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En Irak, l’intégrisme islamique profite de la désorganisation sociale et du vide politique

1er mai 2004

par Toma Hamid

Les groupes islamistes imposent la charia islamique aux habitants de
Bassora. Un Emirat islamiste médiéval se dessine dans le sud de l’Irak où
des millions d’Irakiens vivent dans la crainte constante.

Une année sous l’imposition de la coalition de gouvernement dirigé par les USA confirme ce que nous avions prévu sur ce qui adviendrait en Irak avant que la guerre n’ait eu lieu. Maintenant, la direction dans laquelle se dirige l’Irak est claire, de même que le visage futur de l’Irak sous cette coalition.

La guerre des USA a eu comme conséquence le renversement du régime bassiste et la désintégration totale de l’Etat bassiste sans que celui-ci ne soit remplacé par une autre forme de gouvernement. Ceci a créé un vide politique et administratif mortel où la désintégration sociale totale, le chaos, le désordre et le sentiment d’abandon sont devenus les normes de la vie au quotidien. Au sein de la société moderne et civile irakienne, la vie et le tissu social ont été totalement désorganisés. La population a été privée de pain, de sécurité, d’électricité, d’approvisionnement en eau, de sources de revenus, de logement, de services de santé et des autres services sociaux et conditions élémentaires de la vie civique. Dans cette situation chaotique et sans précédent, les droits les plus fondamentaux et les libertés de la population ont été violés.

En réponse à cette situation, la coalition dirigée par les USA et leurs alliers locaux ont donné une réponse : c’est-à-dire en condamnant l’ancien régime et ce qu’il en reste, ainsi que les groupes islamistes, comme étant responsable de la situation actuelle et en demandant aux Irakiens d’être patients et plus de temps pour normaliser et améliorer la situation. Bien que de façon moins évidente et avec moins d’assurance, elle promet toujours d’établir la "démocratie" en Irak et de prendre ce pays comme un tremplin pour « répandre la démocratie » dans tout le Moyen-Orient.

L’Irakien moyen qui n’a pas son mot à dire dans tout ce qui arrive en Irak, et qui par ailleurs se sent délaissé, peut seulement espérer que les promesses des USA d’établir une société ouverte et libre soient vraies, et espérer que la situation actuelle, soit, comme le disent les USA et ses alliés, provisoire.

Régime meilleur signifie pour l’occupant un régime au service du système capitaliste

Cependant, un an après la guerre des USA, il y a des preuves croissantes de l’échec de la bourgeoisie internationale et locale dans l’établissement d’une société stable et normale en Irak, et encore moins d’une société laïque et civile. Aujourd’hui, il est évident que le futur de l’Irak sera extrêmement morne à moins que la classe ouvrière et les personnes progressistes ne puissent prendre l’initiative et s’impliquer instantanément en prenant leur avenir en main.

Le chaos et la désintégration sociale généralisée, qui a prévalu en Irak depuis la guerre, et l’absence d’aucune amélioration substantielle de la situation politique et sociale ne sont pas dus à un plan délibéré des USA pour détruire l’Irak, comme les nationalistes arabes et les islamistes le clament. La catastrophe humaine quotidienne prouve seulement une chose, c’est que dans un pays comme l’Irak, la bourgeoisie est incapable d’établir une société civile et laïque qui assure des droits et des libertés minimales.

D’une part, c’est dans l’intérêt du système capitaliste dans son ensemble de maintenir l’exploitation extrême de la classe ouvrière. Cette exploitation absolue exige l’oppression et l’absence absolue de ces droits et libertés minimales, de manière à construire un régime oppressif. Par conséquent, quand les USA et leurs alliés parlent d’un régime meilleur en Irak, cela ne signifie nullement de meilleures conditions de vie, ou plus de liberté d’expression, le droit de grève et de se syndiquer, le droit de croire ou de ne pas croire en la religion et ainsi de suite, pour la population ordinaire irakienne. Cela signifie plutôt qu’ils veulent construire un régime stable et au mieux pluraliste qui pourra garantir les intérêts du système capitaliste. Mais même construire une société normale où la vie civique fonctionne normalement, la bourgeoisie internationale a prouvé que cela lui été très difficile.

D’autre part, la bourgeoisie internationale doit compter sur la bourgeoisie
irakienne pour gouverner et établir son alternative en Irak. Dans un pays comme l’Irak, les forces bourgeoises ne peuvent pas être progressistes et chercher la construction d’une société civile. Aujourd’hui, les forces bourgeoises irakiennes se composent de forces religieuses, nationalistes et tribales extrêmement réactionnaires et de chefs réactionnaires à la tête de groupes religieux, ethniques, tribaux et de mercenaires. Ces forces s’appuient essentiellement sur la superstition, la bigoterie religieuse, le racisme et le nationalisme pour dominer la société et pour éliminer toutes les manifestations de civilité. Ils peuvent seulement régner s’ils réussissent à détruire la société civile en Irak. Par conséquent, ils ne peuvent pas, non seulement former un gouvernement laïc, non-religieux et non tribal en Irak, mais ils tentent aussi d’empêcher qu’un tel gouvernement arrive au pouvoir.

En raison de la guerre et de l’occupation américaine, ces forces ont émergé au niveau social et politique et tirent bénéfice du chaos et de la répression sociale et politique. Mais ces forces sont également soutenues par la bourgeoisie internationale, et tout particulièrement par le gouvernement des USA et les pays régionaux qui les présentent comme leur alternative pour régner en Irak. En plus d’être réactionnaires, ces forces sont très divisées et donc incapables de contrôler et de faire fonctionner la société. Il y a beaucoup plus de choses qui divisent ces groupes que d’éléments pouvant les rapprocher. La diversité des identités et des idéologies de plusieurs de ces forces, groupées au sein du Conseil de gouvernement les divisent. Comment plusieurs groupes sectaires, ethnocentriques et tribaux peuvent-ils faire marcher un pays moderne comme l’Irak ? L’avenir nous le dira.

La politique américaine en Irak, destructrice de la civilisation

La situation actuelle a également eu comme conséquence l’apparition de forces extérieures extrêmement réactionnaires, il s’agit de celles groupées au sein du Conseil de gouvernement. La bourgeoisie internationale peut seulement s’appuyer sur de telles forces.

Par conséquent, à long terme, la politique des USA achèvera de détruire la civilisation en remettant le gouvernement à ces sinistres forces religieuses, tribales et ethniques, qui n’ont rien en commun avec la société civile. Ce gouvernement ne veut pas uniquement prolonger la privation quotidienne et l’absence de libertés, mais également les guerres ethniques et religieuses qui seront une partie inhérente de ses fondations.

Par ailleurs, les USA en tant que pôle majeur du terrorisme et en tant que participant à la guerre des terroristes, agit comme un aimant qui attire d’autres groupes terroristes, particulièrement les groupes islamistes. En conséquence, l’Irak se transforme en champ de bataille pour les terroristes. Ceci pèse énormément sur la société civile irakienne, car il la pousse vers la droite, diminue les espérances de la population et la détourne des luttes pour la justice. Cela encourage également les forces religieuses, nationalistes et tribales les plus arriérées à se déplacer au premier rang sur le plan social et à devenir la force dominante dans la société. L’existence de ces groupes terroristes s’ajoute à l’échec de la coalition dirigée par les USA et le Conseil de Gouvernement.

La régression imposée à l’Irak pendant un an est immense. Même si nous
supposons que la situation financière et la sécurité s’améliorera graduellement, les USA et ses alliés peuvent ne jamais renverser la régression sociale et culturelle. Après un an, cette régression, non seulement, n’est pas renversée, mais la société est plus profondément conduite et graduellement entraînée dans la barbarie et condamnée à ce triste sort.

Bassora sous l’emprise de l’ismalisme politique

La régression sociale et culturelle frappe partout en Irak, mais nulle part
autant que dans le Sud de l’Irak. La ville méridionale de Bassora qui dans les années 70 et au début des années 80 était l’une des villes les plus libres et les plus ouvertes de l’ensemble de la région, ressemble aujourd’hui infiniment au voisin iranien. Les images des ecclésiastiques les plus réactionnaires morts et vivants sont partout. La polémique au sein du Conseil de gouvernement pour faire de l’islam la seule source de la loi ou une des sources principales de la loi, est sans signification à Bassora. La police locale est occupée à imposer les règles de vie islamiques les plus strictes. On voit peu de femmes dehors dans les rues. Et celles qui osent sortir en dehors de leur maison pour des motifs très importants sont couvertes d’un voile. Il n’y aucune tolérance envers les manifestations de modernité et de laïcité. Plus de 200 magasins de boissons alcoolisées ont été détruits ou ont été confisqués et la plupart de leurs propriétaires, pour la majorité des chrétiens ont été tués ou forcés de partir
immédiatement, dès les premiers jours de la guerre.

Les propriétaires de magasins de vidéocassettes sont susceptibles d’être
assassinés à tout moment. Les boîtes et même certains restaurant ont été
fermés. La musique est interdite. Les groupes islamistes soutenus par l’Iran sont entrés dans une course contre la montre pour préparer le terrain à la croissance de leurs traditions, de leurs valeurs et styles de vie, afin d’établir ainsi une base qui leur est favorable. La violence, y compris les meurtres sommaires sont devenus la méthode principale de ces groupes. Leurs cadres et leurs activistes sont de simples mercenaires. En fait, ces groupes islamistes règnent sur la ville, et les troupes britanniques qui commandent la région ne lèvent pas le petit doigt pour stopper leurs violations quotidiennes et systématiques de la civilité, ou pour arrêter leurs atrocités contre les personnes laïques et la population en général. L’officier David King, porte-parole officielle des Britanniques, justifie ce laxisme : « Nous ne sommes pas ici pour imposer notre style de vie à d’autres », explique-t-il. Cette excuse est employée malgré le fait qu’un sondage occidental ait montré que seulement 25% de la population voulait un Etat islamique en Irak. Pour la coalition dirigée par les USA, les valeurs, les traditions et le style de vie imposé par la terreur par les groupes islamistes sont les valeurs, les traditions et le style de vie de tous les irakiens !

A Bassora, il y a principalement trois mouvances islamistes : le parti d’Al-Daawa, le conseil suprême de la révolution islamique en Irak et les milices de Muhammad Sadiq Al-Sadr. Il y a plus de 150 autres petits groupes fortement impliqués dans des activités criminelles. Ces groupes ont commencé à parler d’un Emirat islamique dans le sud de l’Irak à l’identique du fédéralisme kurde dans le Nord. L’autorité de coalition n’est pas concernée par cette situation. La prospérité et le bonheur des masses et la possibilité de les défendre contre les violations et le terrorisme islamiste est le moindre des soucis des troupes de la coalition. Elle est seulement préoccupée par le terrorisme islamiste quand il s’oriente contre elle. La régression qui s’est produite dans la société irakienne durant la dernière année exige d’énormes efforts pour être renversée.

Le rôle du Parti communiste ouvrier d’Irak

Comme nous le disions, le système bourgeois a atteint une impasse. Les forces bourgeoises locales et internationales sont incapables de construire une société normale ou civile en Irak, ou de satisfaire les besoins urgents de la population en Irak. Par conséquent, la vie civile, l’établissement de la société civile en Irak et le renversement de cette régression, ceci est maintenant la tâche de la classe ouvrière, progressiste et laïque en Irak. Cette tâche exige de se porter immédiatement à l’avant de ces forces.

Cependant, parce que le peuple irakien n’a eu aucun rôle à jouer dans le
renversement du régime baassiste, ni dans les événements ultérieures ni sur leurs problèmes quotidiens qui sont survenus aux lendemains de la guerre, il se sent abandonné. Il n’a pas les moyens de se porter à l’avant, de s’impliquer dans l’administration de ses problèmes quotidiens et de défendre la civilisation, la vie et la société humaine tous ensemble.

En outre, en dépit de leurs espérances et de leurs rêves élevés en un avenir meilleur, le souci immédiat des Irakiens et des Irakiennes est d’en finir avec le chaos et le désarroi et de restaurer une vie normale. Ils ont besoin d’une force qui leur apporte les réponses et les dispositions pratiques leur permettant de répondre aux demandes urgentes de paix, de sécurité, de pain, de travail, de logement, d’eau, d’électricité, etc. D’autre part, ces demandes peuvent être seulement réalisées si le peuple lui-même se porte à l’avant. Une force, qui a des réponses et des dispositifs pratiques pour atteindre cet objectif, peut attirer les masses et les porter de l’avant et mener leur lutte pour réaliser les demandes immédiates de ces derniers et par la suite pour établir une société civile normale.

En Irak aujourd’hui, le Parti communiste ouvrier d’Irak est la seule force
qui a le potentiel pour jouer ce rôle. L’Organisation pour la liberté des
femmes en Irak, l’Union des chômeurs en Irak et la Fédération des Syndicats et des Conseils ouvriers en Irak représentent certains de ces outils nécessaires pour porter les masses à l’avant et mener leur lutte pour un avenir meilleur. L’appui de la classe ouvrière et des individus progressistes dans le monde entier est crucial pour réaliser cette tâche. Le temps joue contre les masses et le Parti communiste ouvrier d’Irak. La liberté d’action ne durera pas toujours, et donc, sauver la société irakienne d’un futur sinistre et morne, cela requiert de plus grands efforts de la part des forces progressistes partout dans le monde.

Toma Hamid est membre du Parti communiste ouvrier d’Irak

Article proposé par Solidarité-Irak, avril 2004

Mis en ligne sur Sisyphe le 20 avril 2004

Toma Hamid


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