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>Dérogations pour obligations religieuses et immigration : la grande confusion

5 janvier 2007, 01:55, par Diane Guilbault

Pour quiconque se rappelle les batailles épiques pour séculariser les institutions québécoises et notamment les établissements scolaires, l’attitude de certaines élites intellectuelles face au ré-envahissement du religieux dans l’espace public peut surprendre.

Il faut dire que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne est vue comme un achèvement raffiné de notre démocratie, ce qu’elle est effectivement, et qu’il est difficile de la critiquer quand on appuie ses fondements. Mais ses effets pervers ou plutôt, les interprétations qui en sont faites en matière d’accommodements pour obligations religieuses - un concept qui doit, selon moi, être remis en question –, semblent nous mener dans une direction contraire à celle qui était souhaitée au moment de la rédaction des chartes canadienne et québécoise. Comment en est-on venu à se baser sur des chartes démocratiques pour redonner une place privilégiée aux demandes religieuses même quand celles-ci sont contraires au principe d’égalité entre les femmes et les hommes ou plus largement, à l’obligation de laïcité de nos institutions ?

Cela me semble basé sur une grande confusion, celle qui s’est instaurée entre demandes religieuses et population immigrante, les premiers accommodements médiatisés ayant porté sur des requêtes associées à des religions mal connues ici, dont la religion sikh et la religion musulmane. Les réponses apportées par nos institutions avaient plus à voir avec le désir légitime d’intégrer ces immigrant-e-s qu’avec une réflexion approfondie sur la validité des obligations religieuses en démocratie. Mais ce faisant, nous avons ouvert la porte à toutes les dérogations pour raisons religieuses y compris celles formulées par des personnes natives bien intégrées ou encore qui n’ont jamais voulu s’intégrer. Dans ce contexte bienveillant à l’égard des demandes de dérogations aux règles de laïcité et d’égalité, jumelé à la montée des intégrismes religieux dans le monde, on a observé une multiplication de ces demandes ces dernières années tant et si bien que même la Commission des droits de la personne se sent interpellée et souhaite que nos dirigeants politiques se penchent sérieusement sur le sujet.

Plusieurs personnes associées à la gauche ont malheureusement tendance à voir, dans le refus des accommodements pour obligations religieuses, du simple racisme. C’est dommage car ce lien, en partie erroné, qui est maintenant fait entre immigration et retour du religieux, n’aide en rien la cause des néo-Québécois-es, dont plusieurs ont fui des pays où justement le poids de la religion était trop lourd. Il est donc urgent de refaire le débat sur la laïcité en soi, en dehors de la question de l’immigration.

Et quant au sujet de l’intégration des nouveaux arrivants-es, il est aussi pressant d’évaluer dans quelle mesure les dérogations qui leur ont été accordées pour obligations religieuses n’ont pas eu plutôt pour conséquence de les maintenir dans la marge de la société. En effet, peut-on de façon réaliste dire d’un côté à des immigrants-es qu’ils peuvent déroger aux règles communes qui ont été adoptées par la société d’accueil et, d’un autre, s’attendre à ce qu’ils adhèrent à ces mêmes règles et valeurs dont on vient de les exempter ?

Le Québec, comme la majorité des sociétés occidentales, est confronté à la nécessité de réaffirmer des valeurs qui ont été adoptées, il faut le dire et le redire, après un long processus démocratique. L’égalité, la laïcité et la démocratie sont des valeurs riches même si elles sont associées à l’Occident : elles en sont sans doute les plus beaux fleurons. S’il faut repenser plusieurs de nos valeurs occidentales, ce ne sont certainement pas celles-ci.