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pas de "buchers" et de "jugement dernier" dans ce message, promis^^

12 juillet 2005, 16:25, par Pennac

Que de passions déchaînées^^

Mais qui partent du mauvais axiome. Parce qu’elles assimilent, à mots plus ou moins… voilés, refus du relativisme culturel (càd ethnocentrisme, donc une forme de racisme fondé sur l’affirmation de la suprématie de sa culture sur les autres), avec refus de tout relativisme éthique.

Certes, certain-es font de la condamnation du voile un porte drapeau du rejet de l’Islam, et plus généralement du Maghreb. Mais ce n’est pas sous cet angle que la question est abordée dans ce texte : l’auteure ne parle pas « d’invasion de l’Islam » (genre de propos qui exposent les convictions véritables de certain-es anti-voiles) mais bien de « patriarcat déguisé en liberté de culte ».

Il s’agit donc de contester ceux (celles) qui, au nom du droit à la différence culturelle (que je respecte), prône le droit à piétiner des valeurs qui, si elles ne sont certes pas respectées comme je le voudrais en Occident (et je suis la première à critiquer ma culture), sont du moins établies dans les textes. Autrement dit, si l’application laisse sérieusement à désirer, les principes fondateurs sont valables : à commencer par l’égalité des sexes.

Maintenant reprenons votre argumentaire en faveur du voile=liberté ; en gros 2 arguments (le religieux et le bienséant) :
1) Il y a les tenant-es du « c’est la loi divine, ça a toujours été comme ça (même pas vrai^^) donc ça doit le rester et c’est le bien puisque c’est comme ça, sinon ce serait autrement, puisque c’est Allah qu’a commencé et Allah y peut pas se tromper ». Rien à répliquer. Sauf que le fait que ce soit écrit (ou non) dans un texte que certain-es considèrent sacré n’exonèrent pas ces personnes de respecter les valeurs (sinon la culture) du pays dans lequel elles (ils) résident. Si moi je descends dans certains pays islamistes, on me rappellera à l’ordre à coût d’extradition, voire d’incarcération sommaire ou de « châtiments corporels » si je ne me conforme pas à ces soi-disant « libertés » des femmes… L’état français EST un état laïc. Il me semble d’ailleurs que l’interdiction du voile ne s’étend guère qu’aux institutions nationales, non ? Pour répondre à l’argument de la bonne sœur, je ne crois pas qu’elle fréquente l’école publique dans sa bure, je me trompe ?
Prenons maintenant l’argument formulé avec plus de sérieux (ou moins de fanatisme, au choix), comme il l’a été à plusieurs reprises : Il s’agirait simplement pour ces femmes de se conformer aux lois de l’Islam et de manifester leur foi - le voile relève donc de la liberté de culte. Sauf qu’il est amusant que cette liberté qui se traduit par une restriction de liberté (!) - D’abord vestimentaire, puis de mouvement : allez faire du tennis voilée ! - ne soit imposée qu’aux femmes… Le même genre de coutumes aussi contraignantes que débiles (je vous fais plaisir : dans l’Ancien Testament, c’est-à-dire dans la religion chrétienne) qui enjoignaient aux hommes de porter la barbe / de ne jamais se couper les cheveux ont été abandonnées depuis belle lurette. Et il n’est certes aucunement significatif au regard de l’égalité entre les sexes que ces « coutumes sacrées » pèsent largement plus lourd sur les musulmanes que sur les musulmans… Ca coule de source. Exercer sa liberté en respectant les rites sexistes (politisés et largement instrumentalisés) d’un culte patriarcal, ou qui l’est devenu (allez, je vais encore vous faire plaisir, comme TOUS les cultes contemporains, à commencer par le catholicisme), revient à accepter l’aliénation. Si la loi de mon patelin me dit qu’il faut que je lèche le pas de porte d’un hôte avant d’entrer chez lui, si je déménage et que les gens de ma nouvelle contrée m’expliquent que chez eux, le respect des invité-es invalide ce genre de pratiques humiliantes, mais que malgré tout je m’accroche à ma coutume, et bien j’exerce ma liberté pour refuser l’affranchissement d’une coutume inique, autrement dit je me bats pour me soumettre. Et le voile est, de part les axiomes sous-jacents qu’il traduit, sexiste. Battez-vous pour avoir le droit de vous soumettre, mais ne venez pas après reprocher aux gens de ne pas comprendre que vous êtes des égéries de la lutte émancipatrice !
 Pudeur et mini-jupe : là se révèle les fondements (ce que j’appelle les axiomes) de cette coutume. Il est amusant d’ailleurs de voir comment (hommes et femmes), vous vous trahissez quand vous abordez ce point, en laissant transparaître votre mépris des femmes. En effet, que ce soit en affirmant que le voile est une question de pudeur (dont les autres femmes sont impudiques – de là à immorales, il n’y a qu’un pas), ou en médisant de ces « femmes en string et mini-jupe » (propose réitérés maintes fois et toujours avec un mépris explicite), vous prouvez (malgré vous ?) que les femmes ont bien ce que j’appellerai un « devoir de pudibonderie ». C’est-à-dire qu’elles doivent ne pas chercher à exciter les hommes, parce que le sexe, c’est mâââââl (oui, c’est de la concupiscence). De plus, le sexe, c’est mâââââle : le concupiscence est fatale chez les hommes, on ne peut les juger - eux - sur ce fondement. Autrement dit, c’est aux femmes (qui sont censées ne pas avoir de désirs propres) de ne pas éveiller le regard (forcément) concupiscent de l’homme, qui se traduira forcément par du mépris (comment respecter une femme désirable, franchement, je vous le demande ?). C’est le même argumentaire que reprennent les violeurs (elle l’a bien cherché). Et ce n’est pas un hasard si vos points de vue convergent ainsi…

Personnellement, si je vois bien une aliénation au port systématique de tenues exagérément sexy, je ne ressens pas de mépris pour les femmes qui sont de la sorte aliénées mais de la tristesse : elles n’ont pas su prendre de la distance par rapport au discours dominant qui les réduit à un corps ; et je ne les plains que parce que je doute qu’un comportement basé sur une faible estime de soi (je ne vaux que par mon apparence) puisse être le chemin du bonheur. Mais en aucun cas je ne les condamnerai !!

Et quand je parle du discours dominant, ce n’est pas la plus petite ironie qu’il soit aussi incroyablement identique entre l’Occident (« vous ne valez que par votre corps, c’est votre unique patrimoine, alors entretenez-le, exposez-le et servez-vous en au maximum pour mériter l’attention des hommes ») et l’Orient (« vous n’êtes qu’un corps, or le charnel est synonyme de concupiscence, alors cachez ce corps, faites-vous aussi discrètes que possible - invisibles dans l’idéal - pour mériter le respect des hommes »). A noter que la religion catholique rejoint le discours musulman sur le corps des femmes (le voile et la tenue des religieuses, c’est le même combat : la femme, c’est la séduction, et la séduction, c’est le péché, pouah !).

Je pense que la liberté, ce n’est ni le voile (le corps des femmes diabolisé/vecteur de honte, en passant par la case : on réduit les femmes à ça), ni la mini-jupe (le corps des femmes encensé/objet de commerce, en passant par la case : on réduit les femmes à ça), c’est le t.shirt, le bermuda et les baskets… Et le voile pour se déguiser en Shéhérazade et la robe de soirée à l’occasion, quand on sort, le tailleur pantalon au boulot, et le pijama fripé chez soi – ou les longues robes aux couleurs très vives et chamarrées qu’on voit depuis quelques temps fleurir à Paris*.

Et ça n’a rien à voir avec la religion.

* (tiens, c’est bizarre, on a pas demander aux noires d’abandonner ces tenues… N’auraient-elles pas le même sens ? Parce que si l’interdiction du voile ne reposait que sur le racisme, ben pourquoi les anti-voiles ne sont pas également anti-robes africaines ?).

En conclusion, je dirais que je ne suis pas forcément pour la loi contre les « signes ostentatoires » - quel euphémisme ! Ca leur aurait écorché la gueule de prononcer les mots « coutumes sexistes » ? - En effet, la sanction prévue retombe encore sur les aliénées : l’exclusion des filles voilées de l’école. Or l’école est un vecteur d’émancipation, aussi imparfait soit-il. Mais je suis favorable à des mesures (par exemple fiscales) qui retombent sur les FAMILLES et en particulier sur les pères dont les filles portent le voile à l’école. Doublées d’une obligation réitérée de scolariser tou-tes petit-es français-es (avec sanction également). En gros, le défaut de cette loi, c’est qu’elle chasse les filles de l’école, plutôt que d’affronter l’origine du problème : le refus de certains parents d’éduquer leurs enfants dans une optique d’égalité entre les sexes.

Mais la loi ne pouvait qu’être mal fichue puisqu’elle a été édictée au nom de la laïcité et non au nom de la lutte contre le sexisme (en passant par les coutumes sexistes). Normal d’ailleurs : la laïcité (ou la xénophobie ?), ça fait vendre, le féminisme pas.

D’autant que c’était donner un argument en béton aux détractrices (eurs) de cette loi, à l’heure où l’Europe a montré un véritable culte de la personnalité du défunt pontife, chose pour le moins surprenante quand la plupart des états se proclament laïcs... Autant écrire en police Arial-gras-italique-orange-clignotant en dessous de la loi : la laïcité que l’on proclame ainsi défendre ne s’étend qu’à certaines religions en cinq lettres qui commencent par un « I »^^

Sur ce, je vous laisse à vos querelles religieuses sur le bien-fondé de l’Islam, puisque je n’ai rien compris et que là est la vraie question…

Pennac