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samedi 8 février 2014

Projet de loi 60 - Enchâsser la laïcité et la neutralité de l’État : un principe fondamental

par Les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l’État






Écrits d'Élaine Audet



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Consultation générale Projet de loi no 60
Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que l’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement

Les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l’État

Voici des extraits du mémoire qu’on peut télécharger en fichier PDF à la fin de la page.

(...)

Introduction

Le présent mémoire est présenté à titre personnel par ses signataires.

Bien que nous soyons, tous les signataires, des juristes spécialisés en droit constitutionnel et en droit public, notre intention première n’est pas ici de débattre de la validité constitutionnelle du projet de loi 60. Nous voulons plutôt faire connaître notre accord avec l’objectif que poursuit le Gouvernement avec ce projet et avec les moyens qu’il met de l’avant pour atteindre cet objectif. Nous voulons aussi formuler en second lieu un certain nombre de critiques et de suggestions concernant la facture du projet de loi.

Le premier objet de notre intervention concerne donc l’opportunité politique davantage que la légalité. Notre opinion à cet égard relève pour beaucoup cependant de notre expérience et de nos connaissances juridiques. Et il en va de même pour le second objet de notre intervention, la facture du projet de loi 60.

En ce qui a trait à la validité constitutionnelle du projet de loi 60, il semble que le débat entre juristes n’ait eu pour objet que le quatrième moyen de mise en oeuvre retenu par le Gouvernement, soit celui de la restriction du port de signes religieux au moment de l’exercice d’une fonction publique par un agent de l’État. Les opinions juridiques qui se sont exprimées à ce sujet l’ont généralement fait avec nuance et retenue, et nous les respectons. Nous apparaissent néanmoins présomptueuses les prétentions de certains au monopole de la clarté et de la vérité juridiques.

Nous croyons, pour notre part, que l’évolution récente de la jurisprudence, tant en ce qui regarde le critère de l’existence d’une atteinte à la liberté de religion, qu’en ce qui concerne le caractère raisonnable d’une telle atteinte, permet de penser que la restriction en question est constitutionnelle. Et puis, sous l’influence de facteurs nouveaux, il arrive que l’état présent du droit doive évoluer : une charte des droits et son interprétation à un moment donné n’est pas la fin de l’histoire.

Le débat juridique sur la validité de cet aspect du projet pourra peut-être reprendre plus tard. Mais il ne faudrait surtout pas qu’il brouille ou inhibe le débat sur l’opportunité politique de l’ensemble d’un projet qui veut favoriser l’affirmation concrète du principe de la laïcité et neutralité religieuse de l’État. N’est-il pas légitime qu’un peuple s’interroge et s’exprime sur cette sorte d’enjeux, par le moyen d’une démocratie parlementaire qui pourrait, si nécessaire, utiliser les dispositions de dérogation expresse que contiennent les chartes québécoise et canadienne des droits ?

Contrairement à ce que certains ont prétendu, l’usage de la dérogation expresse n’est assorti, la Cour suprême du Canada l’a reconnu, d’aucune condition de fond.

(…)

• Enchâsser la laïcité et la neutralité de l’État : un principe fondamental

(...) nous sommes d’opinion qu’il est souhaitable que la valeur de laïcité et de neutralité religieuse de l’État soit introduite en tant que principe juridique fondamental au sein de la Constitution formelle du Québec, c’est-à-dire dans la Charte des droits et libertés de la personne. Cet enchâssement du principe est opportun car il répond à un besoin de sûreté juridique quant à ce qu’implique le concept de liberté de conscience et de religion, sûreté que les tribunaux apparaissent eux-mêmes souhaiter. Il est également rendu important de procéder à cet enchâssement maintenant, en raison de l’évolution sociale accélérée que nous connaissons.

Le débat de fond sur l’opportunité politique du projet de loi 60 s’est souvent résumé en termes d’urgence tangible ou de nécessité pratique d’agir. Existe-t-il un problème immédiat à solutionner, une crise présente à résoudre ? Des juristes ont invoqué une jurisprudence surannée pour prétendre que seule l’urgence permet de limiter la liberté, même au nom de la liberté. D’autres ont réclamé des études d’impact, comme s’il s’agissait de déterminer où doit passer une voie ferrée.

À notre avis, le projet de loi 60 soulève plutôt une question de principe, de principe fondamental. Lorsque la Charte des droits québécoise a été adoptée en 1975, il n’y a pas eu d’étude d’impact, et pour cause. Il s’agissait alors d’enchâsser dans la Constitution formelle du Québec, à la lumière du contexte d’alors, un certain nombre de valeurs sous forme de principes juridiques devant guider l’évolution de la société québécoise. Le projet de loi 60 veut justement ajuster la Charte des droits à un contexte évolutif différent. Face à une société qui se pluralise et se diversifie en accéléré, entre autres en matière religieuse, il veut que l’État, qui représente tous les citoyens, soit et apparaisse être neutre religieusement. Bref, le projet de loi 60 doit selon nous être vu comme un instrument de prévision et de prévention, et non simplement comme un remède.

La législation proposée est également cruciale afin de maintenir l’intégrité du droit face aux normes religieuses. Cette autonomie du droit constitue la marque distinctive d’une société démocratique et fonde la légitimité des décisions judiciaires, et par là, de tout notre système juridique.

Nous faisons nôtres les propos suivants de l’honorable juge LeBel (avec l’accord du juge Rothstein), dans son importante dissidence dans l’affaire N.S.11, qui expriment avec acuité le rôle de la neutralité religieuse de l’État et de ses institutions : « [73] La volonté de maintenir un système de justice indépendant et transparent, qui prend en compte les intérêts et la dignité de tous reste un élément clé des traditions sur lesquelles repose notre société démocratique. La neutralité religieuse de l’État et de ses institutions, y compris des tribunaux et du système de justice, assure la vie et la croissance d’un espace public ouvert à tous, peu importe les croyances, le scepticisme ou l’incrédulité de chacun. Les religions sont des voix parmi d’autres qui s’expriment dans l’espace public, qu’occupent également les tribunaux. »

Analyse des mesures proposées

Le projet de loi 60, nous dit encore son préambule, veut atteindre son objectif à l’aide de « certaines mesures visant à assurer le respect » du principe de la laïcité et de la neutralité religieuse de l’État. Ces mesures sont au nombre de quatre. Le projet de loi fait d’abord du principe de laïcité et de neutralité religieuse de l’État un principe d’interprétation et de limitation des droits et libertés énoncés dans la Charte des droits. Il fait ensuite du principe de laïcité et de neutralité religieuse de l’État un principe qui ne doit pas être compromis lors de l’octroi par l’État d’accommodements fondés sur des motifs religieux. Il impose aux agents de l’État, en troisième lieu, un devoir de réserve et une obligation de neutralité religieuse en ce qui a trait à l’expression de leurs croyances religieuses dans l’exercice de leurs fonctions. Puis, comme corollaire, il interdit à ces derniers de porter un signe religieux ostensible dans l’exercice de leurs fonctions.

Nous sommes d’accord avec ces quatre moyens de mise en oeuvre du principe de laïcité et de neutralité religieuse de l’État. Les trois premiers ne semblent pas soulever de grands débats quant à leur opportunité politique. Le quatrième, qui fait l’objet de nombreuses discussions, nous apparaît pourtant de la même nature que le troisième. Un agent de l’État pourrait bien s’objecter à l’obligation de réserve concernant l’expression de ses croyances religieuses, i.e. l’interdiction de faire du prosélytisme, pour les mêmes raisons religieuses qu’il peut, selon certains, s’objecter à la restriction du port de signes religieux ostensibles. En effet, si l’on devait suivre cette logique jusqu’au bout, l’expression de sa foi n’importe pas moins que la pratique de porter un signe.

Toutefois, contrairement aux prétentions de certains juristes, une liberté civile, même fondamentale, n’est pas absolue. Aucune liberté, y compris la liberté de religion, n’est absolue.

Compte tenu du fait que l’objectif poursuivi est la réalisation d’une dimension essentielle de la liberté de conscience et de religion, i.e. sa dimension sociétale, et que la restriction ne vise qu’un élément précis et limité d’une pratique prétendument religieuse, et cela au seul moment de l’exercice d’une fonction publique, cette mesure n’entraîne pas selon nous d’effets disproportionnés sur la liberté de religion comprise dans son entièreté.

L’analyse des arrêts marquants de la Cour suprême du Canada en matière de revendications liées à la liberté de religion démontre une évolution importante dans les préceptes interprétatifs applicables. En effet, la Cour suprême du Canada a initialement donné une interprétation large et libérale de la portée de la liberté de religion, notamment dans les affaires Amselem de la souccah de 2004 et Multani (kirpan à l’école) de 2006.

Mais des arrêts récents démontrent une évolution dans la pensée de la Cour.

Tout d’abord, l’arrêt Bruker de 2007, où la Cour suprême opte pour une approche plus objective de la liberté de religion, et requiert un lien entre l’obligation religieuse alléguée et les préceptes religieux, l’absence duquel remet en cause la sincérité de la croyance du demandeur. Ensuite, l’affaire Commission scolaire des Chênes de 2012, concernant le programme scolaire "Éthique et culture religieuse’, qui a également apporté une nouvelle notion d’objectivité dans la nécessaire preuve de l’atteinte alléguée à la liberté de religion. Enfin, dans Whatcott, en 2013, la Cour suprême a expressément admis que l’invocation d’une croyance sincère ne pouvait suffire à établir une atteinte à la liberté de religion.

Notons également l’affaire de la Colonie huttérite de 2009, qui allège considérablement le fardeau imposé à l’État afin de lui permettre de justifier une norme d’application générale portant atteinte à la liberté de religion.

Enfin, nous notons que la jurisprudence existante requiert un degré élevé d’impartialité de la fonction publique, soit une impartialité réelle et apparente. La liberté d’expression politique, qui est déjà restreinte par la Loi sur la fonction publique, constitue une liberté civile fondamentale protégée elle aussi par les chartes des droits, au même titre que la liberté de religion.

S’il fallait toutefois faire un choix politique entre la réduction de la portée de cette mesure et l’abandon du projet, il faudrait sans hésiter choisir la première option. Une restriction qui ne viserait que les personnes exerçant au sens large l’autorité au nom de l’État (incluant les éducateurs-trices en garderie, les enseignant-es de la maternelle au secondaire et le personnel des tribunaux) ne réduirait que de façon limitée l’intérêt du projet de loi 60, alors que l’enchâssement de la laïcité et de la neutralité religieuse de l’État dans la Constitution constituerait déjà une avancée à nos yeux très appréciable. La Loi projetée pourrait encore, à cette fin, s’en tenir au strict domaine public et ne pas viser par exemple les contractants de l’État (article 10) et les universités (article 2 et annexe I, paragraphe 6).

Conclusion

Pour des raisons politiques et juridiques, nous sommes d’avis qu’il est hautement souhaitable que le projet de loi 60 devienne loi, quitte à ce que son contenu actuel connaisse quelque modification en ce qui regarde le port de signes religieux dans l’exercice de la fonction publique. Nous motivent à donner notre aval à ce projet de loi l’évolution accélérée du contexte social ambiant, jointe à l’incertitude présente du droit concernant cette dimension des libertés de conscience et de religion qu’est la laïcité et la neutralité religieuse de l’État.

En revanche, plusieurs aspects formels du projet mériteraient d’être modifiés. Ces changements, que nous proposons, aideraient grandement la population à mieux voir et comprendre de quoi il s’agit au juste et à se faire une idée.

Tous s’accordent pour dire que les parlementaires québécois étaient pleinement habilités à voter l’adoption de la Charte des droits, en 1975. Forts de ce même postulat, nous soumettons qu’ils sont cette fois encore les plus aptes à modifier celle-ci, dans l’optique de l’intérêt général, afin de l’adapter à une réalité sociale changeante.

Sans vouloir de quelque manière atténuer l’opportunité du projet de loi 60, il convient néanmoins de rappeler in fine que la Charte québécoise des droits est devenue en 1982 hiérarchiquement soumise à la Charte canadienne des droits, et que les deux sont en dernier lieu interprétées et appliquées par la Cour suprême du Canada. Voilà pourquoi nous suggérons l’ajout de deux nouveaux articles (9.2 et 50.2) afin de donner pleinement effet à la volonté du législateur québécois.

Dans les circonstances, nous croyons également que le recours préventif
aux clauses de dérogation expresse que contiennent les chartes québécoise
et canadienne des droits serait parfaitement légitime afin de protéger cette démarche démocratique des parlementaires élus du Québec.

L’absence de balises législatives en matière de neutralité de l’État entrave l’ingénierie constitutionnelle et politique essentielle à une société démocratique. L’équilibre d’une démocratie réside dans l’interrelation qui doit exister entre chacun des trois pouvoirs qui composent l’État. L’exécutif, le législatif et le judiciaire doivent chacun assumer pleinement leur rôle afin d’assurer la santé d’une démocratie.
En l’instance, l’inaction législative a entraîné une hyperactivité du
judiciaire, via le principe de l’accommodement. L’instauration de
politiques publiques doit être le fait du Parlement dans une société libre
et démocratique.

Le tout respectueusement soumis.

Les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l’État :

. Henri Brun, Professeur, Faculté de droit, Université Laval
. Julie Latour, Avocate, Ancienne bâtonnière du Barreau de Montréal
. L’Hon. Claire L’Heureux-Dubé
. Huguette St-Louis, Ancienne juge en chef de la Cour du Québec
. Maurice Arbour, Professeur, Faculté de droit, Université Laval
. André Binette, Avocat
. François Côté, Avocat
. André Joli-Coeur, Avocat
. Denis Langlais, Avocat spécialisé en droit de l’immigration
. Marie-Laure Leclercq, Avocate, Ancienne présidente de l’Association du Barreau canadien-Division Québec
. Éric Poirier, Avocat
. Guillaume Rousseau, Professeur, Faculté de droit, Université de Sherbrooke
. Guy Tremblay, Professeur, Faculté de droit, Université Laval

Toutes les références sont dans le mémoire intégral (en PDF) ci-dessous :

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 février 2014

 Lire aussi la mise au point de Me Julie Latour sur les propos de l’ex-juge Louise Arbour.



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