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jeudi 29 décembre 2005

La longue marche des femmes en Iran

par Marina Forti, journaliste






Écrits d'Élaine Audet



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Article original paru dans l’édition de samedi 25 juin, du quotidien italien Il Manifesto. Traduit de l’italien au français par Marie-Ange Patrizio, pour Attac et publié dans le Grain de sable, Courriel d’information d’Attac, no 534, mercredi le 30 novembre 2005.

Merci à Jean-François d’Attac d’avoir obtenu pour nous les autorisations de reproduire cet article.

Pour vous abonner à Attac : http://france.attac.org/a3652

Dehors, il n’y a rien d’écrit, même pas un nom sur la sonnette. Après le portail, quelques marches descendent à un petit appartement à moitié enterré, qui donne sur un minuscule jardinet. Des rayonnages sur toutes les parois, des tables en bois clair, deux ordinateurs. Nous sommes à la Bibliothèque des Femmes, première bibliothèque et centre de documentation féministe en Iran, où nous accueille Mansoureh Shojai qui, pour se consacrer à ce projet, a pris sa retraite de la Bibliothèque nationale où elle travaillait depuis des années. Pour nous expliquer la genèse de la Bibliothèque, Mansoureh parle du 8 mars de l’année 2000, quand un petit groupe de femmes comme elle s’est retrouvé à la librairie BookCity de Téhéran.

C’était la première fois qu’elles essayaient de célébrer la fête de la lutte des femmes de façon publique (« Dans la république islamique, la ’journée de la femme’ est plutôt l’anniversaire de la naissance de Zohra, la fille du Prophète », explique-t-elle). Elles, par contre, parlaient des droits des femmes, du droit de la famille qui en fait des citoyennes de deuxième classe, de violence domestique. Il y avait là des journalistes, des juristes, des noms connus et moins connus, des activistes des droits civiques, et ça se passait à un moment d’affrontement très dur en Iran, entre un gouvernement réformiste et un système politique résistant à tout changement.

De fait, peu de temps après, deux d’entre elles, l’éditrice Shahla Lahiji et l’avocate Mehranguiz Kar, ont été arrêtées : elles faisaient partie d’un groupe d’intellectuels qui avait participé à une conférence à Berlin sur l’avenir des réformes politiques et sociales en Iran, invités par l’Institut Heinrich Boell. Cette conférence (c’était en avril 2000) restera fameuse parce que, à leur retour, de nombreux participants iraniens se sont retrouvés à Evin, la prison de Téhéran (Lahji et Kar ont d’abord été jugées à huis clos, puis après la protestation de leur avocate Shirin Ebadi, en audience publique, et condamnées pour atteinte à la sécurité de l’Etat et propagande contre le système islamique).

La première manifestation

Finalement, deux années ont passé avant que ces femmes n’osent faire une manifestation en public, le 8 mars 2003. Entre-temps cependant, nous explique Shojai, elles avaient décidé de se déclarer légalement comme « ONG », organisation non gouvernementale, pour pouvoir tenir des activités publiques : elles ont pris le nom de « Markaz-e Farhanghi-e Zanan, « Centre culturel des femmes ». En 2002, elles ont lancé une campagne contre la violence sur les femmes. « Notre objectif de fond est de travailler pour développer le niveau de conscience des femmes, et faire entrer leurs revendications dans les questions sociales plus larges ». Le centre culturel a constitué différents groupes - dont un qui s’occupe du site Web www.iftribune.com (cliquer sur « about us », il y a des pages en anglais). Un autre organise des séminaires, et elles parcourent tout le pays pour rencontrer des groupes de femmes : elles discutent de problèmes liés au statut légal des femmes ou à la santé. Elles ont travaillé à Bam, la ville sinistrée par le tremblement de terre, où la reconstruction n’a pas encore vraiment démarré et où beaucoup de femmes doivent s’occuper de leurs familles et de leur survie dans des camps de réfugiés assez précaires. Elles sont allées chez les femmes afghanes (des milliers d’afghans sont en Iran, en tant que réfugiés), elles ont organisé des séminaires sur la prostitution ou sur la violence domestique. Un groupe s’est consacré à la Bibliothèque.

Ça n’a pas été facile, dit Mansoureh Shojai. Le projet remonte à mars 2003, mais la bibliothèque que nous voyons maintenant n’a été ouverte qu’en mars de cette année, après mille difficultés, dont l’une a été de récolter des fonds. « Une bibliothèque de femmes est une école de conscience », pense Shojai. Elle parle d’un concert organisé pour recueillir des fonds pour la bibliothèque, mais peu de temps après, il y a eu le tremblement de terre de Bam et elles ont utilisé la moitié de la recette pour les aides. Elles ont refusé des subventions internationales, parce que recevoir des fonds de l’étranger peut mettre dans une position difficile vis-à-vis des autorités et induire des soupçons (« faire un travail intellectuel dans un pays comme le notre comporte des problèmes compliqués »). En somme, elles se gèrent à partir de petites contributions privées, et des apports des lectrices usagères de la bibliothèque.

La Bibliothèque des Femmes a plusieurs projets d’expansion, parmi lesquels un prix littéraire, du nom d’une écrivaine et activiste iranienne du début du 20ème siècle, une de ces femmes qui ont inspiré des générations de féministes iraniennes : Sedigheh Dulat-Abadi (1882-1961) dont le beau visage couronné de cheveux gris nous regarde d’un poster affiché sur le seul fragment de paroi qui ne soit pas occupé par des livres. « Ensuite nous voulons faire une bibliothèque mobile, pour apporter les livres dans les zones les plus modestes du pays, où beaucoup de femmes et de fillettes liraient si elles en avaient l’occasion ». Mansoureh Shojai l’appelle « bibliothèque aux pieds nus » et explique que c’est son idée fixe depuis plusieurs années. « Nous avons fait la première tentative dans les camps de réfugiés afghans dans la province de Mashad (au nord-est de l’Iran, NDR). Il y a quelques activistes afghanes très compétentes qui coordonnent ces camps, on en avait entendu parler. Cependant, nous ne savions pas comment leur apporter les livres ; pour commencer, nous les avons portés tout simplement dans des sacs à dos, puis, on les a distribués par l’intermédiaire de volontaires afghans ». La bibliothèque aux pieds nus et sacs à dos... « L’Unicef a apprécié l’idée, maintenant nous pourrons la développer dans d’autres provinces du pays avec son aide ».

« Dans nos vies quotidiennes et dans l’action sociale, nous luttons contre la discrimination et contre les traditions patriarcales », lit-on sur le site du Centre Culturel des Femmes. C’est ce que disaient en effet les femmes courageuses qui se sont rassemblées le dimanche 12 juin devant l’Université de Téhéran, avec l’intention de mettre aussi dans la campagne électorale la requête de modification de la Constitution sur les points qui sont discriminatoires à l’égard des femmes. Dans cette manifestation, certaines activistes s’étaient relayées au mégaphone pour lire une liste de revendications, résumées par la parité des droits face à la loi : « Nous demandons des droits égaux pour que les instruments légaux nous donne le pouvoir d’arrêter les mariages forcés, de garantir aux mères la garde de leurs enfants, de prévenir la polygamie officielle et non officielle et garantir la parité dans le divorce ; de lutter contre la mesure légale qui assigne à la femme la moitié de la valeur de l’homme ; de développer le droit des jeunes femmes à décider de leur propre vie ; de prévenir les suicides de femmes désespérées, les délits d’honneur, la violence domestique, d’instituer des protections pour les femmes, d’institutionnaliser la démocratie et la liberté dans notre société. »

Il y avait des femmes de tous âges, à cette manifestation, et d’âge très divers aussi sont celles que je vois absorbées dans la lecture, à la Bibliothèque du petit appartement sans plaque. Elles sont en train de faire une longue marche, les femmes iraniennes : commencée au lendemain de 1979, quand nombre d’entre elles avaient pris part à la Révolution pour s’entendre dire après, par la plus grande partie de la société, que leur place était mise à l’écart, à la maison, dans le plus traditionnel des rôles, quand la révolution iranienne est devenue « Révolution islamique », et quand le vêtement musulman est devenu la loi de l’État.

Le discours de Khomeiny

Il restera fameux, ce discours, en 1979, de l’ayatollah Khomeiny, fondateur et guide suprême de la république islamique : « Chaque fois que dans un autobus un corps féminin frôle un corps masculin, une secousse fait vaciller l’édifice de notre révolution » (il faut admettre qu’il reconnaissait un grand pouvoir au corps féminin...). De nouvelles lois abaissèrent l’âge du mariage (chose qui n’est pas écrite dans le Coran mais dans des traditions arriérées, objectèrent certaines), abolirent le droit des femmes au divorce (alors que les maris peuvent répudier leur femme), adoptèrent l’appareil de mesures qu’on attribuait au Coran concernant le statut légal des femmes : l’hérédité est réduite de moitié par rapport aux frères, le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme, même le « prix du sang » compte moitié moins (l’indemnisation qu’un assassin peut payer à la famille de la victime, et éviter la prison). Révolution contradictoire, cependant : parce que, recouvertes de leur tchador, de nombreuses fillettes et jeunes filles des couches les plus basses et les plus traditionalistes de la société sont finalement allées à l’école (aujourd’hui, presque 80 % des Iraniennes de plus de six ans savent lire et écrire, contre 36 % en 1976). Même le militantisme musulman a été un moyen de sortir.

La reconquête de l’espace public a été lente, mais inexorable. L’idéologie disait aux femmes de rester à la maison, les événements les ont poussées dehors : la longue guerre entre Iran et Irak (1980-1988), les crises, la nécessité de travailler. Peu à peu la génération qui avait dû subir le tchador a trouvé des portes de sortie : d’abord dans les fondations « révolutionnaires » institutionnelles, ensuite dans le nombre impressionnant d’organisations indépendantes nées dans les années 90 : des groupes de toutes sortes, depuis l’assistance aux enfants des rues, jusqu’à la promotion de cours de peinture ou d’activités culturelles - presque à chaque fois les protagonistes sont des femmes. Des ménagères d’âge moyen ont ainsi redécouvert un rôle de citoyennes. Celles qui avaient une profession l’ont reprise. Des femmes magistrates exclues de la carrière juridique sont devenues avocates pour défendre les droits des femmes. Récemment quelques-unes ont pu reprendre leur charge de magistrat, même si ce n’est encore que pour des causes civiles. Les générations qui ont grandi sous le hijab cherchent des voies d’indépendance. Une petite patrouille de députées a mené au parlement des batailles sur le divorce et la garde des enfants, ou contre le mariage des fillettes, déjà avant la présidence de Mohammed Khatami, qui, à peine élu, en 1997, avait concédé ce fameux entretien au mensuel Zanan (« Femme ») où il reconnaissait aux Iraniennes un rôle de protagonistes dans la société. Et elles sont des protagonistes : depuis les universités, où 65% des inscrits sont des filles, jusqu’au monde du travail, à la scène culturelle, au cinéma, au journalisme et aux organisations sociales, où il semble que tout repose sur l’initiative de milliers de femmes.

Cependant, des lois reconnaissant les droits des femmes continuent à faire défaut, dit Mansoureh Shojai, et elle craint déjà une période difficile : si la présidence va aux fondamentalistes de Ahmadi-nejad, ils promettent de restaurer les coutumes musulmanes qui sont désormais un peu délaissées. « La société iranienne, et en particulier sa composante féminine, a toujours été plus avancée que ses lois et ses institutions, dit Shojai. Nous n’accepterons pas de revenir en arrière. Nous utiliserons tous les espaces possibles. »

Edition de samedi 25 juin de il manifesto.

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 décembre 2005.



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Marina Forti, journaliste



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