Accueil > ... > Forum 19621

> Quel énorme backlash !

15 janvier 2007, 20:38, par Christiane Ouellet

Bonjour,

Je n’ai pas vu cette émission et heureusement ! J’en aurais été déprimée pour une bonne semaine. Je trouve mesdames Émond et Pedneault vraiment courageuses d’avoir accepté cettte invitation car, pour des femmes aussi brillantes et articulées, ce n’est pas facile de se mesurer à des personnes aussi peu crédibles.

Travaillant dans le réseau de la santé et des services sociaux et pour avoir été plongée, par mon travail, dans la problématique du suicide, je trouve que l’on aborde ce sujet d’une manière tout aussi démagogue que celui du décrochage scolaire. Déjà, dans les années 1920-30 et même bien avant, les statistiques sur le suicide démontraient que le suicide est une affaire d’hommes (voir "Le suicide", par Émile Durkheim, Presses Universitaires de France, Paris, 1930). Effectivement, à cette époque, dans à peu près 80 % des cas de suicide (donc proportion similaire à aujourd’hui),il s’agissait de suicides d’hommes. Il n’est par conséquent pas nouveau cet écart entre les hommes et les femmes ; cela a toujours été ! Ce qui est nouveau c’est le nombre de suicides qui augmentent. Évidemment, il faut y voir et mettre tout en oeuvre pour que les hommes, comme les femmes, ne se suicident plus. Un suicide est toujours un suicide de trop. Mais,ne mettons pas la faute de ce pourcentage aussi élevé chez les hommes sur le dos des transformations soicales ou encore de la montée du féminisme ou de l’absence de services pour les hommes.

Je suis aussi longtemps intervenue, en tant que travailleuse sociale, auprès de femmes suicidaires. Ce qui les protégeait c’était l’empathie et le sentiment de responsabilité face à leurs proches (enfants, mère, père, etc.). Elles ne voulaient pas faire autant de mal aux proches en se suicidant ! Elles avaient en tête toute la douleur que cela leur causerait et, heureusement, cela me donnait, à moi comme intervenante, le temps d’agir, de tenter de les soulager un tant soit peu de cette détresse qui les habitaient. Si l’empathie et l’amour pour les proches est un facteur de protection contre le suicide pour une femme, peut-on explorer enfin cette avenue dans la problématique du suicide chez les hommes.

Il est vrai aussi que les hommes prennent des moyens plus radicaux. L’arme à feu n’est utilisée que presque exclusivement par des hommes. Par contre, il faut faire une distinction avec les jeunes car, les personnes les plus à risque chez les hommes se sont les 25-54 ans, donc des adultes. Par ailleurs, chez les jeunes, la proportion de suicides n’est pas du tout la même : près du tiers des suicides de jeunes de moins de 24 ans sont des femmes. Dans ce groupe d’âge, c’est la pendaison qui est le moyen le plus utilisé et ce, dans à peu près la même proportion chez les hommes que chez les femmes.

D’autre part, beaucoup de suicides sont provoqués par une séparation ou encore se produisent dans le cadre d’un meurtre d’une ex conjointe suivi d’un suicide. Ces situations,qui sont assez nombreuses, s’inscrivent tout autant dans la problématique de la violence conjugale que dans celle du suicide.

De toute façon, il me semble que nous assistons, depuis quelques années, à une nouvelle vague de backlash, avec de toutes nouvelles stratégies, fort différentes de ce que Mme Faludi décrivaient il y a quelques années.

L’hypersexualisation, la montée d’un discours anti-féministe, la rancoeur des groupes masculinistes, l’écoute que ces groupes réussissent à avoir et l’attendrissement qu’on leur témoigne est dangereux à mon avis. D’ailleurs, je me demande parfois si l’intérêt pour l’ADS, analyse différenciée selon les sexes, particulièrement dans la toute nouvelle politique de l’égalité (!!!) entre les femmes et les hommes, ne viendra pas nourrir davantage ce backlash. La tendance est trop forte à considérer les maux des hommes comme encore bien plus graves que ceux des femmes. Je n’ose penser à quel force de ressac les femmes auront à faire face si ce discours et les actions qui en découlent continuent de se multiplier.

Christiane Ouellet
Rouyn-Noranda