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lundi 12 septembre 2005
L’alcool dissout le viol

par Philippe Liotard

Commentaires sur une décision de justice où l’on apprend ce que signifie "faire l’homme". Cette décision a été publiée dans le Midi-libre (version papier) du mercredi 3 août 2005. La rubrique "fait divers" rapporte une audience du tribunal de Montpellier sous le titre : Tribunal "j’ai voulu faire l’homme, faire le beau".

***

Une première question peut se poser, à savoir : en quoi le fait de vouloir faire l’homme est-il passible d’une comparution, voire d’une condamnation ? Puis il est possible de se demander ce que signifie "faire l’homme" et en quoi cela peut être associé à "faire le beau".

L’article fournit quelques réponses qu’il serait maladroit de vouloir uniquement rapporter à la personnalité de l’accusé, condamné à dix-huit mois et six mois de prison par le tribunal correctionnel, pour les deux faits qui lui ont été reprochés. Que l’homme se soit défendu (en expliquant qu’il a voulu faire l’homme) pour avoir utilisé un couteau pour contraindre sa victime est révélateur d’une certaine idée de la masculinité : faire l’homme, ce serait faire preuve de violence pour s’imposer, se montrer le plus fort, ne pas se dégonfler et, au besoin, ne pas hésiter à recourir à une arme ou à la force.

Faire l’homme serait, dans ce cas de figure, une garantie d’impunité, ou tout au moins produirait des circonstances atténuantes. Se montrer violent pour "faire l’homme" deviendrait alors une sorte de maladresse compréhensible. L’intention (vouloir faire l’homme) atténuerait les actes (violents).

Mais quels sont les actes reprochés dans cette affaire ? Toujours selon le compte-rendu de l’audience fait par le journal, celui qui a voulu "faire l’homme" avait "alors qu’il était imbibé d’alcool, escaladé la façade de l’immeuble de son amie qui lui avait annoncé la veille qu’elle ne voulait plus poursuivre leur relation. Fou de rage, il avait cassé le mobilier à coup de pied de biche. Mais ce soir là, tout a dégénéré de manière bien plus grave".

"Vous l’avez frappée, menacée avec le couteau de cuisine. Elle avait plusieurs estafilades sur corps et vous lui avez imposé un rapport sexuel" rapporte la présidente d’audience.

Faire l’homme en l’occurrence ne se limite pas à montrer sa capacité à tout détruire par mesure de représailles. Faire l’homme s’exprimerait aussi par l’imposition de blessures et de rapports sexuels. En clair, cela se caractériserait par la possibilité de violer une ex petite amie sous la menace d’une arme.

Le tribunal porte la condamnation à cette manière de faire l’homme à 18 mois de prison.

L’avocat du coupable a mis l’accent sur son alcoolisme, mettant en évidence la nécessité de soin. Il reconnait également que son client devrait "revoir sa conception de la femme, mais ça, on ne peut pas le contraindre à le faire". Certes.

Mais ce que l’on peut faire pour que soient revues les conceptions non pas de la femme, mais des rapports que les hommes croient pouvoir imposer aux femmes, c’est déjà appeler un chat un chat et un viol un viol.

Cette affaire révèle la difficulté à désigner les faits par leur nom. La présidente du tribunal elle-même reconnait que sous la menace d’un couteau, l’homme a imposé un rapport sexuel à son ancienne petite amie. Il s’agit donc pénalement d’un viol, et le tribunal aurait dû être incompétent en la matière, l’affaire devant, dès lors, relever de la cour d’assises.

Le choix de la correctionnel est révélateur d’une curieuse pensée "tactique" en la matière : préférer la correctionnelle pour être sûr que le coupable sera condamné, plutôt que les assises qui laissent planer la possiblité de l’acquittement par un jury populaire "au bénéfice du doute".

Finalement les qualifications retenues pour les faits incriminés sont favorables à l’auteur des violences qui, n’étant pas poursuivi pour viol, voit la gravité des actes commis largement atténués dans leur gravité. Cette qualification fonde pourtant la nature de l’acte. Or, dans ce cas de figure, l’avocat de la victime, le juge d’instruction et tout l’appareil judiciaire se font complices d’une atténuation de la gravité de l’acte, voire d’une connivence avec une pensée masculine insidieuse tendant à minimiser ce genre d’actes violents.

La conclusion de ce jugement consiste à dire que "faire l’homme" en étant sous l’emprise de l’alcool et violer une femme n’est pas un acte tellement grave. "Faire le beau" avec un couteau et imposer un rapport sexuel permet de requalifier le viol en violences sexuelles avec contrainte, à égalité avec la main aux fesses.

L’alcool dissout le viol dans la masculinité.

 Merci à l’auteur pour ce texte.

Source


Le bloc-note de Philippe Liotard : réflexions et analyses sur le corps, le sport, les sexualités, l’éducation...
, vendredi, le 5 août 2005 : chroniques: : #17::rss. Vous êtes invité-es à commenter cet article sur le bloc-note de Philippe Liotard.

Pour prolonger la réflexion sur cette question de la qualification des violences, voir les positions de Marie-Victoire Louis qui analyse le droit français et sa manière de prendre en compte les violences sexuelles : Le site de Marie-Victoire Louis
et toujours de Marie-Victoire Louis, lire l’analyse qu’elle produit sur la qualification des violences sexuelles dans l’affaire dite "des lanceurs de marteau" : Marie-Victoire Louis, "Violences sexuelles et sexistes : tout reste à faire", in Frédéric Baillette et Philippe Liotard, Sport et virilisme, Montpellier, editions Quasimodo et fils, 1999, p.95-117.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 septembre 2005.



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