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dimanche 13 décembre 2020

Anne Sylvestre et moi

par Marie Savoie, collaboratrice de Sisyphe






Écrits d'Élaine Audet



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La première fois que j’ai entendu "Une sorcière comme les autres", j’ai été foudroyée. Je roulais sur la route de l’Église à Ste-Foy. Submergée par l’émotion, je me suis garée pour écouter la suite.

Je vous ai portés vivants
je vous ai portés enfants.
Dieu comme vous étiez lourds
pesant votre poids d’amour

Quelqu’un décrivait avec une puissance extraordinaire la condition universelle des femmes depuis la nuit des temps.

Je vous ai portés encore
à l’heure de votre mort
Je vous ai porté des fleurs
vous ai morcelé mon cœur

La générosité des femmes, leur inépuisable amour, leur tendresse, leur rôle fondamental mais jamais salué dans l’histoire de l’humanité, tout cela était résumé en strophes scandées sur une musique solennelle.

Dans la jeune vingtaine, j’observais attentivement le monde autour de moi. Déjà féministe, je me désolais de l’invisibilité des femmes, de la dévalorisation de tout ce qu’elles faisaient et de l’ingratitude de la société à leur égard.

Mais voici qu’une artiste, dans une chanson, rendait aux femmes le mérite qui leur revenait en soulignant le rôle inestimable qu’elles jouaient dans l’ombre depuis toujours. Cette chanteuse dont j’ignorais encore le nom allait encore plus loin. Elle osait dénoncer le rôle des hommes dans l’oppression des femmes et leur résistance à tous nos efforts d’émancipation.

Vous m’avez aimée servante,
M’avez voulue ignorante
Forte, vous me combattiez,
Faible, vous me méprisiez

Les paroles d’Anne Sylvestre résonnaient en moi et donnaient corps à ce que j’avais moi-même constaté. J’étais révoltée par toutes les injustices faites aux femmes, ces êtres qui avaient enfanté tous les humains et qui les soignaient, les nourrissaient, les couvraient d’amour.

Pour émouvoir les hommes insensibles au sort des femmes, Anne Sylvestre avait eu recours à une technique de choc : invoquer leur propre mère. Leur mère, qu’ils chérissaient parfois jusqu’à la vénération et qu’ils souhaitaient intouchable, était couverte de mépris par la société, comme toutes les autres femmes. L’effet était saisissant.

Et c’est ma mère ou la vôtre,
Une sorcière comme les autres

Voilà le génie d’Anne Sylvestre. Elle savait comment faire ressentir la souffrance des femmes à ceux qui ne la voyaient pas.

La douce maison saccagée

Dans chacune des perles d’humanité que sont ses chansons féministes, Anne Sylvestre trouve le moyen d’émouvoir le plus dur des cœurs. Ainsi, dans une chanson où le mot viol n’est jamais prononcé, elle décrit le saccage d’une maison en faisant ressentir toute la brutalité et la cruauté des gestes.

Sauvagement ils pénètrent
Détruisant tout devant eux.
Ils obligent les fenêtres à s’ouvrir devant le feu.
Avec leurs couteaux ils gravent des insultes sur les murs
Et s’en vont faisant les braves
Quand tout n’est plus que blessures.

Anne Sylvestre avait le courage d’aborder les sujets les plus controversés, comme l’avortement. Dans le poignant monologue de "Non tu n’as pas de nom", elle fait ressentir le drame intérieur d’une femme enceinte confrontée à ce choix déchirant

Non non tu n’es pas un être
Tu le deviendrais peut-être
Si je te donnais asile
Si c’était moins difficile

Sa souffrance intime se change en colère quand elle songe que certains voudraient lui interdire ce droit.

Quiconque se mettra entre
Mon existence et mon ventre
N’aura que mépris ou haine
Me mettra au rang des chiennes .

Cette chanson résonnait particulièrement en moi, qui militais pour le droit à l’avortement à Québec. D’autant plus que j’avais moi-même été confrontée quelques années auparavant, alors que j’étais encore étudiante, à la possibilité de devoir interrompre une grossesse.

L’amie Pauline

Anne Sylvestre s’est liée d’une profonde amitié avec Pauline Julien, avec qui elle a souvent partagé la scène. La pasionaria du Québec a interprété plusieurs de ses chansons féministes avec l’intensité qu’on lui connait. Je ne ratais pas un spectacle de Pauline Julien et je n’oublierai jamais son interprétation magistrale de certaines chansons d’Anne Sylvestre qui faisaient vibrer d’émotion la salle tout entière.

Une carrière freinée

Au Québec, ce n’est malheureusement qu’à la mort d’Anne Sylvestre que beaucoup l’ont découverte. Comme bien des femmes tout au long de l’histoire, cette grande artiste n’a jamais eu la notoriété qu’elle méritait. Son engagement féministe lui a valu d’être boudée par les maîtres des ondes et du monde du spectacle, en majorité des hommes. « J’étais l’emmerdeuse de service » expliquait-elle en entrevue. Malgré son talent exceptionnel, la diffusion de ses compositions dépendait d’hommes qui avaient le pouvoir de lui mettre les bâtons dans les roues. Rares sont ceux qui l’ont aidée.

Quant à moi, j’ai suivi ses tournées au Québec et l’ai vue chaque fois qu’elle venait chez nous. La toute première fois, c’était à la salle du Gèsu. En première partie, elle avait présenté une jeune chanteuse inconnue à qui elle prédisait un bel avenir : Lynda Lemay.

Au fil des ans, j’ai constaté qu’Anne Sylvestre mettait de moins en moins de chansons féministes au programme. Elle semblait même les avoir délaissées, ce qui m’avait beaucoup déçue. J’avais pensé lui écrire pour lui demander pourquoi et je regrette à présent de ne pas l’avoir fait. Je devinais que celle qu’on surnommait en France la "Brassens en jupons" avait fait les frais de la misogynie du milieu et qu’elle avait sans doute décidé de mettre la pédale douce à son féminisme pour poursuivre sa carrière. Anne Sylvestre a cependant continué à écrire des chansons engagées, mais dans d’autres domaines comme la préservation de l’environnement ou le mariage pour tous, sujet fortement controversé en France. Elle a aussi composé des chansons plus légères mais satiriques, comme "Ça ne se voit pas du tout", dans lesquelles le message passe par l’humour,

Il reste qu’à mon avis, elle aurait mérité la notoriété d’un Brel ou d’un Ferré. Pour moi, « Une sorcière comme les autres » vaut bien « Amsterdam », et les paroles bouleversantes de "Non tu n’as pas de nom" n’ont rien à envier à celles de " Ne me quitte pas". En somme, Anne Sylvestre décrivait elle aussi la condition humaine, mais du point de vue des femmes. Voilà toute l’originalité de son oeuvre.

Chansons commentées

Une sorcière comme les autres

Douce maison

Non tu n’as pas de nom

Ça ne se voit pas du tout

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 décembre 2020



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Marie Savoie, collaboratrice de Sisyphe


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