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samedi 1er novembre 2003 L’affaire du foulard : non à l’exclusion
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Il me semble qu’il faut d’abord se demander pourquoi on en est à la troisième affaire du foulard. Pourquoi tant de passion là-dessus, plus que sur les viols collectifs, plus surtout que sur la discrimination, et ses effets sur les jeunes descendant-es d’immigré-es maghrébin-es ? N’est-ce pas une façon de déplacer le problème ? Si on observe vraiment ce qui se passe, on s’aperçoit que le foulard, comme l’islam "néo-communautaire" (_expression de Khosrokhavar, chercheur CNRS, dont le livre, "L’Islam des jeunes" est une lecture indispensable), est une réaction française - de jeunes français - à une situation également française : l’exclusion, le rejet matériel et social d’une partie des jeunes français par la société française. Parler de l’Algérie, de l’Iran, etc.. c’est hors-sujet. Le foulard n’a pas la même signification dans des contextes différents. Et rapporter le foulard islamique français au foulard islamique dans les pays musulmans, c’est bien encore une fois, voir ces jeunes d’abord comme étrangers. Ce rejet met ces jeunes dans une situation de souffrance sociale et psychologique. C’est une génération qui a pris acte de l’échec de la revendication d’égalité. Renvoyée en dépit de son intégration - sa maîtrise de la langue, ses diplômes, ses façons de vivre françaises - à sa "différence", elle a pris le parti de revendiquer sa différence. Mais elle n’accepte pas la définition dominante comme une infériorité. Qui peut vivre dans l’acceptation de son infériorité ? Nous féministes, devrions le comprendre mieux que les autres. Elle a investi cette différence elle-même : tant qu’à être "différents", alors le seul choix qui leur reste est de définir soi-même en quoi cette différence consiste : c’est la délinquance, ou l’islam, ou le foulard, toutes expressions de rebellion. Condamner les expressions de cette rebellion et les réprimer, c’est accentuer le ressentiment légitime des ces jeunes vis-à-vis de la société englobante. Leur parler de laïcité et de république, alors que pour eux la république est une menteuse, qui dit une chose et en fait une autre, quel effet cela peut-il avoir sur ces jeunes qui savent et expérimentent tous les jours que, non, les chances ne sont pas égales, qui sont traités d’"Arabes", comme si cela justifiait le traitement discriminatoire, tous les jours ? Sinon de les confirmer dans leur perception de la société française comme hypocrite en sus d’être raciste. Cette société a créé ce problème et sur des années. Elle ne peut pas le résoudre par un coup de baguette magique. Elle ne peut que commencer à lutter contre la discrimination, et d’abord, accepter, reconnaître qu’elle la pratique et que c’est mal. Ensuite, prendre la mesure exacte du problème et cesser de discriminer. Ensuite, si ELLE réintègre la jeunesse qu’elle a exclue, et continue d’exclure, peut-être au bout de quelques années cette jeunesse se sentira inclue. On ne peut pas exiger des gens qu’ils nient la réalité, qu’ils prétendent ne pas voir le rejet dont ils sont l’objet. On ne peut pas non plus, encore moins, leur dire qu’ils ont des devoirs et que cela : des devoirs sans droits. On peut aussi prendre la voie de la surenchère : réagir à ce qui est une réaction par la répression (vous avez des devoirs et pas de droits), et continuer à créer ainsi en France une société de castes ; qui sera de surcroît de plus en plus violente, car le risque est de transformer les islamistes néo-communautaires, ou les jeunes filles qui portent le foulard aujourd’hui (et pas hier ni demain), en islamistes radicaux et radicales. Enfin, sur la laïcité : c’est un devoir pour l’Etat et l’école, pas pour les élèves ; sur l’ostentation, voir l’article de Spitz dans le monde du 15 octobre ; sur la discrimination : tout le monde sait que les croix et les kippas sont acceptées. L’enjeu pour les jeunes qui se revendiquent musulman-es, c’est de faire reconnaître l’islam comme une religion française, en France. Que la société le voie comme une provocation, c’est dans le droit fil de son rejet des populations d’origine maghrébine. Qu’elle le traite par la répression marche bien dans la perception qu’ont ces jeunes de la république comme une machine à persécuter l’Arabe et le/la musulman-e. Qu’on continue et on leur donnera raison. Oui, c’est une provocation : ces jeunes veulent mettre la société devant son propre racisme - son rejet non pas des religions mais de cette religion-là précise. L’autre fonction de leur "assumption" d’une différence choisie par eux étant de se sentir enfin un peu mieux dans leurs baskets, avec une identité autre que " moins français-e"- oui carrément "autre". Mais, comme on dirait en cour de récré, qui a commencé ? C’est la société blanche, c’est nous. Il nous faut reconnaître notre responsabilité collective. Hors de ce premier pas, il n’y aura pas de réconciliation, et pas de république. Car la république, c’est-à-dire l’égalité effective, n’est pas une réalité, c’est un idéal : il faut la créer, cette égalité, tant entre les "sexes" qu’entre les "races" (cette chose qui "n’existe pas" et qui règle pourtant la vie de millions de gens en France). La discrimination a fait exister la race, comme elle a fait exister le sexe ; si nous voulons qu’elle n’existe vraiment - réellement pas -, il faut lutter contre la discrimination jusqu’à l’éradiquer. Je remarque que pour la première fois on parle positivement de la "discrimination positive", que j’appelle de mes voeux en ce qui concerne les femmes, et les autres discriminés, depuis longtemps - et qui était honnie au temps où on a inventé "parité" pour précisément exclure "l’action positive" (terme que je préfère à celui de discrimination positive), qui est une correction à la discrimination négative, dans la recherche de l’accomplissement de l’égalité de facto promise par la république. Alors, la révolte identitaire des jeunes aurait accompli ce que leurs demandes polies - la Marche des beurs - ont échoué à faire advenir ? La république ne connaîtrait que les rapports de force ? Triste, mais probablement vrai. (L’auteure a autorisé la reproduction sur Sisyphe de ce texte paru sur Indy Media Paris). Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 octobre 2003. 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