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mardi 18 février 2003

Allocution pour la paix d’une jeune Américaine de 12 ans

par Charlotte Aldebron






Écrits d'Élaine Audet



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Quand les gens pensent à bombarder l’Irak, ils imaginent Saddam Hussein en uniforme militaire, ou peut-être des soldats avec de grosses moustaches, armés de fusils, ou la mosaïque de George Bush père dans le hall d’entrée de l’Hôtel Al-Rashid avec le mot « criminel ». Mais devinez quoi ? Plus de la moitié des 24 millions d’Irakien-nes sont des enfants de moins de 15 ans. Ce qui signifie 12 millions de jeunes. Des jeunes comme moi.

Enfin, j’ai presque 13 ans, alors il y en a qui sont un peu plus vieux, et d’autres qui sont beaucoup plus jeunes, des garçons plutôt que des filles, certains avec des cheveux bruns, pas roux. Mais, finalement, ce sont des jeunes qui sont à peu près comme moi.

Alors, regardez moi, regardez-moi bien. Parce que c’est moi que vous devez avoir dans la tête quand vous pensez au bombardement de l’Irak. C’est moi que vous allez anéantir.

Si j’ai de la chance, je serai tuée instantanément, comme les trois cents enfants assassinés par vos bombes « intelligentes » dans un abri anti-bombes, le 16 février, 1991. L’explosion a provoqué un incendie si intense que la brûlure a imprégné la silhouette de ces enfants et de ces mères sur les murs ; on peut arracher des lambeaux de peau noircie sur la pierre, souvenirs de votre victoire.

Mais peut-être que j’aurai de la chance et que je mourrai doucement, comme Ali Faisal, âgé de 14 ans, qui est aux soins palliatifs de l’hôpital pour enfants de Bagdad. Il a une tumeur lymphatique maligne causée par l’uranium appauvri de vos fusées durant la guerre du Golfe. Ou peut-être que je vais mourir dans la douleur, inutilement comme Mustafa à l’âge de 18 mois, dont les organes vitaux sont dévorés par des parasites du désert. Mustafa pourrait être totalement guéri avec des médicaments ne coûtant pas plus de $25, mais ces médicaments sont introuvables à cause de votre embargo.

Ou peut-être que je ne mourrai pas finalement mais vivrai des années avec des traumatismes psychologiques que vous ne verrez pas de l’extérieur, comme Salman Mohammed qui, même maintenant ne peut oublier la peur que ses petites sœurs et lui ont éprouvée quand vous avez bombardé l’Irak en 1991. Le père de Salman a fait dormir toute la famille dans la même chambre afin qu’ils puissent tous survivre ou mourir ensemble. Il continue à faire des cauchemars à propos des sirènes lors des attaques aériennes. Ou peut-être que je deviendrai orpheline comme Ali, qui avait trois ans lorsque vous avez tué son père lors de la guerre du Golfe. Ali a gratté les saletés sur la tombe de son père en l’appelant tous les jours depuis trois ans : « Ça va, papa, tu peux sortir maintenant, les hommes qui t’ont envoyé sous terre sont partis. » Eh bien, Ali, tu t’es trompé. On dirait que ces hommes vont revenir.

Ou peut-être que je vais m’en tirer tout d’une pièce, comme Luay Majed, qui se souvient que la guerre du Golfe voulait dire ne pas avoir à aller à l’école et pouvoir veiller aussi tard qu’il le désirait. Mais aujourd’hui, sans instruction, il essaie de vivre en vendant des journaux dans la rue.

Imaginez que ces jeunes sont vos enfants, nièces, neveux ou voisin-es. Imaginez le hurlement de douleur de votre fils qui a un membre blessé, mais vous ne pouvez rien faire pour soulager le mal ou pour le réconforter. Imaginez votre fille appelant à l’aide de sous les décombres d’un édifice écroulé, et que vous ne pouvez l’atteindre. Imaginez vos enfants errant dans les rues, seuls et affamés, après vous avoir vu-e mourir sous leurs yeux.

Il ne s’agit pas d’un film d’aventure, d’un rêve ou d’un jeu vidéo. En Irak, c’est la réalité pour les enfants. Récemment, un groupe international de chercheurs est allé en Irak pour savoir comment les enfants étaient affectés par la possibilité d’une guerre. La moitié des enfants à qui ils ont parlé ont répondu qu’ils ne voyaient plus aucune raison de vivre. Même des enfants très jeunes étaient au courant de la guerre et inquiets. Assem, âgé de 5 ans, l’a décrite comme « des fusils et des bombes, l’air devenant froid et chaud et, nous, brûlant très fort. » Aesar, dix ans, a un message pour le président Bush : il veut qu’il sache qu’« un grand nombre d’enfants irakiens vont mourir. Vous le verrez à la télé et, alors, vous allez regretter. »

Alors que j’étais à l’école primaire, on m’a appris à ne pas résoudre les problèmes avec les autres enfants par des coups et des insultes, mais en parlant à la première personne. Quand on parle au « je », on fait comprendre à l’autre personne le mal qu’elle vous a fait, afin qu’elle soit empathique et ne le fasse plus. Maintenant, je vais vous envoyer un message au « je ».Mais, ce sera un message au « nous ». « Nous », pour tous les enfants irakiens qui attendons impuissants que quelque chose de terrible arrive. « Nous », pour tous les enfants du monde qui ne prenons aucune décision mais devons souffrir de toutes les conséquences. « Nous », dont les voix sont trop faibles et trop lointaines pour être entendues. Nous avons peur quand nous ne savons pas si nous allons vivre un jour de plus. Nous sommes en colère quand des gens veulent nous tuer, nous blesser ou voler notre avenir. Nous nous sentons tristes parce que tout ce que nous voulons, c’est une maman et un papa qui seront là le lendemain. Et, finalement, nous ne comprenons pas parce que nous ne savons pas ce que nous avons fait de mal.

Allocution prononcée le 15 février 2003, lors du rassemblement pour la paix de 150 résidents de tout le comté d’Aroostook, à l’Église St. Mary, Presque Isle, Maine.


Charlotte Aldebron est à l’école secondaire de Cunningham à Presque Isle, Maine.


Les commentaires peuvent être envoyés à sa mère :
Jillian


Traduction : Élaine Audet


Mis en ligne sur Sisyphe le 18 février 2003



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Charlotte Aldebron



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