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dimanche 2 mars 2008 Vision poétique et politique de Marie-Claire Blais
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Même si l’œuvre de Marie-Claire Blais est lue dans le monde entier et que des études critiques paraissent régulièrement dans des revues et des ouvrages collectifs, un seul livre entièrement consacré à son œuvre a été publié avant l’ouvrage que viennent de faire paraître les éditions du remue-ménage, Visions poétiques de Marie-Claire Blais. Sous la direction de Janine Ricouart et Roseanna Dufault, à qui l’on doit Les secrets de la Sphinxe : lectures de l’œuvre d’Anne-Marie Alonzo, paru chez les mêmes éditrices, une quinzaine de chercheuses ont revisité les textes, les manuscrits inédits, les carnets, les illustrations, les nouvelles, une pièce de théâtre et un scénario de film de M.-C. Blais, en suivant le fil conducteur de la poésie dans cette œuvre foisonnante. La conscience poétique Dans sa préface, Nicole Brossard souligne d’entrée de jeu la primauté du poétique chez la romancière : "Bien que Marie-Claire Blais n’ait publié que deux recueils de poésie, Pays voilés (1963) et Existences (1964), il me semble que toute la substance imaginative de ses livres s’organise dans et à travers le poétique. En tout cas, j’aime penser que c’est cette faculté poétique qui donne à ses personnages la clarté nécessaire pour faire face à la noirceur impénétrable de la souffrance et de la violence. J’aime aussi penser que la poésie est capable à tout moment de changer le cours de la pensée, d’infiltrer nos histoires, l’histoire de nos vies, et de changer le trajet des mots, dans la fiction comme dans la vie." Les influences Ce recueil de textes s’attache à rendre visible la toile poétique tissée large avec l’art subtil d’une sensibilité visionnaire qui fait la qualité inimitable de cette oeuvre. On y explore l’influence de Dostoievsky, en particulier celle d’Aliocha, le pur, des Frères Karamazov, confronté à la cruauté d’un dieu qui permet le massacre des enfants, le mal, l’injustice, ainsi que la vertu salvatrice de la compassion face à la douleur de l’humanité. On souligne également l’influence de Proust, de Camus et de Virginia Woolf, l’attention accordée à la voix intérieure et au plus infime frémissement de l’univers. Le problème de la visibilité lesbienne Dans un texte très intéressant, Ghislaine Boulanger, professeure à l’Université d’Ottawa, pose un regard critique sur le problème des solidarités identitaires dans L’Ange de la solitude. L’analogie faite par M.-C. Blais entre le racisme, le sexisme et l’homophobie "instaure une hiérarchie entre les modes d’oppression, où il s’agit de mesurer la discrimination raciale à l’aune des injustices subies par les lesbiennes blanches, c’est-à-dire selon le critère de visibilité." Boulanger développe dans son analyse le thème du "caméléonisme", cette nécessité, à laquelle sont confrontées les lesbiennes face à l’hétérosexisme, de se transformer constamment selon l’environnement pour être acceptées et acceptables et le désir parallèle d’être visibles et d’affirmer librement leur identité lesbienne. D’avoir ultimement la même visibilité que les Noirs. La présence du politique dans l’œuvre C’est finalement Janine Ricouart qui fait la synthèse de l’œuvre tout en mettant de l’avant, dans une vision très novatrice, la présence essentielle du politique dans l’œuvre de Marie-Claire Blais. Parmi les nombreux thèmes récurrents qu’elle porte, tels la relation entre l’art et la vie, le racisme, l’homophobie et la responsabilité personnelle et collective envers les plus démunis, Janine Ricouart souligne que "le seul sujet dont il est réellement question chez Blais, c’est le genre humain". Selon la chercheuse, le regard de Blais sur l’humanité, tant personnel que politique, joue un rôle central dans son œuvre. Un regard qui puise la profondeur de sa réflexion et de sa révolte dans la lecture quotidienne et attentive des journaux. C’est ainsi ajoute Ricouart que, dans Augustino et le chœur de la destruction, "elle fait le lien entre la répression du Chili, les camps de concentration en Allemagne ou l’esclavage aux États-Unis et les événements du 11 septembre. "Moi, je suis engagée, dans le sens de l’humanisme, c’est tout [...], ce qui me déchire, c’est l’être humain, la fragilité, la friabilité des gens", déclare Marie-Claire Blais en entrevue. Elle définit son roman à voix multiples, Soifs, comme "la lutte de chacun pour être libre". La contribution des femmes dans la société et la violence qu’elles subissent occupe une place essentielle dans l’œuvre ainsi que la soif d’un monde plus juste et solidaire. On y est sans cesse "confronté au pire et au meilleur, à l’illumination et à la destruction", constate Ricouart. La vision poétique de Blais, loin de l’empêcher d’être consciente des grands enjeux politiques, la transforme en véritable antenne qui capte tant les cris, les murmures que les chants sublimes de notre époque. Dans Augustino et le chœur de la destruction, un personnage s’écrie : "La religion détruira le monde". Il dénonce "de faux religieux qui veulent dicter notre conduite" et avertit que "nous ne sommes plus sous le règne de la raison". Il met en garde une militante contre les extrémistes : "vous visez le bien de l’humanité, mais attention à ceux à qui vous déplaisez, leur exaspération devient vite intolérance, irresponsable fureur." Ce texte de Janine Ricouart apporte un éclairage nouveau et nécessaire sur la pensée politique de Blais souvent masquée par la virtuosité proprement littéraire de son œuvre. Le livre comprend également un extrait inédit du prochain roman de Marie-Claire Blais, Naissance de Rébecca à l’ère des tourments, à paraître au printemps 2008, une entrevue de Janine Ricouart avec l’auteure, d’autres textes qui nous font découvrir différentes facettes de l’oeuvre et une bibliographie détaillée. Pour toutes celles et ceux qui aiment Marie-Claire Blais ou qui veulent mieux comprendre une des plus grandes œuvres de la littérature québécoise consacrée aux misères et aux grandeurs de la condition humaine. Ricouart Janine et Roseanna Dufault (sous la dir.), Visions poétiques de Marie-Claire Blais, Montréal, remue-ménage, 2008. Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 février 2008. |