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mardi 15 février 2011 Cinq bonnes raisons de refuser le jugement Himel sur la prostitution, comme féministe et comme citoyen-ne du monde
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Le 28 septembre dernier, la Cour supérieure de l’Ontario a répondu à une requête de trois femmes souhaitant décriminaliser totalement la prostitution au Canada. La réponse donnée par la juge Susan Himel pose d’énormes questions et nécessite un débat et une réflexion en profondeur dans la société canadienne et québécoise. Les changements au Code criminel canadien dans les articles touchant la prostitution découlant du jugement Himel sont les suivants : Article 210 concernant la tenue de maison de débauche : Article 212 touchant le proxénétisme : Article 213 touchant la sollicitation : Le Canada, comme bien des pays à travers le monde, n’a jamais traité la prostitution comme étant un problème d’égalité entre les femmes et les hommes. Au contraire, ce que les gouvernements successifs ont cherché à « protéger » au fil des ans, c’est la moralité des jeunes hommes contre les femmes de mauvaise vie, c’est la santé publique plus souvent celle des clients que des femmes dans la prostitution. Ou encore, on veut protéger les communautés souffrant le plus directement des « nuisances » de la prostitution de rue (bruit, condoms et seringues souillés, harcèlement, circulation accrue, etc.). Le Code criminel canadien actuel est loin d’être satisfaisant et il est urgent de le changer. Il sert essentiellement à criminaliser les femmes (en premier lieu les plus vulnérables qui sont dans la rue) et à maintenir l’ « ordre public » sans jamais questionner l’existence de la prostitution dont la source première est la demande sexuelle des hommes. Cependant, les changements proposés par le jugement Himel ne constituent pas une réponse adéquate. Ces changements auront une incidence sur la société et sur les femmes tout particulièrement. Voici cinq bonnes raisons de rejeter ce jugement et d’exiger que le gouvernement canadien adopte le modèle scandinave qui place l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de son action pour contrer la prostitution et non seulement réduire ses « méfaits ». 1- Parce que je prône l’égalité entre les femmes et les hommes 1. Parce que je soutiens l’égalité entre les femmes et les hommes Au-delà de quatre-vingt-dix pour cent (90%) des personnes dans la prostitution sont des femmes et quatre-vingt-dix pour cent (90%) des personnes qui achètent des actes sexuels sont des hommes (peu importe si ce sont des femmes ou des hommes qui sont consommés). Peut-on s’attarder à cette équation ? Cette division sexuelle n’est pas un hasard de la vie ! Il y a deux raisons majeures à cela :
Le jugement Himel reconnaît qu’il y a un problème avec la prostitution, mais nous dit que ce n’est pas à la justice de régler cela. C’est vrai. C’est à la société d’exiger de l’État que toutes politiques menant ou maintenant les femmes dans la pauvreté et la dépendance économique soient rejetées. C’est à nous d’agir : en refusant de consommer des corps de femmes, en demandant le retrait des publicités sexistes et le retour des cours d’éducation sexuelle dans les écoles pour que la sexualité fasse partie des sujets enseignés et non cachés, en optant pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Peut-on parler de liberté et de sécurité sans parler d’égalité ? La liberté de qui ce jugement protège-t-il au juste ? Celle des femmes qui sont achetées ou des hommes qui veulent acheter des corps ? 2. Parce que je suis contre une visée capitaliste de notre société où tout se marchande La prostitution prend plusieurs formes, allant de celles qui doivent payer leurs factures ou leur loyer avec des faveurs sexuelles à celles qui ont été amenées à se prostituer par divers chemins incluant celui de la violence sexuelle. Mais, c’est surtout une industrie mondiale multimilliardaire qui comprend : la pornographie, les salons de massage érotique, les agences d’escortes, les bars de danseuses nues (que l’on peut toucher depuis 1998), les donjons, les clubs échangistes, la prostitution de rue, la traite à des fins sexuelles, etc. Comme toute industrie dans un monde capitaliste et mondialisé, elle souhaite toujours accroître ses profits de toutes les manières possibles. Une bonne partie de l’industrie du sexe est contrôlée par les milieux illicites et, de plus en plus, ces milieux criminalisés cherchent à sortir de l’illégalité. Ce n’est pas bon pour le business à long terme. L’industrie du sexe aborde donc la prostitution comme une question de demande et d’offre. Elle capitalise sur le refus de plusieurs personnes, groupes, gouvernements et municipalités de regarder la prostitution comme un exemple extrême d’inégalité sociale, et de prendre position. L’industrie du sexe propose un modèle de sexualité axé sur les besoins, voire le « droit à la jouissance » pour les hommes, et de « libération sexuelle » pour les femmes. Elle vend le consentement et s’assure que la sexualité soit considérée comme un bien de consommation comme un autre, que les personnes dans la prostitution soit reconnues comme des « travailleuses », que ces femmes disent qu’elles aiment ce qu’elles font. En guise de prime, elles peuvent même devenir des entrepreneures. Éliminer la prostitution de la rue est un objectif de l’industrie du sexe car elle donne mauvaise presse et fait, trop souvent, baisser les prix. L’industrie apprécie donc que la juge Himel ait maintenu la criminalisation d’une certaine forme de sollicitation dans le code criminel. Elle souhaite s’auto-réglementer et contrôler ses marchés. Si une industrie est basée sur de fausses prémisses de choix et de besoins, si elle exploite et érotise la domination d’un certain groupe de personnes par un autre, pourquoi devrait-elle exister ? Pourquoi cette exploitation devrait-elle porter le nom de « travail » ? Ça fait beaucoup l’affaire de cette industrie du sexe de bénéficier de la protection de la loi tel que proposé par la juge Himel. 3. Parce que je crois à l’égalité des chances pour toutes les femmes Toutes les femmes sont concernées par la prostitution. Qui n’a pas reçu ou ne connaît pas une femme qui a reçu une offre d’échanges de faveurs sexuelles contre de l’argent, des biens ou des services ? Qui n’a jamais été sollicitée de sa vie ? Qui n’a jamais été regardée comme un morceau de viande à consommer ? C’est malheureusement très répandu dans le vécu des femmes. Par contre, certaines d’entre nous sont tout particulièrement visées par l’industrie du sexe et les prostitueurs (1) de tout genre. Ainsi, on ne peut faire abstraction du fait qu’un nombre disproportionné de femmes autochtones se retrouvent en situation de prostitution de survie. Les Autochtones, hommes ou femmes, vivent déjà une situation de violation de leurs droits humains les plus fondamentaux à cause de l’impact du colonialisme sur leurs communautés et du racisme dont ils et elles sont victimes. Pour les prostitueurs, les femmes autochtones sont au bas de l’échelle sociale et leur exploitation importe peu. Cette réalité recouvre une autre facette de l’impunité, du mépris et de la violence dans laquelle ces peuples, et tout particulièrement les femmes, vivent. Le racisme est, de fait, très présent dans l’industrie du sexe. On vend de l’exotisme, de la soumission et des stéréotypes racistes. Les femmes noires se retrouvent, en plus grand nombre, dans un type de prostitution ou de pornographie parmi les plus avilissantes et déshumanisantes telles que la bestialité, le sado-masochisme, etc. Ainsi, certains bars refusent aux femmes noires d’être danseuses. Est-ce un hasard ? Peut-on vraiment affirmer que les femmes de ces diverses communautés choisissent ces activités dégradantes ? Est-ce le genre de société que l’on veut ? Peut-on fermer encore plus longtemps les yeux sur le racisme de l’industrie du sexe ? 4. Parce que je suis contre une simple approche de réduction de la prostitution L’approche souvent privilégiée pour intervenir en ce qui concerne la prostitution est une approche de réduction des méfaits qui est aussi utilisée en toxicomanie. Les gouvernements s’en servent pour passer des lois qui ne changent rien à l’existence de la prostitution mais gèrent tout au plus les irritants en découlant. Cette approche part d’un constat que la prostitution n’est pas un problème social qui se résout facilement et rapidement. Elle considère que les personnes qui sont dans la prostitution sont trop souvent criminalisées et pénalisées à cause de l’existence de ce problème social. Et, pour être pragmatique et agir rapidement, on vise à réduire ses effets les plus nuisibles dans leurs vies. Cette approche ne nie pas que les personnes prostituées vivent un degré de violence qui frôle l’insupportable mais elle met plutôt le cap sur des interventions permettant d’amener la personne à « s’adapter » à sa situation. Ce n’est pas, en soi, une mauvaise approche mais appliquée à la prostitution, elle cause d’importants ravages. Elle manque de visée à long terme et nuit, souvent, à la possibilité d’aider les personnes à sortir de la prostitution et à en empêcher d’autres d’y entrer. C’est une approche socio-sanitaire qui vise à contrôler les individuEs et les dangers associés à ce qu’on nomme leurs « pratiques sexuelles ». Cette approche réductionniste utilise d’ailleurs, au nom du respect, le terme « travailleuse ou travailleur du sexe ». Il importe apparemment de montrer que la prostitution résulte d’un choix. Cela donnerait plus de dignité aux personnes qui deviennent ainsi des « agentEs » de leur vie. Cette logique amène même à parler de « travailleurs ou travailleuses du sexe juvéniles » alors qu’il est reconnu que la prostitution des mineurEs est illégale ! Les mots viennent ici donner un air « digne » à une réalité cachant exploitation, oppression et domination. La juge Himel a adopté une approche « réductionniste ». Elle fait le constat que la prostitution est dangereuse pour les femmes qui sont dedans, que les prostitueurs sont les éléments les plus dangereux pour ces femmes et que la prostitution de rue est la forme de prostitution la plus dangereuse. Devant l’ampleur du phénomène de la violence, qu’elle conçoit comme étant essentiellement de la violence physique (3), elle ne voit pas de problème à viser la réduction d’un certain type de violence dans des lieux spécifiques. Elle accepte l’idée que la prostitution de rue, et donc la violence qu’elle induit pour les femmes, diminuerait s’il y avait des lieux où les hommes peuvent acheter des actes sexuels en paix. Comme si la violence venait de l’illégalité de la prostitution et non des hommes qui choisissent de violenter la « marchandise ». Malgré le fait qu’il n’a pas été démontré que la prostitution à l’intérieur soit plus sécuritaire pour les femmes, c’est au nom de la protection des femmes que la juge Himel propose de décriminaliser les proxénètes et la tenue de bordels. Elle ouvre ainsi la possibilité pour l’industrie du sexe de prendre de l’expansion, nécessitant par le même fait plus de femmes pour remplir ces lieux où l’on commerce les actes sexuels. Peut-on prétendre que la réduction de la violence est un objectif suffisant pour une société de droits ? Peut-on croire que la violence qu’on ne voit pas fait moins mal ? 5. Parce que je crois en la prévention comme remède à l’impuissance Expansion de l’industrie du sexe veut dire accroissement du recrutement. Déjà, plusieurs jeunes femmes sont amenées à aller « danser » pour leur chum, à coucher avec un ami de leur chum pour avoir de la dope ou pour faire partie de la gang, à devenir escorte pour rapporter plus d’argent, à « offrir » des actes sexuels pour être plus désirables, être cool, « affirmer » leur sexualité, etc. (4) Avec la décriminalisation totale de la prostitution, il est clair qu’il sera très difficile, voire impossible, de faire de la prévention et de s’adresser aux jeunes pour dire quels sont les pièges de cette industrie, les stratagèmes employés par les proxénètes et les prostitueurs pour arriver à prostituer les femmes. Pourquoi nos gouvernements investiraient-ils dans la prévention pour contrer le recrutement des jeunes dans une industrie qui est légitime ? Je fais un simple calcul ! + Si un pourcentage de femmes dans la prostitution est là pour assurer leur survie et celle de leur famille ; Y’EN RESTE COMBIEN QUI SONT LÀ PAR CHOIX ? Ce que nous voulons : √ La décriminalisation des femmes dans la prostitution ; Osons l’élimination de la violence ! Osons refuser la prostitution ! Parlez-en autour de vous et passez à l’action en soutenant des groupes comme la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle http://www.lacles.org et en signant la pétition mise en ligne par Sisyphe. – Pour plus d’information, visitez notre site web www.lacles.org. Vous pouvez y télécharger ce document en format PDF. Notes 1. Le terme prostitueur permet de reconnaître le choix fait par la personne consommant des actes sexuels ou profitant de la prostitution. Ce sont les féministes françaises qui ont inventé ce mot. NOTA BENE - La CLES organise un Tribunal populaire sur l’exploitation sexuelle commerciale, du 18 au 20 mars 2011. Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 février 2011 Suggestion de Sisyphe Un simple geste citoyen pour aider VRAIMENT les personnes prostituées : signez la pétition en ligne. Le silence et la neutralité ne sont pas des solutions à la violence à l’égard des femmes. |