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2003

Les femmes et la carrière universitaire. Un choix délibéré

par Nathalie Dyke, journaliste et auteure






Écrits d'Élaine Audet



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À la suite de la réaction de Robert Leroux à propos de mon texte sur le problème de recrutement des professeurs d’université et particulièrement des femmes (Le Devoir, 26 février, 2003), quelques mises au point s’imposent. Si l’on écarte les insultes, ce professeur soutient que, depuis une vingtaine d’années, les femmes sont favorisées au moment de l’embauche comme professeur. Mieux : que les hommes, bardés de postdoc et de publications, sont traités de façon inéquitable devant des candidatures de femmes avec moins de qualifications. De plus, ce sociologue avance qu’il faudrait renforcer les exigences afin que les hommes et les femmes soient traités de façon égalitaire. Selon lui, si une personne n’est pas capable de composer avec les pressions de ce milieu, qu’elle aille "se cantonner" dans un cégep.

Ce discours est aux antipodes de ma position. Malgré les programmes d’égalité en emploi, les femmes n’occupent que 30 % du corps professoral, et leur présence est très inégalement répartie à travers les disciplines. Cette réalité n’est pas aujourd’hui le résultat d’une "injustice". Les femmes choisissent de faire autre chose de leur vie plutôt que d’opter pour une carrière universitaire parce que plusieurs d’entre elles réalisent, notamment en cours d’études doctorales, tout ce qu’elles devront mettre de côté ou reporter, tel que la stabilité financière, le projet d’avoir des enfants et de mener une vie équilibrée, pour pouvoir se forger non seulement une place dans ce milieu, mais aussi y performer pour répondre aux attentes actuelles.

Les années 1990

Dans le milieu universitaire, à travers le Canada, les années 1990 ont été marquées par une rationalisation sans précédent des ressources financières, par des départs à la retraite et par un long gel de l’embauche. La plupart des départements ont dû aussi réduire le soutien administratif offert aux professeurs. Le nombre d’étudiants par classe a augmenté et les pressions pour que les professeurs cherchent et publient davantage se sont accrues. Cette situation a contribué à détériorer le climat de travail mais aussi à promouvoir un modèle unique de chercheur-performant.

Dans un contexte où les postes sont rares et la compétition féroce, un profil de carrière s’est imposé. Le profil type de la recrue est celui qui détient un doctorat suivi d’un stage postdoc effectué de préférence dans une université étrangère. Le profil type du professeur est celui qui enfile recherche sur recherche afin de publier le plus grand nombre possibles d’articles. Ces attentes sont pratiquement inconciliables avec une ou deux ou trois grossesses et avec la prise en charge d’enfants en bas âge autant pour les mères que pour les pères. À mes yeux, cette profession telle qu’elle s’est pratiquée dans les années 1990 ne favorise pas le développement d’une qualité de vie personnelle.
La décennie 2000

Depuis deux ans, la conjoncture a basculé au point où le renouvellement du corps professoral sera la problématique numéro un des administrateurs universitaires pour la prochaine décennie. Or le recrutement massif qui se prépare dans plusieurs universités est confronté à la limite de candidats disponibles. Dans ce contexte de compétition inévitable entre les établissements, certains administrateurs craignent déjà le maraudage. L’université à deux vitesses qui peut se dessiner, ce n’est pas entre les hommes et les femmes, mais plutôt entre les anciens profs et les nouvelles recrues à qui l’on offre des incitatifs propres au secteur privé.

Ceci dit, le nombre de femmes dans le corps professoral continue d’être un problème. Or il est absurde de choisir un candidat en fonction de son sexe. Mais si l’université est arrivée au point de procéder ainsi pour remplir des quotas idéaux, c’est pour redresser une situation qui perdure depuis trop longtemps. Je reconnais que c’est une mauvaise réponse à un problème réel. Si l’université entend vraiment redresser la situation, une réflexion profonde s’impose sur toutes les dimensions du processus qui mène à l’obtention d’un doctorat (financement, encadrement, perspectives d’emploi, conciliation travail-famille) et sur la définition du travail de professeur. Cette réflexion bénéficierait à tous.

Redéfinir les normes

L’enseignement universitaire aux trois cycles est une des tâches les plus importantes de la société. La vague de recrutement actuel est cruciale parce qu’elle va déterminer le profil et la nature du corps professoral pour les 25 prochaines années. À ce titre, cela mérite qu’on s’y penche sérieusement. Or de nouvelles normes doivent être définies pour faire en sorte que les professeurs n’aient plus à travailler entre 50 et 60 heures par semaine et qu’une meilleure distribution des tâches soit réalisée.

L’idée de penser à une nouvelle façon d’arrimer l’enseignement et la recherche dans différents profils de professeurs circule depuis longtemps et mériterait d’être expérimentée afin de voir si cette solution permettrait une division plus efficace du travail et une meilleure reconnaissance de ces différentes tâches au moment de la promotion.

D’autres idées sont certainement à proposer. Chose certaine, une nouvelle façon de penser la profession sera nécessaire afin d’attirer de nouvelles recrues et de permettre aux professeurs, hommes et femmes, d’avoir la possibilité, à l’instar des autres corps d’emploi dans d’autres secteurs de la société, de mieux concilier le travail et la famille.

Et la civilité ?

Quant aux insultes qui me sont adressées, j’estime qu’il est déplorable d’occuper l’espace public avec une telle condescendance hargneuse et un tel délire d’interprétation rempli de projections. Cette réaction est indigne d’un professeur d’université censé être capable d’utiliser des stratégies argumentatives plus réfléchies et faire preuve d’éthique dans ses communications. Au lieu de proposer des solutions aux problèmes décrits, il a préféré déverser son fiel. À la lecture de son texte, la seule nouvelle question qu’on se pose est de se demander ce qui a bien pu lui arriver. Ce qui renchérit ma position : l’université est décidément un milieu très dur.

Texte publié dans Le Devoir, le 17 mars 2003. L’auteure a autorisée la diffusion de son texte sur Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe le 3 avril 2003



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Nathalie Dyke, journaliste et auteure

Journaliste et auteure, Nathalie Dyke s’est beaucoup penchée ces dernières années sur des problématiques liées à la famille. Détentrice d’un doctorat (Ph.D.) en Sciences de l’éducation et d’une maîtrise en Sciences de la communication de l’Université de Montréal, elle est l’auteure d’une thèse sur l’expérience de devenir parent (à paraître) et co-auteure du livre " Cultures et paternités. Impact de l’immigration " aux Éditions Saint-Martin (2000). Communicatrice dans l’âme, cette journaliste se soucie de diffuser au grand public les connaissances en sciences humaines et sociales. Elle a publié plusieurs portraits, reportages, opinions et recensions dans Madame, Interface, Affaires universitaires et Le Devoir. Nathalie Dyke enseigne aussi au département des Lettres et communications de l’Université de Sherbrooke et prépare un essai sur les femmes et la création intellectuelle, subventionné par le Conseil des arts du Canada.



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