Les hommes préfèrent largement le discours apolitique sur la prostitution qui la ramène à un choix individuel des femmes prostituées. Ainsi, puisqu’ils ont l’argent, ils payent le viol des femmes, se solidarisent avec les proxénètes, les tenanciers de bars de « danseuses nues », les vendeurs de drogues, les producteurs de pornographie, les uns avec les autres. Si ça a l’air plus cool de dire que la prostitution est un choix et que ce sont les féministes radicales qui font de la violence aux prostituées, c’est bien parce que ça fait l’affaire des hommes. Ils se soutiennent entre eux dans le patriarcat. Ils aiment croire que les femmes sont « toutes des putes » et qu’elles aiment ça. Pas étonnant que dans un récent ouvrage (1), co-écrit avec un homme, on nous rabâche que le droit d’être exploitée sexuellement est la lutte de toutes les femmes.
Le discours ambiant sur les réductions de méfaits par rapport à la prostitution sert aussi les hommes, puisqu’il vise la possibilité pour les hommes de ne pas contracter le VIH/SIDA, tout en faisant reposer cette responsabilité sur les femmes, et sans ébranler la structure patriarcale et capitaliste qui leur permettent de violer nos corps de femmes.
La question de la prostitution n’est pas privée. Elle est profondément politique. La prostitution fait que le corps des femmes devient public. Nous sommes considérées dans cette industrie comme des toilettes publiques privatisées pour hommes et par les hommes. Comment une analyse féministe peut-elle soutenir une vision individualiste de la prostitution ? Comment une analyse féministe peut-elle supporter l’idée que les hommes ont biologiquement besoin d’avoir leurs pulsions sexuelles comblées par les femmes ? Comment une analyse féministe peut-elle prétendre que les femmes peuvent se réaliser en se centrant continuellement sur les besoins sexuels masculins ? Est-ce féministe de minimiser la gravité du trafic sexuel des femmes et des enfants, en convertissant les victimes du trafic en voyageuses et le crime organisé en organisation humanitaire ? L’hypersexualisation, l’expansion de l’industrialisation du sexe, ainsi que celui du discours banalisant la prostitution, mettent en évidence que l’égalité entre les femmes et les hommes est loin d’être acquise.
Non coupables !
Non, nous ne sommes pas coupables de nous affirmer ouvertement contre l’exploitation sexuelle des femmes.
Nous ne sommes pas coupables de constater que la socialisation sexiste des filles perdure. On nous a toujours inculqué d’être fines, belles, disponibles et de nous taire. On nous a montré à plaire aux hommes. Eh bien, ça n’a pas changé pour le mieux ! Dans les magazines pour jeunes filles, celles-ci apprennent comment garder un chum sans égard à leurs besoins. Elles apprennent à se soumettre sexuellement aux désirs des hommes. La publicité préconisant la chirurgie dite esthétique gagne nos rues. Les médias sont bourrés de clichés sexistes. Les filles de 8 ans se mettent du brillant sur les lèvres, alors qu’il n’y a pas longtemps cette image n’existait que dans les films pornographiques ! Les filles apprennent à se valoriser en fonction du désir qu’elles suscitent chez les hommes. Elles apprennent à se soumettre aux besoins du marché et à croire que c’est leur choix. La société prépare nos filles à la prostitution.
Non, nous ne sommes pas coupables de refuser cette vie pour nos filles. Si nous sommes capables de nous insurger devant la publicité sexiste, qui n’est que le préliminaire de la pornographie, nous sommes aussi capables de nous prononcer contre l’industrie du sexe dans son ensemble.
Nous ne sommes pas coupables d’écouter les survivantes de la prostitution qui nous disent que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’aider les femmes à sortir de la prostitution.
Nous ne sommes pas coupables de nous poser les questions : À qui profite la prostitution ? Quelles en sont les conséquences sur les femmes ? Qui véhicule le discours dominant ? Et comment agir ?
Non, nous ne sommes pas solidaires du discours qui sert l’industrie du sexe. Nous refusons de nous sentir coupables face au discours selon lequel nous serions responsables de la marginalisation des prostituées. Depuis quand la lutte à la violence conjugale marginalise-t-elle les victimes ? Nous sommes fières de résister à la stratégie patriarcale qui consiste à introduire un discours servant les hommes dans le mouvement des femmes. Et nous appelons à la résistance et à l’union.
Nous ne sommes pas coupables et nous n’allons pas nous taire. Nous refusons d’avoir peur de parler. Nous refusons de ne pas prendre position sur une problématique aussi grave que la vente du corps des femmes. Ne pas prendre position, c’est laisser les dominants et leur discours déterminer ce qui va se passer avec nos corps. Ça fait longtemps que des femmes courageuses luttent contre la violence sexuelle faite aux femmes, et nous au Centre des femmes de Laval, en toute solidarité, nous suivons leurs pas. Et vous ?
Merci à toutes celles qui luttent contre le viol commercialisé des femmes, et pour nous rejoindre dans cette lutte, il n’est jamais trop tard !
Note
1. Maîtresse Nikita et Thierry Schaffauser, Nous sommes des putes et nous en sommes fières (2007), Éditions L’altiplano.
Ana Popovic, animatrice au Centre des femmes de Laval
Carole Lizée, membre du conseil d’administration du Centre des femmes de Laval
– Lire un autre article des mêmes auteures : « Au-delà du discours sur la prostitution, la vie réelle des personnes prostituées ».
Mis en ligne sur Sisyphe, le 2 décembre 2006