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samedi 7 avril 2007 Culottées, ces créatrices ! La jupe qui entrave
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Les textes qui suivent sont des extraits du livre que j’ai écrit il y a quelques années sur les femmes créatrices : Elle sera poète, elle aussi - Les femmes et la création artistique, Le Jour Editeur, Québec, 1991. Il est aujourd’hui épuisé. À la suite de demandes multiples de personnes qui ont suivi les cours et les ateliers que j’ai donnés au Québec pendant presque deux décennies sur le sujet, j’avais l’intention de le réviser et de le republier. J’ai commencé à me pencher sur ce travail il y a deux ans. Pour me rendre compte que, depuis la parution de ce livre, j’avais terriblement élargi mon champ de recherches et accumulé une somme substantielle de documents nouveaux. Il était préférable que je le mette de côté et que je m’installe à ma table pour en écrire un nouveau. Ce que je suis en train de faire depuis quelques mois. Le premier était une réflexion sur les multiples obstacles qu’ont eu à affronter les créatrices, dans tous les domaines de la création artistique, afin de pouvoir se réaliser. J’y passais en revue, en m’appuyant principalement sur les témoignages qu’elles-mêmes nous avaient laissés, les principales embûches qu’elles avaient dû surmonter et celles aussi qui les avaient fait trébucher : les mentalités de leur temps, les lois plus ou moins restrictives selon les périodes, le rôle de l’entourage familial (les parents, l’amour, la maternité), l’éducation des filles, les milieux artistiques eux-mêmes. Entrave et occultation : "C’est entre ces deux pôles que la créatrice joue sa vie", écrivais-je alors. Je n’ai pas changé d’avis. Dans le deuxième livre, ce constat étant fait, c’est plutôt une histoire des créatrices depuis les temps les plus anciens que je raconte. Ma préoccupation est toujours la même : sortir au grand jour toutes ces artistes, lutter contre l’oubli et l’occultation et surtout, surtout, faire tomber le préjugé tenace qui, ignorance oblige, veut que seuls les hommes aient créé de "vrais" chefs-d’œuvre. En attendant de pouvoir livrer, enfin, le fruit de ces longs mois d’écriture, je vous offre, grâce au site Sisyphe, quelques extraits de mon texte précédent, plus précisément du chapitre premier intitulé "Les culottées". Le chapitre comporte trois parties : – La jupe qui entrave
une femme doit s’y soumettre. GERMAINE DE STAËL, Delphine d’homme. Deutéronome, 22:5 Simplement, elle avait des idées personnelles sur ce qui est scandaleux, sur ce qu’il est honorable ou non de dire. MAURICE GOUDEKET, Près de Colette Paris, 1848. Une jeune femme se dirige vers l’un des commissariats de police de la ville. Une femme ? De face, pas le moindre doute. De dos, on peut hésiter. La jeune femme en question - puisque c’en est bien une - est d’apparence solide et porte un pantalon. Les passants se retournent sur son passage : encore une de ces excentriques comme on en voit ici et là, depuis quelques années. Mais qu’a-t-elle cette originale à vouloir se vêtir comme un homme ? C’est justement la raison de sa sortie : elle s’en va, d’un pas assuré, demander un permis pour se travestir. C’est encore très mal vu, mais elle sait que, depuis près de cinquante ans (le 18 brumaire de l’an IX, autrement dit le 7 novembre 1800), les femmes ont le droit de porter le pantalon avec une autorisation. Rosa Bonheur, George Sand et les autres Cette femme de 26 ans, c’est Rosa Bonheur (1822-1899). Elle vient d’obtenir la Médaille d’or au Salon qui se tient annuellement au Louvre. Une habituée, Rosa. Depuis 1841, le jury n’a-t-il pas retenu régulièrement quelques-unes de ses œuvres ? Cette fois-ci, six peintures et deux sculptures de sa production récente étaient en compétition. La précieuse Médaille lui avait échappé de peu l’an dernier, et elle s’était dit qu’avec encore plus d’acharnement au travail, la prochaine fois serait la bonne. Quelle reconnaissance éclatante : le jury a dû faire son choix parmi les quelque cinq mille œuvres sélectionnées ! Sa carrière est lancée. Le Salon, cet événement artistique institutionnalisé qui existe depuis 1667, a pour but de faire connaître au public les artistes les plus valables et surtout de les mettre en contact avec les acheteurs potentiels et parmi eux, le plus convoité, l’État. Inutile d’insister sur tout le jeu d’intrigues de coulisses et sur les marchandages entre membres du jury. L’important est d’y être admis car l’élimination signifie, bien souvent, l’écroulement de toutes les ambitions. Il faudra attendre la fin du Second Empire pour voir certains "refusés" se révolter et créer leur propre Salon (le Salon des Refusés), puis les impressionnistes se dissocier complètement de cette organisation trop officielle et exposer, à partir de 1874, dans l’atelier du photographe Nadar. Parmi ces derniers, deux femmes : Berthe Morisot, puis Mary Cassatt, qui se plaçaient ainsi dans une situation doublement marginale, celle d’être des artistes peintres d’abord, puis de faire partie d’un mouvement dissident. Mais Rosa, pour le moment a absolument besoin de ce prix en poche pour véritablement naître à son milieu. Elle ne peut guère compter que sur son talent mais elle est confiante. Et cette fois-ci est la bonne. Elle deviendra la plus grande peintre animalière française du siècle. Curieuse vocation pour une femme, commente-t-on, que celle de peindre des scènes de labours, des foires agricoles, des chevaux captés en pleine course, des bergers et des moutons. Rosa n’a que faire des potins du beau monde ; elle sait parfaitement où elle s’en va. D’ailleurs, cette reconnaissance ne fait que la conforter dans ses convictions. Son costume, pour en revenir à lui, est loin d’être une provocation. Pour elle, c’est une simple question de confort : afin de mieux comprendre l’anatomie des bêtes, elle a décidé de prendre des croquis sur le vif aux abattoirs des Halles et cette tenue est bien plus appropriée que la longue et encombrante jupe à la mode qui traînerait dans la saleté et le sang. Elle veut avant tout être à l’aise et faire ce pour quoi elle est née : peindre. Bien avant Rosa, d’autres femmes avaient déjà opté, à l’occasion, pour la tenue masculine. Alors que chaque sexe a toujours eu son costume bien différencié imposé par la société, on retrouve à des époques fort éloignées les unes des autres, quelques "originales" qui se sont risquées à braver l’opinion, en s’habillant « comme un homme ». Avec en tête une idée bien précise : avoir accès à des activités qui leur étaient interdites. Au détour d’une lecture, on est surpris d’apprendre que sous l’empire romain, des femmes se travestissaient afin de participer aux courses de chars. Au XVIe siècle, la poétesse Louise Labé enfile l’uniforme des chevaliers pour s’enrôler dans des tournois. On pense aussi à Jeanne d’Arc, un peu plus tôt, qui n’avait certes pas passé sa robe du dimanche pour convaincre son roi. D’autres motifs ont poussé des jeunes filles à mettre de côté leurs atours féminins, comme celui de pouvoir s’instruire. Ainsi, une jeune Polonaise, au XIVe siècle, put suivre pendant deux ans les cours de l’université de Cracovie fermée aux femmes jusqu’à ce que la supercherie soit découverte et qu’elle en soit chassée. C’est pour les mêmes raisons qu’une Espagnole, Feliciana Enriquez de Guzman, au XVIIe siècle, se déguisa et qu’à la fin du XVIIIe siècle, Angelika Kauffmann, une jeune peintre d’origine suisse, suivit son exemple. Théophile Gautier a immortalisé dans un de ses romans ce type de femme audacieuse en la personne d’une certaine Mademoiselle de Maupin qui a vraiment existé et s’est illustrée, au début du XVIIIe siècle, comme cantatrice. Elle avait coutume de se vêtir en homme, de temps à autre, pour le simple plaisir de vivre quelques expériences défendues aux femmes. Classée aventurière. Un peu avant Rosa Bonheur, George Sand (1804-1876) avait aussi trouvé bien pratique la tenue masculine. Nécessaire, même. Elle était montée à Paris quelques années auparavant afin de tenter sa chance en littérature. Ce n’est pas de gaieté de cœur que son mari l’avait vue s’éloigner de Nohant et officialiser ainsi leur rupture. Il lui avait néanmoins alloué une maigre pension, prise à même sa dot à elle. C’était loin d’être suffisant pour survivre à Paris. Les portes des maisons d’édition ne s’ouvraient pas facilement aux femmes de lettres. Après avoir réalisé quelques dessins sur des tabatières et des éventails qui lui rapportèrent peu, elle décrocha quelques papiers à écrire pour Le Figaro : critique musical. Mais comment assister aux concerts quand on ne peut pas se payer une place au parterre et que le journal ne défraie rien ? Simplement en s’habillant comme les hommes et en montant au poulailler qui leur était réservé. Ce qu’elle fit. Ainsi démarrent les légendes. Le pantalon, symbole d’émancipation Ces histoires nous surprennent. Nous voyons-nous faire la queue devant un quelconque poste de police pour obtenir notre droit au pantalon ? Colette, qui l’adopta au début du XXe siècle, alors que les femmes venaient tout juste d’ôter leurs faux-culs, choquait encore bien du monde. C’est Coco Chanel qui commencera à le rendre acceptable dans les années vingt mais que de résistances encore avant que les femmes existentialistes d’après-guerre finissent par en faire une mode et par l’imposer. C’est ainsi qu’il fait désormais partie de la garde-robe normale de la plupart des femmes d’aujourd’hui ; celles qui le rejettent le font uniquement par goût. Pendant plusieurs siècles, le pantalon a été, dans notre monde occidental une composante du vêtement masculin. En se l’accaparant et en l’imposant ouvertement, la femme a probablement introduit dans notre société un des symboles les plus puissants des changements de mentalités qu’elle a peu à peu provoqués. Si nos mères lui résistaient, si les éducatrices dans nos écoles nous l’interdisaient en invoquant toutes sortes de prétextes, c’est qu’il représentait surtout pour elles un acte d’émancipation qu’elles n’étaient pas encore prêtes à assumer. Les hommes ne nous accuseraient-ils pas de vouloir "porter la culotte" ? Les historiens de la mode font souvent le parallèle entre l’évolution du costume et les modifications politiques et sociales à travers les siècles. Si le vêtement de la femme n’a cessé de se modifier au fil des ans, celui de l’homme, en comparaison, a peu évolué. Cela va de pair avec le peu de remise en question du rôle qu’il s’est depuis longtemps attribué. Alors que pour elle, il en va tout autrement (…) N’oublions pas que le vêtement est un langage dont les règles sont établies par le groupe social auquel nous appartenons. Nous les décodons inconsciemment et nous devons nous y conformer sous peine de rejet. Rosa Bonheur et George Sand avaient sûrement une force de caractère exceptionnelle pour affronter sans broncher les quolibets, voire la réprobation publique. De plus, elles enfreignaient d’autres tabous imposés aux femmes : elles fumaient en public, et dans le cas de George Sand c’était le cigare ; elles fréquentaient des lieux réservés aux hommes ; elles circulaient à leur guise à une époque où une femme ne sortait pas sans chaperon. Et surtout elles avaient la prétention de vouloir vivre des fruits d’un travail éminemment masculin, celui de la création. Bref, la place que leur avaient assignée les hommes leur convenait très peu. Elles se sont octroyé cette liberté de mouvement et d’expression qui était naturelle aux hommes mais que la société, voulant confiner les femmes au foyer, leur contestait d’emblée. Cette liberté, la créatrice doit pourtant se l’approprier à tout prix pour explorer son art. Elle n’a pas le choix, même si tous les moyens ont été employés, depuis son enfance, pour la faire rentrer dans le rang. En butte aux tentatives des autres pour la décourager et la remettre dans le droit chemin - celui de la maison - elle ne doit, trop souvent, sa réalisation qu’à de nombreux sacrifices. Elle se voit obligée d’affronter l’opposition de sa famille qui n’accepte pas qu’elle "fasse carrière", d’opter pour le célibat parce que les maris compréhensifs sont rares et de renoncer à la maternité. Car pour créer, pour se concentrer, l’isolement et la libre disposition de son temps sont essentiels. En choisissant un mode de vie qui la place en marge de celui établi pour toute jeune fille bien éduquée, elle se disqualifie d’emblée aux yeux des gardiens de l’équilibre social, c’est-à-dire cette minorité de gens qui répand si bien les rumeurs. Ce n’est pas une mince affaire. Nombreuses sont celles qui, faute de ressources intérieures et d’appuis extérieurs suffisants, renoncèrent dès le départ ou abandonnèrent en cours de route, l’ampleur des épreuves leur semblant impossible à surmonter. Car le destin de toute artiste est irrémédiablement lié à celui des femmes de son époque et il lui faut une détermination rare pour s’en détacher. Même cette forte volonté de s’affirmer suffit rarement. Plusieurs alliés sont alors absolument nécessaires à la créatrice qui veut se réaliser pleinement. – Lire la suite : Partie II- Mis en ligne sur Sisyphe le 15 octobre 2003 |