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Le ministre Philippe Couillard et Stella - Aider les femmes prostituées ou promouvoir la prostitution ?
Lettre au ministre de la Santé du Québec20 juin 2004
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Monsieur le Ministre,
Je viens d’apprendre que vous avez remis au groupe Stella un prix d’excellence pour la prévention, la promotion et la protection de la santé et du bien-être des populations, pour la publication du "Guide XXX" et de "l’Art du striptease". Est-ce là la nouvelle vision qu’a le gouvernement du Québec du bien-être des populations ? Tout en distribuant des condoms et de l’information sur le VIH, le groupe Stella n’a jamais fait mystère de sa volonté d’obtenir la décriminalisation totale de la prostitution.
Il y a au Québec un consensus en faveur de la décriminalisation des prostituées, qui sont incontestablement victimes de la violence inhérente à ce « métier », ne serait-ce que dans le « viol tarifé » de leur intimité, mais rien ne saurait justifier celle des proxénètes et des clients, sans qui cette marchandisation du corps des femmes - et de plus en plus des enfants - ne saurait exister.
À court terme, votre gouvernement devrait s’assurer que les femmes prostituées aient accès aux services sanitaires, sociaux, juridiques et policiers qu’elles réclament, ainsi qu’à des refuges d’urgence et à des abris à long terme, que les auteurs de violence à leur égard soient poursuivis au criminel, que les policiers soient là pour les protéger et non pour les harceler et leur distribuer des contraventions. Il ne s’agit pas de lutter contre les prostituées, mais contre la prostitution. Nous possédons déjà un système de protection sociale universel, en vertu duquel tous les citoyens et toutes les citoyennes ont accès à des services de santé gratuits, des prestations d’aide sociale et une pension de vieillesse qui ne sont pas liés à l’emploi, mais seule l’assurance d’un revenu minimum décent à toutes et à tous pourrait faire en sorte que nul ne soit réduit à se prostituer pour survivre.
En accordant ce prix à un groupe qui fait la promotion du "travail du sexe", le gouvernement du Québec semble donner son aval à la libéralisation de la prostitution, feignant de croire qu’il s’agit, dans la majorité des cas, d’un libre choix, comme si la coercition du milieu, les rapports sexuels de domination, les conditions affectives, sociales et économiques des personnes concernées ne jouaient aucun rôle dans leur décision de vendre leur corps.
Votre gouvernement montre-t-il, par l’attribution de ce prix et le récent rapport du Comité permanent de la jeunesse recommandant la décriminalisation des clients des jeunes prostitué-es, qu’il serait favorable à la reconnaissance de la prostitution en tant que "métier comme un autre", soumis au code du travail et possédant un syndicat qui, tel Stella, représenterait les droits des « travailleuses du sexe » ? Voit-on dans la perspective d’une décriminalisation complète de la prostitution la possibilité de nouvelles rentrées fiscales et un débouché intéressant pour réintégrer sur le marché du travail les personnes en chômage et assistées sociales ?
Alors qu’on remet en question l’utilité (la rentabilité) de l’enseignement de la philosophie, de la littérature et de l’histoire au cegeps, le ministère de l’Éducation du Québec, emporté par le même vent de libéralisme, va-t-il, de son côté, ajouter des cours d’apprentissage du "travail du sexe" pour enseigner aux femmes à mieux répondre aux fantasmes des clients, à se transformer en de simples marchandises malléables et interchangeables entre leurs mains et à satisfaire ainsi aux exigences croissantes d’une industrie mondialisée qui rapporte désormais au crime organisé et aux proxénètes plus que la vente des armes et de la drogue ? Est-ce un tel choix de société que s’apprête à faire votre gouvernement dans une pure logique néolibérale de rentabilité maximale ?
Il est inquiétant de constater que les crédits nécessaires à la mise en place de mesures efficaces pour la réinsertion des femmes prostituées et la rééducation des clients, voire la poursuite des récalcitrants, ne sont pas mis à la disposition d’organismes en mesure de les appliquer, comme les CLSC ou tout groupe de femmes possédant les compétences et les convictions nécessaires pour mener à bien un tel travail. Rien ne saurait légitimer, selon moi, le système prostitutionnel qui relève de l’exploitation sexuelle des femmes et constitue une violation flagrante de leur intégrité, de leur dignité et des droits humains fondamentaux.
Je ne saurais faire confiance à un gouvernement ni à un ministre de la Santé qui accordent une reconnaissance publique à un groupe qui fait la promotion de la prostitution et du proxénétisme ; votre ministère et votre gouvernement démontrent ainsi qu’ils préfèrent pallier superficiellement à certaines des conséquences de ce système d’exploitation plutôt que de travailler à l’éliminer.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 mai 2004.
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