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dimanche 20 avril 2003 Nicole Brossard et Lisette Girouard : nouvelle anthologie de la poésie des femmes au Québec
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DANS LA MEME RUBRIQUE Briser le silence "Tutoyer l’infini", le plus récent recueil de poèmes d’Élaine Audet La couleur du silence Tutoyer l’infini L’éternel départ L’empreinte de la beauté Autoportrait d’automne Entre deux eaux L’éphémère Un été dans les arbres II Éternelles burqas du silence Un été dans les arbres I Le dit de l’oiseau Mille et une nuits pour te dire L’échappée libre Le printemps debout Nos pas Le tournant des solitudes Souviens-toi et deviens L’état des lieux Entre le silence et les mots La haine n’aura qu’un temps Le voyage De l’île et du désert Oui, cette question se pose... Autoportrait par ricochet Port d’envol Mouvement du rêve Viol Crépuscule d’été Syrie : "Elle va nue, la liberté" de Maram Al Masri Sur le tranchant de la lumière Les Îles L’épreuve du coeur Printemps premier Une mémoire à ta mesure et à ta démesure Sablier Prends soin mon amour de la beauté du monde Aller-retour Passage Haïti au cœur La peau profonde de l’amour Un premier recueil de haïkus par des femmes francophones Des ailes et du soleil Éclats La poésie en français dans le monde et son rapport au monde Rebelles Place du marché Le fil de l’eau France Bonneau : un souffle puissant Funambules La plénitude et la limite, poèmes d’Élaine Audet Incandescence La poète québécoise Hélène Dorion reçoit le prix Mallarmé L’essence des jours Dworkin - L’envers de la nuit Mots d’urgence Marcheuse de l’impossible ! La complainte de Salomon Un nom d’amazone Le cycle de l’éclair La saison de l’appartenance Pour Nadine Trintignant Variations sur un Andantino de Franz Schubert L’Embellie À nul autre pareil Fossiles Poème pour la paix Madeleine Gagnon, poète engagée Une poésie ouverte au monde Point de rupture La poésie prend le métro |
Une réédition augmentée de l’Anthologie de la poésie des femmes au Québec (1) vient de paraître mettant ainsi à jour la première édition de 1991. Cette anthologie, réunissant plus de cinq cents poèmes de cent trente-huit poètes, pose un regard différent sur notre réalité depuis Marie de l’Incarnation (1677) jusqu’à nos jours. Des voix de femmes qui refusent d’exister dans l’art uniquement comme muses et qui, à l’instar des hommes poètes, disent leur propre manière de sentir, penser, rêver, aimer, vivre et mourir. Cette mémoire en devenir, nous la devons à Nicole Brossard et Lisette Girouard.
Dans leur nouvelle préface, les auteures soulignent que le risque, l’audace et la passion qu’elles avaient associés aux périodes correspondant au féminisme et aux solidarités porteuses d’énergie et de projets ont fait place dans la production des douze dernières années à une poésie plus intime. Elles remarquent aussi que l’expérimentation ludique, l’intertextualité et les transgressions rebelles sont extrêmement rares dans la poésie récente. On ne peut manquer de s’interroger sur le nombre élevé, plus d’une trentaine, des poètes retenues dans l’anthologie qui n’ont publié qu’un seul recueil, ou sur les raisons qui ont porté une poète de grande valeur comme Fernande Saint-Martin à attendre 1985 pour publier une rétrospective de son œuvre poétique commencée en l953. On peut présumer qu’il était, comme dans tous les autres domaines, beaucoup plus difficile pour une femme de percer, que la plupart n’avaient pas le temps ou l’espace de solitude nécessaire à la création, ne possédaient ni rente, ni chambre à soi, comme le préconisait Virginia Woolf. Elles passaient sans doute la plus grande partie de leur vie à prendre soin de leur famille en ne s’octroyant pas, comme leurs confrères, la liberté de placarder sur la porte de leur lieu de travail : "silence, papa travaille !" Dans de telles circonstances, plusieurs ont dû se résoudre à n’écrire que pour soi, dans les rares marges de leur vie, par pure nécessité intérieure et passion de concrétiser leur pensée dans les mots. Dans ce que Brossard et Girouard appellent "la période faste" (1920-1935), il est étonnant de voir que les Jovette Bernier, Rina Lasnier, Anne Hébert et autres exercent des métiers liés à l’écriture, voyagent à l’étranger, reçoivent nombre de prix littéraires en France, alors que, dans les années suivantes durant l’ère duplessiste, la censure et la bêtise triomphant, elles traversent le Refus Global sans y trouver la même libération que leurs pairs. Quant aux années de la Révolution Tranquille, les auteures les définissent comme des années de plomb, parce que les changements sociaux et culturels semblent alors pour plusieurs poètes plus importants que la poésie, considérée alors comme une activité égoïste et petite-bourgeoise. Trois siècles de poésie Dans la période d’avant 1900, je retiens l’œuvre de Blanche Lamontagne-Beauregard (1889-1958), née aux Escoumins, auteure de sept recueils de poésie, ce qui n’est pas courant à son époque : Près du toit où tombait la lumière dorée Entre 1900 et 1920, s’affirme une génération de poètes indépendantes telle la talentueuse Jovette Bernier (1900-1981) poète, romancière et journaliste qui s’illustre tant dans la presse écrite, qu’à la radio et à la télévision : Retenir dans mes bras, la nuit Avec ses yeux de clair de lune Plus tard, sous la plume d’Alice Lemieux-Lévesque (1910-1983), le désir ne craint plus de s’affirmer : Je serai plus légère en tes bras Et sur ton corps incendié Des précursoeurs Puis ce sont des années fastes avec la poésie de Rina Lasnier (1915-1997), passionnée, flamboyante et enracinée dans le monde, tenant du feu plus que de l’eau comme la poésie d’Anne Hébert (1916-2000 ), claire, coulante, exigeante qui exprime l’absence et la solitude. Toutes les deux ont le souffle long et la parole incantatoire. Rina Lasnier parle ici de femme peuplée : Fine lisière d’eau de ta main sur ma cheville, tandis que Anne Hébert voient les filles désertées de force : Notre fatigue nous a rongées par le cœur Il faudra attendre les années 70, pour que, stimulée par la parution de L’Euguélionne de Louky Bersianik, émerge une culture au féminin. L’autre femme n’est plus une île à la dérive, étrangère ou ennemie, mais ma continent, comme l’écrit Nicole Brossard (1943-) dans un poème célèbre : Louky Bersianik (1930-) persiste et signe avec les magnifiques poèmes de Maternative, de Axes et eau et de Kerameikos sur toutes ces Terribles Vivantes qui marchent vers le clitorivage heureux de leur corps heureux : la soif terrible des érinyes en réveil À la génération formaliste des années 80, succède des poètes qui ont plus ou moins entre quarante et cinquante ans aujourd’hui, les Carole David, Rachel Leclerc, Élise Turcotte, qui abordent la réalité sous un angle beaucoup plus intimiste, telle Hélène Dorion qui, avec quelque trente recueils, poursuit une œuvre des plus intéressantes : J’adviens entourée de vide Cette belle anthologie se termine sur une relève très prometteuse de poètes nées entre 1960 et 1980, dont Kim Doré, 24 ans : les ombres caracolent et l’ange néandertal Je ne saurais terminer sans souligner, au plan pratique, l’important dispositif bibliographique mis en place par les auteures facilitant grandement la recherche : bibliographie poétique des auteures retenues, chronologie des recueil de poèmes publiés par des femmes, bibliographie des ouvrages consultés et index des poètes de l’anthologie. En format poche, sous une couverture évocatrice, cette anthologie nous permet de rêver en beauté. (1) Nicole Brossard, Lisette Girouard, Anthologie de la poésie des femmes au Québec : des origines à nos jours, Nouv. éd., Montréal, Remue-ménage,2003. |