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Nouvelle donne féministe : de la résistance à la conquête

23 avril 2004

par Lilian Halls-French et Josette Rome-Chastanet

Le système patriarcal hérité de l’histoire marque encore profondément les luttes pour l’égalité homme-femme.

Discriminations et subordination continuent de marquer le quotidien des femmes. Comment expliquer que les choses avancent si peu ? Comment cette situation peut-elle perdurer dans les pays dits démocratiques alors que pour la moitié de la population, la démocratie fonctionne si mal ? Comment progresser là où il y a urgence. Comment valoriser ce que les féministes font ensemble pour changer les choses ?

Le débat des mardis d’Espaces-Marx consacré à la " nouvelle donne féministe " rassemblait le 2 mars dernier des militantes, représentantes d’associations féministes et Gudrun Schyman, députée au Parlement suédois, qui s’attache à modifier dans son pays les rapports entre le féminisme et la politique. Élue d’un parti de gauche, elle a mis son mandat à la disposition des féministes ; est l’initiatrice d’un mouvement anti-patriarcal large et ouvert et du " projet d’éducation populaire féministe ". Doutes, colère, refus, force des convictions, détermination, ce fut une belle soirée marquée par la volonté d’avancer ensemble, quelles que soient les différences sur les priorités que l’on assigne à la lutte contre les discriminations sexistes, le contenu que l’on donne au combat féministe ou le rapport qu’on souhaite lui voir entretenir avec la politique.

Le premier constat fait par Gudrun Schyman a pointé le caractère transversal du système patriarcal, qui sous-tend toutes les autres structures sociétales : l’espace domestique où se décide la répartition des tâches et des responsabilités, le monde du travail marqué par les inégalités de salaires, la sphère politique qui maintient les femmes éloignées des décisions, les théâtres de guerres enfin sur lesquels les femmes sont victimes de violences atroces et quotidiennes.

Ce constat n’est pas nouveau : les féministes n’affirment-elles pas depuis trente ans déjà que le privé est politique ? Ne combattent-elles pas ce système depuis près de deux siècles ? Cependant, il faut toujours recommencer. Pire, rien ne protège les femmes de dramatiques retours en arrière.

Où se situe le blocage ? Comment faire ? Il faut agir certes sur le processus de construction des genres qui forme l’identité de sexe dès le premier âge et tout au long de la vie et déconstruire les identités forgées par la publicité sexiste, les jouets sexistes, les manuels scolaires, etc. Mais cela ne suffit pas, il est nécessaire de franchir un cap.

Il faut, dit Gudrun Schyman, passer de la résistance à la conquête car les féministes n’attendront pas encore deux cents ans une société égalitaire. "Quand un parti présente une liste aux élections, il doit se prononcer pour le renversement du système patriarcal. Les partis bien sûr ne veulent pas s’enfermer sur cette seule base de genre et nous cédons. Il faut aujourd’hui exiger un changement dans ce système."

Cela nécessite un mouvement des femmes puissant, permettant d’imposer un rapport de forces, souligneront des intervenantes. De poser aussi la question des droits des femmes en termes de pouvoir pour concrétiser et élargir la démocratie car la structure patriarcale, atout majeur de la mondialisation néolibérale, s’articule sur les structures de pouvoir et s’en nourrit. La question de la nature du pouvoir et de son partage effectif entre les hommes et les femmes, dans toutes les sphères de la vie, est donc centrale : " Le féminisme a joint en permanence le politique, le collectif et l’intime. Il y a là quelque chose de très important pour transformer la société sans détruire les gens. Ce mouvement est parvenu à produire de l’émancipation réelle, concrète, dans nos existences, dans nos rapports familiaux ou conjugaux, sans revendiquer le pouvoir des femmes sur les hommes. On aurait intérêt à ce que la politique humaine soit contaminée par le savoir-faire du féminisme. "

Aujourd’hui les féministes sont confrontées, dans une période marquée par une remise en cause généralisée des acquis, à de lourds défis. Le mouvement est-il pour autant dans une impasse ? Faut-il pour autant parler d’un renouveau nécessaire du féminisme ? Ces questions qui ont été au centre des débats n’ont cependant pas entamé l’essentiel : comment aujourd’hui, ensemble, les associations peuvent-elles créer un rapport de forces, sans se laisser diviser, en établissant des alliances entre toutes les composantes du mouvement féministe ? Comment faire du féminisme une question politique de premier plan ?

Dans les partis, le féminisme reste l’affaire des femmes : commissions spéciales, conférences spéciales s’organisent à côté ou en marge des " vraies questions politiques ". " Les partis politiques, non seulement méconnaissent le fonctionnement du système patriarcal mais sont dans le déni. " Peut-il en être autrement dans la mesure où " aucun des partis n’accepte la façon dont le féminisme réinterroge l’ensemble des questions politiques. Dire que le privé est politique, c’est reconnaître que le patriarcat comme système vertèbre tous les autres systèmes, ce qui n’est jamais discuté dans les partis. La division sexuelle des tâches n’est pas perçue comme le résultat de la domination, donc n’est pas remise en cause ".

De fait, les partis n’intègrent pas la dimension du féminisme comme analyse transversale du changement social. Le mouvement altermondialiste quant à lui est investi par les féministes, elles y militent sans pour autant s’y fondre car il reproduit pour une large part le même fonctionnement que les partis et les associations. Il est difficile d’y imposer la place des femmes !

Pour avancer, il faut s’appuyer sur les acquis. Aujourd’hui les associations féministes travaillent en réseau, les féministes travaillent dans des associations qui ne le sont pas et y construisent des points d’appui. Le mouvement des femmes a commencé à se structurer au niveau international. Il faut donc se saisir de ce qui émerge et s’en servir pour aller plus loin " pointer là où la lutte féministe a véritablement innové et contaminer une histoire humaine qui est de façon névrotique tenue par les représentations masculines et patriarcales ".

La " nouvelle donne ", c’est donc tout à la fois l’urgence de changement et le refus d’attendre une improbable égalité pour les générations futures, l’émergence de nouvelles associations et le dynamisme du mouvement féministe, la volonté de se structurer et pour reprendre les mots de fin du débat " de ne pas se lâcher les unes les autres ". Le féminisme est une utopie ? Alors rêvons ! Rendez-vous est pris à l’automne autour du thème : " Faut-il une loi antisexiste ? ".

« Espaces Marx. Nouvelle donne féministe », publié le 29 mars 2004, dans la rubrique Tribune libre du journal l’Humanité. Publication autorisée.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 avril 2004

Lilian Halls-French et Josette Rome-Chastanet


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