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vendredi 30 mai 2003 Comment limiter le décrochage scolaire des garçons et des filles ? D’abord déconstruire les stéréotypes sexuels
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D’entrée de jeu, il faut savoir que notre équipe* a produit un guide d’intervention destiné au secondaire, de même qu’une formation de deuxième cycle conçue pour le personnel scolaire, portant l’un et l’autre sur les écarts de réussite entre garçons et filles au Québec. Ce constat doit être mis en parallèle avec les besoins pressants d’information et de formation adéquates remarqués chez les personnels scolaires (recherche en cours).
Persévérance et rendement La notion de réussite scolaire comporte deux dimensions qu’il est essentiel de distinguer : d’une part, la persévérance, d’autre part, le rendement. Le contenu de la première dépasse celui de décrochage scolaire pour couvrir l’ensemble de la scolarisation. Contrairement aux années 70, les aspirations scolaires des filles dépassent maintenant celles des garçons. Une majorité de filles (54% en 1996) vise l’université alors que le groupe le plus important de garçons (43%) souhaite faire des études collégiales. Quant au décrochage scolaire (à 17 ans), il se situait en 2000-2001 à 8,8% chez les filles et à 13,9% chez leurs confrères, un écart de 5,1%. Chacun de ces deux ensembles de données varie suivant l’origine sociale. Au sujet de l’influence de la famille que ce dernier concept implique, l’analyse présentée dans les Dynamiques familiales de la réussite scolaire au secondaire (sous presse) montre chez les parents une conception à double volet de l’utilité de la scolarisation. Visant tant les fils que les filles de la même famille, les implications de chacun des parents s’inspirent d’une vision de l’école comprise comme outil de mobilité sociale. S’y greffe dans les interventions s’adressant aux filles, de la part des mères et de certains pères, une conception de l’école conçue comme instrument d’émancipation sociale, procurant aux filles une source de motivation supplémentaire. La recherche montre également comment correspond à l’implication parentale, de la part des garçons et des filles en situation de réussite, une prise en charge de leur propre cheminement scolaire. Cette dernière caractéristique, soit dit en passant, constitue la première compétence que transmettent aux jeunes en grande difficulté, les écoles de raccrochage efficaces. Identité de sexe et rapports entretenus avec l’école A ce jour, une seule théorie permet d’expliquer la globalité de la problématique abordée ici tout en respectant sa réalité . Élaborée à partir de la situation des jeunes du secondaire québécois, cette théorie se vérifie aux ordres d’enseignement collégial et primaire. Elle est étayée par diverses analyses françaises, britanniques, australiennes ou américaines. Elle permet d’éviter de généraliser à tous les garçons une problématique qui ne touche qu’une partie d’entre eux et elle s’applique aussi, c’est important de le souligner, aux filles en difficulté. Cette théorie met en parallèle deux dynamiques concomittantes : d’une part, les rapports que les garçons et les filles entretiennent avec l’école, inscrits dans un continuum allant de la proximité à la distance scolaire ; d’autre part, un processus de construction des identités de sexe interrogées sous l’angle de l’affranchissement ou de la conformité aux représentations de sexe traditionnelles. Les deux dynamiques sont modulées par le milieu socio-économique. Dans les faits, les mêmes mécanismes entrent en action chez les garçons et chez les filles : 1) l’affranchissement des stéréotypes de sexe s’accompagne d’une meilleure réussite scolaire ; 2) cet affranchissement est plus marqué dans les milieux favorisés que dans les milieux modestes ; 3) sous ce rapport, les filles sont moins marquées par l’origine sociale que les garçons ; 4) une plus petite proportion de garçons que de filles parviennent à se dégager des stéréotypes ; 5) les filles " moyennes " ont plusieurs traits communs avec celles qui réussissent alors que les garçons " moyens " sont plus près des garçons en difficulté. Une piste d’action : déconstruire les stéréotypes sexuels En bref, certains garçons, particulièrement en milieu modeste, se construisent une identité de sexe les distanciant simultanément de l’école. Dans la même veine, une équipe de spécialistes australiens a identifié des " pédagogies productives " élaborées graduellement par des "communautés enseignantes d’apprenants professionnels", qui, dans le cadre d’une politique explicite d’égalité entre les sexes, ont pour trait commun de s’attacher à déconstruire les identités de sexe masculines, c’est-à-dire ouvrir les garçons à l’école. Première piste d’action : une intervention systématique contrant les stéréotypes sexuels, avenue qui a déjà prouvé son efficacité (au primaire québécois, avec les filles québécoises, avec les garçons australiens). Quant à la deuxième composante de la réussite, les écarts significatifs de rendement entre garçons et filles se situent essentiellement en lecture et en écriture. Au primaire et au secondaire, les garçons consacrent en moyenne moins d’heures que les filles à la lecture. Une recherche en milieu ouvrier et populaire, au primaire, a montré par ailleurs que les habitudes de lecture - ainsi que d’autres facteurs - départagent ceux et celles qui réussissent de ceux et celles en difficulté. L’efficacité de cette deuxième piste d’intervention ne fait aucun doute et, il semble, celle-ci a été reconnue par le ministère. Cependant, il ne suffit pas de garnir les bibliothèques, il faut des actions systématiques et répétées dans les écoles primaires et secondaires visant à développer les pratiques de lecture et le plaisir de lire. Les besoins à ce titre se situent d’abord en milieu socio-économiquement faible et les interventions seront bénéfiques pour les filles et les garçons. Prendre en charge sa propre scolarisation Ensuite, on ne peut faire l’économie d’un questionnement sur le processus graduel de prise en charge de sa propre scolarisation. C’est la troisième piste d’action suggérée. Elle part du principe que si l’école et les parents jouent des rôles extrêmement importants dans l’atteinte des objectifs de réussite scolaire, de réussite éducative et de réussite sociale, il faut reconnaître aux jeunes une part de responsabilité propre en ce domaine et il faut les former à l’assumer. Le concept de prise en charge employé ici renvoie à un ensemble de facteurs pour lesquels les recherches montrent des écarts significatifs entre les deux groupes de sexe (de même qu’une influence de l’origine sociale) : la motivation dans les études, le sens donné à sa vie scolaire, l’acquisition du goût de l’effort, la responsabilisation et le contrôle de soi, le plaisir d’apprendre et l’amour de l’école, etc. Un aspect de la prise en charge peut se mesurer par les heures de travail consenties. Or, on sait que de façon générale, les filles s’investissent davantage que leurs confrères et qu’elles reçoivent mieux les encouragements des parents en ce sens. En investiguant par ailleurs l’autonomie dans la gestion de son temps de travail scolaire, on voit que non seulement cette aptitude peut s’acquérir dès le primaire, mais que celle-ci est associée à la réussite des garçons et des filles. Ainsi en est-il du plaisir d’apprendre, dont le pouvoir de motivation est beaucoup plus efficace que le discours dominant sur la nécessité du diplôme. Enfin, autre cible, la situation scolaire des peuples autochtones. Ces groupes présentent aussi des écarts entre garçons et filles, au point où la résilience scolaire serait le propre des filles. Nos travaux indiquent qu’il faut mettre de côté la vision comptable de la réussite pour adopter une approche holistique. La philosophie d’intervention sera axée sur le développement de l’autonomie assumée, l’approche pédagogique sur la valorisation du patrimoine et la méthode pédagogique s’inspirera des principes de la pédagogie du projet. Des pièges à éviter En terminant, certains pièges guettent les intervenants et les intervenantes et se doivent d’être signalés. D’une part, l’introduction de la non-mixité comporte des risques très réels pour les garçons, et les écoles australiennes qui réussissent avec ceux-ci ont abandonné cette formule ; d’autre part, toute intervention basée sur des conceptions stéréotypées des garçons et des filles conduit vers un cul-de-sac. Ensuite, la volonté d’embaucher plus d’hommes au primaire repose sur de fausses prémisses et relève d’une autre problématique. Enfin, la façon dont la question de la réussite des garçons est abordée incite trop souvent à oublier les besoins des filles en difficulté. *Jean-Claude St-Amant est professionnel de recherche, rattaché au Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. |