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mardi 17 mai 2011 "On est des salopes, pas des féministes !" Où ma relation avec la “Slutwalk” passe un mauvais quart d’heure
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En mars 2011, un policier de Toronto a recommandé aux femmes d’éviter de « s’habiller en salopes » si elles ne veulent pas être violées. Il blâmait de la sorte les victimes d’agression, laissant entendre qu’une femme pouvait « provoquer » ou encourager une agression par un homme en « s’habillant comme une salope ». Des femmes, qui ne se qualifient pas de féministes, ont organisé une marche pour dénoncer ce sexisme et ces préjugés d’un autre âge. Elles ont donné à cette manifestation, diversement perçue, le nom de « Slutwalk » ou « Marche des salopes ». Une manifestation semblable a eu lieu dans quelques villes américaines et une autre aura lieu à la fin de mai à Montréal.
Il semblerait que, par manque de clarté, quelque chose est finalement devenu très clair : la « Slutwalk » (Marche des salopes) m’a perdue. J’ai suivi de près la couverture des médias, les textes affichés sur les blogues, et particulièrement les échanges sur la page Facebook des organisatrices de « « Slutwalk Toronto » » ou « Slutwalk TO » (1), des échanges assez vigoureux depuis un mois, puisque la marche initiale a eu lieu dans cette ville le 3 avril. Je crois que l’on peut dire que ma relation avec « Slutwalk » a connu pour ainsi dire des montagnes russes féministes. À certains moments, je me disais : « YEAH ! DES FEMMES EN COLÈRE ! » Parce qu’après tout, les femmes ont d’excellentes raisons d’être en colère. Être blâmée alors qu’on est victime est une des expériences les plus insidieuses, abusives et traumatiques que peut vivre une femme. Non seulement avons-nous été agressées et avons-nous dû admettre et décrire l’agression (ce qui est déjà terrifiant en soi), mais ensuite on nous traite comme si nous avions suscité, mérité ou imaginé cet assaut. C’est débile. J’ai maintes fois assisté à ce processus et je l’ai vécu. Aucune femme ne devrait jamais se faire dire qu’elle doit rester à l’intérieur pour « éviter d’être violée », ni que ses vêtements, son comportement ou son niveau d’intoxication lui ont d’une façon ou d’une autre mérité une agression sexuelle. Dans cette perspective, je peux certainement appuyer le message de « Slutwalk ». Je suis moi aussi heureuse que nous en ayons assez et heureuse que nous soyons en colère ! Mais je crois qu’il y a une autre dimension à la « Slutwalk ». J’ai hésité d’abord à venir appuyer l’événement, même si je ne savais pas avec certitude ce qui me rendait si inconfortable, si hésitante à me joindre au troupeau enthousiaste. Alors que ces enjeux me semblaient très féministes, je n’arrivais à trouver personne qui employait ce mot pour en parler. J’étais très mal à l’aise de voir le mot « slut » (salope) utilisé comme forme d’empowerment (autonomisation ou acquisition de pouvoir personnel) des femmes, et encore plus mal à l’aise d’entendre les organisatrices dire qu’elles avaient pris la responsabilité de se réapproprier ce mot. En effet, ce mot-là a été utilisé pour me blesser, me faire honte et me faire violence. Il a été utilisé pour blesser, faire honte et faire violence à des femmes partout dans le monde. Pour leur imposer le silence, les contrôler, les punir et, bien sûr, les blâmer. Quand j’étais adolescente (et que j’étais moins exigeante dans mon choix d’ami-es), j’ai vu de mes proches blâmer des victimes d’agression. J’ai entendu des amies et amis ainsi que des proches refuser de croire une amie commune lorsqu’elle a divulgué avoir été violée : « Tu sais comment elle est », ont dit mes connaissances. Cette expérience était traumatisante à l’époque et elle continue à me faire bouillir les sangs, aujourd’hui, plus de 10 ans plus tard. J’en ai tiré, comme jeune femme, une leçon mainte fois réitérée depuis ; si vous êtes violée, violentée, agressée, préparez-vous à ce que personne ne vous croie. Préparez-vous aux excuses qu’inventeront les gens pour les hommes qui vous auront fait cela, préparez-vous à voir votre moralité contestée. Déjà à titre d’adolescente, je savais que lorsqu’une femme disait qu’elle avait été violée, il fallait la croire. Il ne fallait pas la blâmer. Je ne peux en dire autant de mes pairs et, à l’évidence, très peu de choses ont changé depuis. Antiféminisme de la « Slutwalk » J’ai donc suivi les progrès de « Slutwalk Toronto » et, en particulier, les conversations et les messages affichés sur sa page Facebook, puisque cela semblait être l’endroit où avaient lieu la majorité des conversations. J’ai cherché et cherché pour trouver une référence au féminisme, voire une validation de cette position et la reconnaissance qu’il s’agissait bel et bien d’un enjeu féministe et d’une bataille que les femmes livraient depuis des décennies, comme le signale la blogueuse Easilyriled (2). Au lieu de cela, ce que j’ai trouvé, de façon répétitive, c’était non seulement un refus d’alignement sur la perspective féministe, mais souvent une aversion ouverte à son égard. J’ai découvert de nombreuses attaques contre le féminisme radical et les féministes radicales, et j’ai constaté le renforcement de stéréotypes négatifs et mensongers au sujet du féminisme (vous les connaissez tous : des misandres, qui haïssent les hommes, ne savent pas s’amuser, anti-sexe, etc.). Même si je pense que les organisatrices avaient de bonnes intentions en souhaitant que la « Slutwalk » rallie tout le monde, leur marche commençait à ressembler beaucoup aux activités de type « fun-feminist », le genre de féminisme qui dit : « NON NON, NOUS SOMMES LES FÉMINISTES QUI SONT JOLIES COMME AVANT, CELLES QUI SONT MARRANTES, NOUS SOMMES OK. NOUS AIMONS LES PÉNIS, LA PORNO ET LE LOOK SEXY » – bref, le genre de féminisme qui, en fin de compte, ne conteste pas grand-chose et se contente de resservir l’imagerie sexiste emballée sous étiquette d’empowerment. J’ai aussi constaté une tentative quasi désespérée et tout à fait systématique d’effacer la dimension de genre comme enjeu central en matière d’agression sexuelle. Ayant fait cette erreur par le passé et ayant été l’objet de longues harangues charitables et de vitupérations en ligne, je ne souhaite aucunement occulter le fait que des hommes sont bel et bien souvent victimes d’agression, de violence et de viol. Ils sont habituellement violés et violentés par d’autres hommes. Il arrive aussi qu’ils soient violés et violentés par des femmes. Mais la violence conjugale, le viol et l’agression sexuelle demeurent très majoritairement commis par des hommes contre des femmes. Le policier torontois qui a recommandé que les femmes évitent de « s’habiller en salopes » si elles ne veulent pas être violées s’adressait à des femmes (3). Il se livrait à un blâme des victimes de façon ouvertement sexiste (« genrée »). Il laissait entendre qu’une femme pouvait « provoquer » ou encourager une agression par un homme en « s’habillant comme une salope ». Nous sommes toutes d’accord sur ce point, n’est-ce pas ? À cela il faut ajouter que le mot « salope » ou « slut » est « genré ». Pouvons-nous aussi convenir de cela ? À ce titre, j’aimerais parler de ce mot, « slut » ou « salope », et de son utilisation dans une manifestation intitulée « Slutwalk » pour s’opposer au fait de blâmer des victimes. La portée des mots – pourquoi ‘slut‘ ? Il existe certainement des raisons pour lesquelles les organisatrices ont décidé d’employer ce mot. Une de ces raisons est que lorsqu’on emploie ce mot, « cela attire l’attention des gens », comme l’a dit l’une organisatrice de « Slutwalk Toronto » sur la page FB du groupe : « By using the slut word, it makes people take notice. The whole point of it all !!! » Mais est-ce « l’essentiel du message », comme elle dit ? Je crains de devoir me dissocier de cette prétention. Avec véhémence. Attirer l’attention est facile. Être féministe est difficile. Cela ne veut pas dire qu’il faut toujours qu’une démarche soit difficile pour être valide. C’est dire qu’être féministe signifie souvent être impopulaire. Contester l’idéologie dominante n’est pas populaire. Si nous accordons trop d’importance à amener les gens à nous aimer, à tenter de rendre notre image acceptable, « attrayante », de digestion facile, je crois que nous mettons en péril notre mouvement. Un autre blogue du F Word, au Royaume-Uni, a consacré un article à l’analyse de l’expression « slut » (4). L’auteure a écrit que, tout en appuyant l’impulsion initiale de « se réapproprier les rues » quelle que soit l’heure du jour – une référence aux manifs « Take Back the Night » – elle ne se sentait pas à l’aise avec l’idée de devoir « se réapproprier » le mot « slut ». Elle y voyait, comme moi, une référence à une attitude qui a infiltré une bonne part du discours postféministe, à la façon du « j’ai-le-droit-de-porter-des-talons-hauts-si-j’en-ai-envie », un stratagème souvent utilisé pour invalider toute critique de quoi que ce soit qui est décrit comme un « choix personnel ». Les organisatrices de la « Slutwalk » ont répondu à cet article d’une façon que j’ai trouvée condescendante, en disant : « It seems some people still don’t want to participate because they grapple with the word ‘slut’. » (« Il semble que certaines personnes refusent encore d’y participer parce qu’elles ont de la misère avec le mot ‘salope’. ») Eh bien, « Slutwalk », j’ai moi aussi « de la misère avec le mot ‘slut’ ou ‘salope’. Ce mot a, comme je l’ai mentionné, été utilisé d’une myriade de façons pour me faire du tort. J’ai été qualifiée de salope pour avoir baisé, pour ne pas avoir voulu baiser, et pour avoir été forcée à baiser. J’ai été appelée salope par des partenaires, des proches et des connaissances. J’aimerais bien que ce mot n’ait pas sur moi le pouvoir qu’il a. J’aimerais bien qu’il n’ait pas été utilisé pour me faire mal et me violenter. Mais il l’a été. Il est impossible d’effacer cela. Quelle que soit ma décision de redéfinir ce mot ou non. Et il continue à être utilisé de cette façon. Voilà pourquoi j’ai « encore de la misère » avec le mot « slut ». Même si certaines ont peut-être décidé de se le réapproprier ou de le redéfinir pour leur empowerment personnel, j’ai bien peur que cela ne change en rien mon vécu. Cela n’équivaut pas à dire que tenter de changer le langage n’est pas une initiative utile. Ni qu’il est impossible d’enlever à un mot son pouvoir de faire mal aux gens et de les violenter. Ce que je dis, c’est que c’est quelque chose dont nous devons convenir, en tant que groupe opprimé qui a décidé de se réapproprier le mot qui a une charge d’oppression, et que ce processus prend du temps. Un « choix » imposé Bien que l’on ait affirmé que personne n’a l’intention d’imposer cette prétendue « réappropriation » à d’autres personnes, mais plutôt que chacun-e peut choisir d’être « une salope ou un-e allié-e », je constate que personne ne parle du fait, bien réel, que la « Slutwalk » fait pression sur des femmes (et des hommes !) pour intégrer ce mot, un mot violent, à leur discours d’empowerment. En fait, ce phénomène semble passer inaperçu. Il se peut bien que je sois, en théorie et dans la vie, l’« allié-e » d’une femme qui se décrit comme une « salope ». Mais ne comptez pas sur moi pour traiter cette femme de la sorte. Le mot « slut » est-il vraiment un choix personnel quand nous défilons sous la bannière d’une « Slutwalk » ? Ce langage de self-empowerment et de choix peut bien se dire accommodant, mais lorsqu’on reproche aux critiques de cette manifestation et de ce langage d’« avoir de la misère » avec cette expression, je me demande si la « Slutwalk » est aussi accommodante qu’elle prétend l’être. Informer le public en général que le mot « slut » est « réapproprié » est certainement une forme d’empowerment et certaines femmes y prennent beaucoup de plaisir, mais cela n’encourage pas nécessairement la solidarité, pas plus que les insinuations selon lesquelles les féministes qui ne souhaitent pas adopter cette étiquette n’ont tout simplement pas acquis suffisamment d’empowerment pour cesser d’avoir « de la misère » avec le langage. L’objectification comme mode d’empowerment ou d’autonomisation Et tant qu’à parler de langage, il semble que « Slutwalk »TO a rejeté certains termes qui auraient été particulièrement pertinents. Leurs organisatrices ne s’identifient pas, dans l’ensemble, comme féministes et ne semblent pas non plus d’avis que les rapports sociaux de sexe constituent un facteur central dans l’agression sexuelle et dans le blâme des victimes. Je me demande si dans un effort d’inclusivité, on n’a pas soulagé des hommes de leur responsabilité. Beaucoup d’hommes semblent raffoler de cet événement. La page FB de « Slutwalk TO » est bourrée d’amis qui se délectent du discours « non, nous ne sommes pas féministes, nous sommes humanistes » et se servent de cette page pour promouvoir leur image de gars progressistes. Des hommes qui aiment bien l’activisme quasi-féministe, du moment qu’on ne les rend pas inconfortables, le genre qui préfère cette version du féminisme que propage l’organisation Feminist Majority (5). C’est une version gentillette, qui ne dit pas grand-chose. Une version qui rassure le public en lui disant que les féministes sont simplement des femmes jolies, hétérosexuelles, qui aiment les pénis et le fait de se raser les jambes. Des femmes qui ne menacent pas le statu quo. L’utilisation d’une imagerie vaguement porno rend cet événement d’autant plus attrayant pour les hommes nerveux à l’idée du féminisme, mais rassurés par des images comme la classique silhouette « sexy » de garde-boue de camions, logo utilisé pour la « Slutwalk DC » (Washington) sur son nouveau site Web et qualifié de « sexy » par les femmes de « Slutwalk Toronto ». Je ne crois pas que cette déesse des poids-lourds présente quelque défi à l’imagerie et aux discours sexistes sur les femmes et la sexualité féminine. Et pourquoi donc exactement le féminisme a-t-il besoin d’être « sexy » pour être endossé ? La réponse est bien sûr qu’il faut le rendre acceptable aux hommes et aux personnes qui ne souhaitent pas vraiment contester l’idéologie dominante ou se pencher sur les racines du patriarcat. Afin que vraiment personne ne se sente inconfortable. Et maintenant, voici qu’un espace a été créé où il est non seulement acceptable mais progressiste (!) pour des hommes de traiter les femmes de salopes, comme l’exprime ce fan de « Slutwalk Toronto » sur la page FB du groupe : « …Stay strong, stand true, be the sluts I know and love ! » (« Demeurez fortes et fermes, soyez les salopes que je connais et que j’aime ! ») et beaucoup d’autres renchérissent : « I LOVE SLUTS !!!!! » (« J’aime les salopes !!!!! ») Où il est parfaitement acceptable pour les hommes de consommer de la porno parce qu’après tout, hey !, les femmes en regardent aussi, comme le signale un message repiqué sur le site FB de « Slutwalk Toronto » : « Girls Watch Porn, Too ». Et où il est acceptable d’objectifier les femmes parce que nous avons décidé que l’objectification est en fait une forme d’empowerment. Ce souci d’acceptabilité inclut ce qui me semble un effacement systématique des dimensions d’exploitation et de genre dans une foule de phénomènes, allant de l’agression sexuelle à la prostitution. Ainsi quelqu’un d’autre écrit sur le site FB de « Slutwalk Toronto » : « Why do I love ‘Slutwalk’ and become very uncomfortable when the terms ‘slut’ and ‘slutty’ are tossed around as casual insults ? For the same reason I object to the notion that there is anything necessarily wrong with promiscuity and prostitution... » (« Pourquoi est-ce que j’adore la « Slutwalk » et me sens-je très mal à l’aise dès que les mots ‘salope’ et ‘cochonne’ sont lancés comme des insultes sommaires ? Pour la même raison que je m’objecte à la notion qu’il y a quelque chose de fondamentalement mauvais dans la licence sexuelle et la prostitution… ») Essayez de dire quoi que ce soit sur la nature sexuée de la violence conjugale et de l’agression sexuelle : il est certain qu’on vous rappellera que « les femmes violent aussi les hommes » et que la perspective correcte est de voir tout le monde comme « humain » plutôt que sexué, ce qui a l’avantage d’escamoter le patriarcat comme force dirigeante en matière de viol et de violence. De tels commentaires sont habituellement accueillis avec des propos encourageants (sous prétexte qu’être attiré par des femmes bien en chair est progressif ! Bravo d’être aussi avant-gardistes, les gars !) et appuyés par des arguments du genre « si l’on s’objectifie soi-même, alors c’est correct ». Salopes VS radicales Dans la logique naturelle de tels commentaires, on verra les messages tracer une distinction entre les « bonnes féministes » (c.-à-d. les salopes) et les « mauvaises féministes » (c.-à-d. les radicales). Dans un autre commentaire de la même page, on dit de l’auteure féministe Ariel Levy – Female Chauvinist Pigs : Women and the Rise of Raunch Culture : « …her arguments tend to descend into shrill, wildly incoherent polemics ». Si elle est décrite comme « stridente » et « incohérente », c’est sans doute parce qu’elle critique ce concept absurde et « postféministe » selon lequel l’auto-objectification constituerait d’une façon ou d’une autre une forme d’empowerment, une façon d’acquérir du pouvoir. La constante différenciation entre le stéréotype imaginaire de la « féministe qui haït les hommes » (radicale) et des féministes « sexy/fun » qui aiment être objectivées donne tout simplement à vomir. Veut-on que nous fassions d’un homme un héros parce qu’il « aime les gros culs » ? Quelle est l’utilité, dans une conversation où l’on parle des femmes, de l’agression sexuelle contre les femmes et du blâme des victimes (féminines), de constamment rappeler à tout le monde que les femmes sont également des agresseures ? Je crois que nous savons toutes que les hommes sont eux aussi agressés et qu’il est effectivement important de continuer à en parler pour subvertir la dichotomie suggérant que « les hommes ne peuvent être des victimes », ce qui fait tellement partie de notre vision si réductrice de ce que sont la « masculinité » et la « féminité ». Les conversations au sujet des victimes masculines sont importantes et doivent avoir lieu. Mais comme le note Elsie Hambrook dans son billet « The Facts and Politics of Intimate Partner Violence » (6), ces commentaires du type « Oui mais les hommes ?… » sont rarement faits de bonne foi. « Ils veulent rarement ajouter à un échange important… Ils ont plus souvent pour intention de freiner et stopper la conversation. » Dans les circonstances sur lesquelles je me penche, il semblerait qu’ils aient pour intention d’effacer de la conversation les rapports sociaux de sexe. Hambrook ajoute : « Ce commentaire vient saper une des rares occasions où les préoccupations des femmes sont prises au sérieux. » Vendredi dernier, le débat concernant « Slutwalk » a été mis en ondes à l’émission de TV Ontario, The Agenda (7). Je n’ai pu m’empêcher de bouillir, une fois de plus, lorsque Heather Jarvis (la fondatrice de « Slutwalk ») a invoqué l’argument de l’« empowerment personnel » pour défendre l’utilisation et la tentative de réappropriation du mot « slut », en disant : « Si je me donne l’appellation que je veux, quelle qu’elle soit, et que c’est pour moi une expérience d’empowerment, je trouve problématique que quelqu’un d’autre dise que ce n’est pas un bon choix, quand c’est mon choix. » Je crois qu’avec cette courte réplique, Jarvis résume en bonne partie ce qui me rend mal à l’aise face à « Slutwalk », et ce depuis la première heure. « Si je ressens de l’« empowerment » en raison d’un choix personnel, alors personne d’autre ne devrait avoir quoi que ce soit à dire à ce sujet ; cela n’affecte que moi » n’est pas un argument convaincant en faveur du féminisme, comme je l’ai écrit dans un autre billet de The F Word, « The Trouble with Choosing Your Choice » (8). À bien des égards, « Slutwalk » ressemble au même genre de féminisme privilégié, individualiste - « tous les choix sont bons du moment que ce sont les miens » - qui soutient que la prostitution est simplement un choix comme un autre (ou un « travail » comme un autre), que l’objectification peut être une source d’empowermentsi nous choisissons de nous auto-objectifier et que, hey, si des implants mammaires me font me sentir bien, alors tout le monde doit accepter cela comme un genre d’action féministe, puisque je dis que c’en est une. Renier le féminisme pour plaire aux hommes La réappropriation du mot « slut » par les femmes est non seulement inutile, puisque je ne crois pas que nous ayons besoin d’une expression particulière pour désigner les « personnes qui aiment la sexualité consensuelle » (leur définition des « sluts ») ; mais c’est même une impossibilité puisqu’elles ont retiré l’aspect de genre de leur définition en ne faisant pas le choix de parler des femmes qui aiment la sexualité consensuelle – encore que je doute que de le faire eût été une bonne idée puisque je préfèrerais croire, bien sûr, que toutes les femmes aiment la sexualité consensuelle… Ce sont les hommes, ou à tout le moins une culture patriarcale, sexiste, dominée par les hommes qui a utilisé le mot « slut » pour faire taire et faire honte à des femmes. C’est dire que si nous convenions toutes que nous voulons « nous réapproprier » ce terme (et qu’il soit bien clair qu’il n’y a pas consensus à ce sujet, comme le rappelle Rebecca Mott dans « Reasons I Will Not Go on the ‘Slutwalk‘ » (9), cette réappropriation devrait être sexospécifique. Les hommes n’ont pas été violentés et humiliés et attaqués à l’aide de ce mot. Les femmes, si. J’ai la conviction absolue que nous devons travailler à mettre fin à une culture de viol et au blâme des victimes. Comme « Slutwalk » le dit explicitement, personne ne demande à être violée. Personne ne mérite d’être violée. Ce message est important ; il est en fait nécessaire. Ce qui n’a aucun sens pour moi, c’est de retirer de l’équation la dimension de genre, de mettre l’accent sur un empowerment individuel (l’argument « rien de ce qui me fait ‘tripper’ ne doit être contesté », et le fait d’affirmer - pas suggérer, affirmer - que « l’expression « slut » est réappropriée pour signifier une personne qui aime la sexualité consensuelle. » C’est écarter des données extrêmement importantes. Par exemple, le mot « femmes » et le mot « féminisme ». La cofondatrice de « Slutwalk », Sonya JF Barnett, a écrit sur son blogue, dans un article intitulé : « Being a Slut and Getting Pissed Off » (Être une salope et de plus en plus en maudit) (10) qu’elle « s’étiquetterait ‘salope’ avant de se dire ‘féministe’. Elle adopte le mot ‘salope’ parce qu’elle aime le sexe mais rejette le mot ‘féministe’ à cause de la réputation de ‘haine des hommes, de jambes poilues et de sandales Birkenstock’ qui ont été associées à ce terme ». OK… mais dans ce cas-là, pourquoi ne pas tenir une marche féministe ? Pourquoi défiler pour une expression comme « salopes » ou « slut » alors qu’il est clair que, si certaines veulent se la réapproprier, beaucoup d’autres la trouvent humiliante et blessante. « Slut » n’est pas un mot que nous avons inventé et qui nous aurait été enlevé. Le féminisme, par contre, signifie quelque chose. C’est un mot et un mouvement que des femmes ont créé et c’est un mot que le patriarcat essaie très fort de nous enlever. Pourquoi ne pas travailler à le conserver ? Pourquoi, au lieu de perpétuer des stéréotypes, ne pas s’intituler fièrement féministes ? Nous possédons déjà un mot pour décrire les femmes qui appuient la sexualité consensuelle, l’égalité et la fin de l’oppression patriarcale. Pourquoi sommes-nous à l’aise à l’idée de nous appeler entre nous, et de permettre aux hommes de nous appeler des « salopes », mais rejetons-nous le mot « féminisme » ? Cela pourrait-il tenir au fait que les hommes et la culture traditionnelle sont beaucoup plus susceptibles de nous accepter et de nous appuyer si nous nous qualifions de salopes et défilons en soutien-gorge ? Alors que si, au contraire, comme le soulignait Gail Dines à l’émission « The Agenda », nous « tournions le projecteur vers les hommes », si nous nommions les hommes comme les principaux agents des agressions sexuelles commises contre les femmes, si nous nommions le patriarcat comme la base d’une culture de viol et du blâme des victimes, et ensuite nous nommions le féminisme comme le mouvement qui travaille à combattre ces forces, eh bien, il est probable que certains hommes cesseraient de nous aimer. Si nous faisions cela, il est possible que certains hommes, des hommes qui ne souhaitent pas voir ce genre de choses soulignées (et je ne parle pas des féministes et alliés masculins, qui sont solidaires avec nous et soulignent eux-mêmes ces réalités), ne voudront pas nous accompagner à notre défilé. Il se peut qu’ils ne veuillent pas nous photographier, visiter nos pages Facebook et crier « J’aime les féministes ! » aussi fort qu’ils aiment crier « J’aime les salopes ! » Mais pour ce qui est de dire ce que nous voulons dire, d’aller à la racine et aux bases de l’agression sexuelle et du blâme de ses victimes, et de tenir tête au système, je crois que ce dont nous parlons est probablement, en fait, le féminisme. Je crois que nous sommes probablement, concrètement, des féministes. Pas des salopes. Des féministes. Rejeter le mot féministe, mais embrasser le mot salope me donne le sentiment que nous avons toutes bu quelque philtre empoisonné. J’ai un peu l’impression que tous ces détenteurs du pouvoir patriarcal doivent bien rire dans leur barbe à constater le succès de leur dur labeur, ayant dissuadé les femmes de s’identifier comme féministes et les ayant convaincues d’adopter le langage oppressif employé pour nous tenir en respect, nous insulter, nous objectifier et nous violer. En espérant qu’ils vont arrêter de le faire. Que peut-être ils nous aimeront, nous respecteront et se joindront à nous, du moment que nous ne nuisons pas trop à leur confort. Du moment que nous avons l’air « sexy » quand nous manifestons. Ellie m’a signalé cet incroyable monologue poétique de Julian Curry sur la dynamique entourant le mot « nigger » (11). Je crois que nous pouvons en tirer des parallèles utiles. Notes 1. Lien. Version originale : "We’re Sluts, Not Feminists. Wherein my relationship with Slutwalk gets rocky", publié sur le blog “The F Word” par Meghan Murphy, Vancouver, le 7 mai 2011. Traduction : Martin Dufresne Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 mai 2011 |