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lundi 5 avril 2010 Recherches féministes Les hommes proféministes : compagnons de route ou faux amis ?
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Quelles raisons peuvent mener un homme à se dire proféministe et que peut-il faire pour aider le mouvement féministe ? Voilà les deux questions discutées ici. J’entends proposer pour les hommes proféministes de pratiquer le contraire de l’empowerment (ou autonomisation), soit le disempowerment, c’est-à-dire une (auto)réduction du pouvoir individuel et collectif qu’exercent les hommes sur les femmes, et un (auto)positionnement d’auxiliaire par rapport aux féministes. J’entends aussi rappeler que c’est toujours par l’effort déployé par des féministes que des hommes deviennent proféministes. Cette discussion s’inspire des analyses de féministes comme Simone de Beauvoir, Christine Delphy, Colette Guillaumin et Catharine MacKinnon, ainsi que des militantes qui m’ont confronté dans la sphère intime ou publique. Ces féministes m’ont convaincu que le patriarcat, comme n’importe quel système de domination, repose sur une division clivant la société en deux classes antagonistes. Dans le patriarcat, les hommes sont membres d’une classe dominante et privilégiée et les femmes, d’une classe dominée et exploitée. Certes, divers systèmes de domination s’influencent et s’interpénètrent de multiples façons (comme le patriarcat, le capitalisme et le racisme). Les propositions avancées ici sont portées par un homme « blanc » hétérosexuel qui jouit d’une certaine aisance financière. Ces réflexions devraient être sans doute amendées dans le cas d’hommes de classes économiques et de communautés ethniques défavorisées et exploitées. Dans tous les cas, il s’agit d’une réflexion exploratoire et dont plusieurs éléments mériteraient d’être précisés ou nuancés. À première vue, il est heureux que des hommes s’engagent dans la cause Ce dernier y a exercé une influence telle que sa présence a soulevé des Récemment encore, plusieurs hommes proféministes ont été critiqués pour Même lorsque l’homme proféministe se positionne comme un protecteur de femmes et des féministes, il adopte un rôle masculin bien balisé par le patriarcat qui postule des dominants – prédateurs ou protecteurs – et des « femmes faibles » (Descarries 2005 : 139) et dominées, proies ou protégées. L’homme proféministe est donc problématique à la fois parce qu’il ne peut seul se départir de son statut de mâle et parce qu’il saura en certaines occasions, et surtout les plus contentieuses, agir comme un mâle et tirer profit de ses avantages de mâle. Cela dit, Christine Delphy (2002a : 215, note 3) n’esquive pas « la question Qu’est-ce qui mène un homme sur la route du féminisme ? Cinq hypothèses permettent d’expliquer au moins partiellement le choix et La première hypothèse, soit un désordre d’identité sexuelle, est principalement critique des hommes proféministes et participe de l’offensive antiféministe, qui dénigre les hommes proféministes en prétendant qu’ils sont motivés par une haine de leur sexe (Dallaire 2001 : 67) ou encore parce qu’ils sont des « castrés » (Zemmour 2006 : 129 et 131) ou des « eunuques serviles » (Lebel 2006a). Dans cette perspective, la position politique des hommes proféministes s’explique « fondamentalement par manque de couilles » (Gélinas 2002 : 16). Il conviendrait alors de distinguer « les vrais » hommes des proféministes rongés par une « culpabilité névrotique » (Gélinas 2002 : 16 et 209). Les féministes connaissent bien cette tactique de dénigrement, puisque leur engagement est souvent réduit à des considérations psychologiques et sexuelles (elles sont féministes parce que « lesbiennes » ou « mal baisées »). La hargne et le mépris qu’expriment des hommes ouvertement antiféministes à l’égard des hommes proféministes tiennent de ce que les premiers considèrent que les seconds sont des « traîtres » à leur classe de sexe. « Nous avons besoin de “traîtres de genre” », dira d’ailleurs la féministe Sandra Bartky (1998 : XII ; voir aussi Digby (1998 : 3). On pourrait en déduire qu’un homme proféministe souffre de cette stigmatisation par ses pairs, comme le suggère le proféministe Michael Kimmel (1998 : 60). Or ce désagrément peut être largement compensé par le prestige ou la sympathie qu’accordent des féministes à leurs compagnons de route. Si l’homme proféministe voit diminuer son « pouvoir avec » les autres hommes, il y gagne un « pouvoir avec » les féministes. La deuxième hypothèse, c’est-à-dire une éthique égalitariste, est plus La troisième hypothèse, soit l’affection à l’égard des femmes, énonce que Toutefois, l’amour pourrait aussi permettre à l’aimée d’ouvrir chez son amoureux des brèches en faveur du féminisme. Michelle Perrot (1999 : 15) explique d’ailleurs qu’« il faut à un homme beaucoup d’abnégation, d’amour, de complicité » pour qu’il soit proféministe. Le compagnon de route et de coeur d’une féministe peut, en raison de son affection envers elle, réagir avec plus de solidarité lorsqu’elle lui explique la difficulté de sa lutte à mener et lui révèle les situations d’oppression qu’elle vit par rapport aux hommes. Des hommes peuvent également ressentir une solidarité pour des femmes dont ils se sentent proches – mère, soeur, amie, collègue, etc. – et se révolter contre l’oppression qu’elles subissent. Comme le dit Albert Camus (1951 : 29), « [l]a révolte ne naît pas seulement, et forcément chez Comme le souligne Christine Delphy (2004b : 25), « [a]ucun degré d’empathie ne peut remplacer l’expérience. Compatir n’est pas pâtir. » Des hommes savent par ailleurs très bien aimer des femmes qu’ils méprisent, exploitent et brutalisent, l’amour leur permettant de parfaire leur prise de contrôle. Cette hypothèse romantique fait donc elle aussi la part trop belle aux hommes proféministes et à la prétendue noblesse de leurs valeurs et de leurs motivations. Selon la quatrième hypothèse, c’est-à-dire l’intérêt et la recherche d’avantages, un homme sera d’autant plus porté à être proféministe, ou à tout le moins à se dire publiquement proféministe, qu’il y verra une possibilité d’en tirer des avantages. Certains hommes hors normes, dont le caractère ne cadre pas avec une masculinité viriliste, peuvent tirer profit du féminisme pour s’assurer une certaine cohérence identitaire. De plus, les hommes proféministes savent profiter de leur position politique d’au moins cinq façons, que l’on peut illustrer par cinq figures déjà présentées par Sandra Bartky (1998 : XIII) et David J. Kahane (1998 : 215) : l’opportuniste, le poseur, l’initié, l’humaniste, l’autoflagellateur. L’opportuniste est celui qui se déclare « féministe » lorsqu’il sent que le féminisme est de bon ton et à la mode, à tout le moins dans certains milieux. Il espère ainsi se positionner avantageusement dans un champ professionnel précis (le monde universitaire, par exemple) ou se rendre plus sympathique aux femmes. Le poseur, pour sa part, s’intéresse aux théories féministes de façon abstraite. Son « féminisme de façade » (Descarries 2005 : 147) n’a pas d’impact dans sa vie. Il peut même se servir de ses connaissances du féminisme pour faire la leçon à des femmes. L’initié, quant à lui, se sent partie prenante à la cause féministe et il milite dans des groupes proféministes. Il se gagne la sympathie des femmes – militantes, mères et soeurs, compagnes et amies – du simple fait qu’il se dit « féministe ». Il se sent supérieur par rapport aux autres hommes, car ce sont eux – et jamais lui – qui sont coupables de misogynie et responsables du patriarcat. De son côté, l’humaniste admet qu’il profite du patriarcat, mais il dit souffrir de ce système injuste au même titre que les femmes, car l’injustice et l’inégalité le révulsent par principe. Enfin, l’autoflagellateur, vit son féminisme tel un chemin de croix qui lui apportera rédemption. Il veut se libérer de son propre sexisme et rêve d’être un individu pur et sans contradictions. L’autoflagellateur et l’humaniste veulent à tout prix Si l’humaniste adopte une approche plus philosophique, l’autoflagellateur aborde le féminisme d’un point de vue psychologique. Son féminisme est thérapeutique plutôt que politique. Les hommes peuvent donc être proféministes s’ils pensent en tirer divers avantages, que ce soit la construction et la justification d’une identité sexuelle en décalage avec la masculinité viriliste, une haute estime de soi en se comparant aux autres hommes, une image publique d’individu courageux et progressiste ou encore (et pour le dire de façon très crue) un accès plus aisé aux corps de féministes qui pourraient être plus enclines à tomber sous le charme d’un homme proféministe que sous celui d’un misogyne affirmé. Enfin, selon la cinquième hypothèse, soit l’influence du féminisme, ce Malheureusement, même la présence individuelle d’hommes proféministes – Extraits de l’article « Les hommes proféministes : compagnons de route ou faux amis ? » par Francis Dupuis-Déri, publié dans Recherches féministes, vol. 21, numéro 1, 2008 (pp.149-169) - Recherches féministes. Ce numéro de Recherches féministes souligne les 20 ans de cette revue féministe universitaire. Nous recommandons de vous procurer ce numéro du 20e anniversaire de Recherches féministes. – Pour obtenir l’article intégral en PDF, avec notes, références et bibliographie, on peut s’adresser au site Érudit. Dépositaire en Europe et vente en France Librairie du Québec – Nous remercions l’auteur et la revue Recherches féministes de l’autorisation de publier de larges extraits de cet article sur le site Sisyphe. Nous espérons ainsi contribuer à la réflexion sur le sujet. Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 mars 2010 |