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> Quelques précisions sur les différentes versions d’Antigone.

15 avril 2005, 09:22, par Pennac

L’Antigone de Sophocle n’était pas spécialement moderne : elle défendait les lois divines, point. Elle ne défiait pas l’ordre en tant que femme d’ailleurs, d’après mes souvenirs, et parlait humblement comme tout-e bon-ne fervent-e. En matière de féminisme, tout ce qu’on pouvait dire d’elle, c’est qu’elle avait du courage et qu’elle avait choisi ses maîtres (elle se soumet aux Dieux et non à la loi d’un tyran, mais ça revient quand même à se soumettre). Par contre il est faux de dire que Créon (toujours dans la pièce de Sophocle) avait un point de vue pragmatique : lui défendait bien son pouvoir, patriarcal (pourvoir sur sa lignée, sur les femmes, sur le peuple) contre toute atteinte symbolique à celui-ci. Au risque de froisser les Dieux, d’où la prise de position des Dieux pour Antigone. En cela, il n’y a rien de révolutionnaire dans la position des Dieux : à priori, notre cher dieu catholique s’est aussi porté aux côtés de Jeanne d’Arc dans la légende... puisqu’elle restait pieuse, dévouée, humble et fervente.

Le mythe a été réécrit différemment par des dramaturges de la première moitié du siècle dernier : Jean Cocteau et Jean Anouilh. L’adaptation de Cocteau n’ajoute à mon avis pas grand chose, celle d’Anouilh est plus intéressante : en effet, de défenseuse (orthographe ?) de l’ordre public, Antigone devient l’égérie de la rébellion à l’autorité laide, le porte parole de l’idéalisme et de l’absolu dans une cité dirigée de main de fer par un homme pragmatique et pathétique, Créon. Ca tourne évidemment _contexte_ à la métaphore de la résistance contre Vichy ; ca semble finir par la condamnation de l’attitude "folle" d’Antigone qui "ne s’est plus pour quoi elle meurt". J’aime beaucoup cette pièce, même si elle est très ambiguë.

Et effectivement, passées ces quelques précisions, de tels modèles ne peuvent qu’inciter les petites filles et les jeunes femmes a se forger des rêves et des destinées qui sortent du carcan insipide où la société voudrait les confiner. Je suis fondamentalement favorable à la diffusion et l’étude de telles oeuvres au lycée.