire également : Le facteur "sexe" dans la course à la direction du Parti québécois
Sources – « Je n’ai jamais acheté de cocaïne », dit Boisclair, sur Radio-Canada
Mis en ligne sur Sisyphe, le 1er novembre 2005 |