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lundi 5 décembre 2005


Commémoration du 6 décembre
Contrer encore et toujours le ressac anti-féministe et la violence faite aux femmes

par Marie-Ève Surprenant et Manon Monastesse, Table de concertation de Laval en condition féminine.






Écrits d'Élaine Audet



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Le 6 décembre 1989, un jeune homme assassinait 14 jeunes femmes étudiantes en ingénierie à l’école Polytechnique de Montréal infligeant des blessures physiques et psychologiques à plusieurs autres. Ces blessures, la société québécoise et le mouvement des femmes, en particulier, les portent toujours puisque certains aspects de cette tragédie ont longtemps été et demeurent encore occultés.

Le 6 décembre 1989 : un point de rupture pour la société québécoise

S’il est courant de parler de la violence qui s’exerce à l’encontre des femmes lors de la journée de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, il est plus rare qu’on aborde les résistances, voire le ressac anti-féministe qui se déploie en réaction aux avancées des femmes.

En ce sens, le 6 décembre 1989 marque un point de rupture dans la société québécoise puisque que par cet acte d’une violence inouïe, la peur, la rage et le ressentiment d’une société s’exprimaient face à un changement social dont les bouleversements ébranlaient les fondements même des rapports sociaux de sexe. Si cet acte de violence a été fortement dénoncé, il n’a jamais été reconnu formellement comme sexiste à l’encontre des femmes. On parle plutôt d’un acte isolé, le dessein d’un fou, plutôt que d’y voir en filigrane le reflet du sexisme et de la violence faite aux femmes qui perdurent dans notre société.

En effet, l’après-Polytechnique peut être qualifié de backlash ou de ressac à l’égard du féminisme et des acquis des femmes. Au Québec, comme dans la plupart des pays occidentaux, le féminisme fut mis au banc des accusés. Les chefs d’accusation : l’accroissement du taux de divorce, l’éclatement des familles, la crise identitaire masculine et, plus récemment, le décrochage scolaire et le taux de suicide élevé des garçons, la discrimination du système civil de justice à l’égard des pères concernant la garde des enfants, etc.

Le drame de Polytechnique, plutôt que de nous faire prendre conscience de l’ampleur de la violence qui s’exerce à l’encontre des femmes et, ce, dans une société où l’égalité entre les sexes serait soi-disant atteinte, a davantage ouvert la porte à des questionnements quant à la pertinence aujourd’hui d’un mouvement féministe au Québec. Des questions telles que le féminisme est-il allé trop loin ? Les hommes sont-ils victimes du féminisme ? ont commencé à fuser de toutes parts.

Depuis les années 1990, on remarque une prolifération du discours anti-féministe, largement repris par les médias. Ce discours possède de multiples facettes mais, toutes tendances confondues, l’idée principale demeure que les femmes sont maintenant égales aux hommes et en revendiquant à outrance, elles ont réussi à transformer la majorité des sphères de la société à leur avantage, les hommes étant maintenant les victimes d’un système matriarcal injuste.

La victimisation des hommes est en effet une pratique fort utilisée par les anti-féministes pour mettre à l’avant-scène leurs problèmes, niant par le fait même la discrimination systémique qui s’exerce envers les femmes. Sans pour autant sous-estimer les problèmes masculins et la nécessité de leur offrir un support et des ressources, il est important de rappeler que ceux-ci ne peuvent être rattachés à la discrimination sexuelle, mais relèvent davantage de l’ordre du social. En effet, situer les hommes comme victimes de discrimination sur la base du sexe serait nier l’existence de la société patriarcale et l’oppression historique des femmes par les hommes.

Or, cette tendance à la victimisation des hommes et à la symétrisation des problèmes des hommes et des femmes, notamment en ce qui a trait à la violence, est de plus en plus courante. À cet effet, il n’est pas rare d’entendre sur toutes sortes de tribunes que les femmes sont aussi violentes que les hommes et que les chiffres sur la violence conjugale seraient outrageusement gonflés par les féministes et les intervenantes auprès des femmes et des enfants victimes de violence, afin d’obtenir plus de ressources financières de la part du gouvernement. Ces discours, bien que choquants, reflètent bien l’ampleur et la portée de l’anti-féminisme au Québec.

La présence bien enracinée de l’anti-féminisme dans notre société se profile aussi lors d’événements dédiés à la réflexion et à commémoration de la situation des femmes dans le monde et de leurs réalités spécifiques, tels la journée Internationale des femmes du 8 mars et la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes du 6 décembre. La pertinence de ces dates anniversaires a été remise plus d’une fois en question au cours des dernières années, lorsqu’elles n’ont pas servi tout simplement à mettre en exergue les revendications de certains groupes d’hommes en faveur de ressources pour hommes violents et victimes de violences. Ce détournement éhonté des actions de commémoration banalise non seulement la violence qui s’exerce à l’encontre des femmes, mais mine de façon désastreuse le travail des intervenantes qui agissent en première instance auprès des femmes et des enfants victimes de violence.

La désinformation et la banalisation de la violence à l’égard des femmes sont telles que les intervenantes doivent non seulement déployer de nombreux efforts pour rétablir les faits en ce qui concerne la problématique de la violence conjugale dans la population en général, mais elles doivent également faire un travail de sensibilisation auprès des femmes hébergées qui, pour la plupart, ont intégré les discours sur la symétrisation de la violence homme/femme. Le cycle de violence est reconnu beaucoup plus tardivement qu’auparavant par les femmes, symptôme de l’intégration massive des discours anti-féministes par la population.

Or, la violence qui s’exerce envers les femmes est loin d’être un phénomène en décroissance. Encore plus alarmant, les jeunes filles de 12 à 17 ans représentent le groupe d’âge le plus victimisé, la violence s’exerçant déjà dans les premières relations amoureuses (1). Notons également que la principale clientèle des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence est âgée de 20 à 24 ans. Pour que cesse la violence faite aux femmes et pour que toutes puissent vivre dans le respect de leur intégrité et dans la dignité, il est plus que jamais nécessaire que les femmes rétablissent les faits en matière d’égalité et de violences faites aux femmes et aux enfants. (Marie-Ève Surprenant)

La violence conjugale, expression d’une société matriarcale ?

La perspective mise en lumière par ma collègue concernant le ressac anti-féministe nous amène à analyser les revendications de certains groupes d’hommes et de pères portés par la montée de la Droite conservatrice, pour qui nous vivons désormais dans une société matriarcale où la violence est devenue symétrique. Notre société autrefois patriarcale, depuis quelques millénaires à peine, s’est soudainement transformée en un demi-siècle en matriarcat institutionnalisé. Dans une telle société, c’est-à-dire où tous les pouvoirs (économique, politique, social et religieux) seraient structurés, détenus et contrôlés par et pour des femmes, la problématique des violences faites aux femmes et la tuerie de la Polytechnique seraient-elles réellement possibles ? N’oublions pas que ces jeunes filles sont mortes parce qu’elles aspiraient à exercer un métier qualifié de « masculin ».

Un cheval de bataille de ces groupes, dont certains ont fait la manchette récemment, est la garde des enfants octroyée de façon, disons, « sexiste », majoritairement aux mères. Le mouvement international pour les droits des pères réclame donc, comme ici au Canada devant les comités gouvernementaux de consultation sur la garde et les droits de visite, que la garde partagée soit obligatoire nonobstant la situation, considérant que le système juridique est favorable aux requêtes des mères et prétextant de plus, que les actes de violence de certains d’entre eux ne sont en fait qu’une réponse à la privation, par les femmes, de leurs droits paternels légitimes.

Pourtant, approximativement dans 78% des cas de séparation ou de divorce, la garde des enfants se règle hors Cour, la garde partagée se situant à environ 20 % des cas (2). Le système juridique civil est-il vraiment pro-mères vu sous cet angle ? Devons-nous rappeler également que ce n’est qu’en 1977 que la notion d’autorité paternelle a été modifiée en autorité parentale, suite à l’amendement du Code civil, l’égalité entre conjoints concernant la responsabilité des enfants est alors enfin reconnue au plan législatif. Force est de constater que les mères ne possèdent de droits juridiques face à leurs enfants que depuis à peine 30 ans.

Violences, droits et garde d’enfant

S’il était si évident pour les mères, comme l’affirment certains groupes d’hommes, d’obtenir des droits supervisés et même d’empêcher les contacts avec le père dans un contexte « normal » de séparation, nous ne serions pas devant bon nombre de situations critiques mettant en danger des enfants dans un contexte de violence conjugale ou d’agressions à caractère sexuel. En effet, comment un homme ayant assassiné la mère de ses enfants devant ceux-ci peut-il en obtenir la garde ? Comment un père, qui a commis l’inceste sur ses deux filles aînées peut-il, grâce à ses droits d’accès, à nouveau commettre l’irréparable sur les deux plus jeunes ? Parlons-nous ici d’une propension du système juridique civil à contrer les droits des pères ? Et dans le cas de la tuerie de la Polytechnique, Marc Lépine ayant lui-même été témoin et victime de violences de la part de son père, aurait-il agi ainsi - sans vouloir excuser son geste - s’il avait été protégé de cette influence paternelle des plus négatives et que sa mère avait été soutenue ?

L’on parle beaucoup des droits des individus, mais que fait-on du droit des victimes à la protection ? Contrairement à ce que l’on croit, et souvent par l’intermédiaire des droits d’accès aux enfants, la violence peut se poursuivre après la séparation, et c’est à ce moment que peut survenir la première agression physique contre l’ex-conjointe (37%). La séparation est aussi un facteur aggravant en ce qui concerne le taux d’homicide à l’endroit des femmes. Les ex-conjoints sont responsables de 28% de tous les homicides contre les femmes. De plus, environ la moitié (49%) de ces homicides surviennent dans les deux mois suivant la séparation, 32% entre deux et douze mois après et 19% après plus d’un an de séparation (3). Ce droit à la sécurité est pourtant un leitmotiv de la politique gouvernementale en matière de violence conjugale, Prévenir, dépister, contrer la violence conjugale, mise en place depuis 1995 et qui reconnaît que la violence conjugale est un rapport de pouvoir qui s’exerce dans la majorité des cas contre les femmes et les enfants.

Un des faits les plus inquiétants, au plan international, est celui survenu en mai 2002, où les États-Unis, le Vatican et les pays musulmans conservateurs ont bloqué le programme d’action relié à la Convention internationale des droits de l’enfant parce qu’elle subordonne « l’autorité parentale » aux droits des enfants. Face à cette opposition liée à la montée de l’influence du lobby des groupes d’hommes et de pères, assisterons-nous, dans la réforme de la Loi canadienne du divorce et du droit de la famille, à un glissement idéologique des droits de l’enfant aux droits à l’enfant avec toutes les conséquences que ce dérapage comporte dans un contexte de violence conjugale ou d’agressions à caractère sexuel ?

Si nous vivions, tel que le pense nombre de groupes d’hommes, dans une société matriarcale au sein de laquelle les manifestations de la violence se répartiraient de façon symétrique entre hommes et femmes, jamais nous n’aurions à batailler constamment pour maintenir et améliorer les droits des femmes à l’équité dans tous les domaines, jamais nous n’aurions vécu de 6 décembre, jamais nous n’aurions à craindre beaucoup plus pour la sécurité des victimes de violence conjugale et d’agressions à caractère sexuel lorsque celles-ci seraient des femmes et des enfants.

Le ressac actuel démontre clairement que beaucoup de chemin reste à faire ici et ailleurs pour construire une société fondamentalement égalitaire, seule garante d’un environnement social, politique, économique et religieux sans rapports de pouvoir et de violences. (Manon Monastesse)

Notes

1. Enquête sur l’homicide (2001), Centre canadien de la statistique juridique (1991 à 1999), Statistique Canada.
2. Brossard, Louise (2004), Journée préparatoire à la Commission parlementaire portant sur le concept d’égalité et la politique en condition féminine, Fédération des femmes du Québec.
3. Enquête sur l’homicide (2001), Centre canadien de la statistique juridique (1991 à 1999), Statistique Canada.

Marie-Ève Surprenant M.A.
Coordonnatrice
Table de concertation de Laval en condition féminine
Tél. : 450-682-8739

Manon Monastesse M.A.
Coordonnatrice
Table de concertation en violence conjugale et agressions à caractère sexuel de Laval
Tél 514-284-3002

Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 décembre 2005.



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Marie-Ève Surprenant et Manon Monastesse, Table de concertation de Laval en condition féminine.



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