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Le droit d’éliminer les filles dans l’oeuf ?

2 juin 2004

par Liliane Blanc, historienne et écrivaine

Tota mulier in utero - Saint Thomas

"La femme n’est qu’un ventre ! " - Napoléon



Dans le quotidien montréalais "La Presse", en date du 27 mai 2004, on peut lire avec stupéfaction ceci : "Vif plaidoyer pour le droit d’éliminer les filles dans l’œuf". S’en suit un compte-rendu, écrit par la journaliste Louise Leduc, du Congrès mondial sur la fertilité et la stérilité qui se tient en ce moment à Montréal.

Comment conserver sa sérénité, quand on lit que l’un des membres du comité d’éthique de la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique, un certain gynécologue égyptien, Gamal Serour, affirme qu’"éliminer la fille dans l’œuf et détruire les embryons femelles, peut être tout à fait éthique", que cette pratique "aiderait les femmes qui, autrement, sont victimes d’immenses pressions sociales quand elles donnent naissance à des filles" et, ainsi, les empêcherait de commettre des infanticides. Et que cette "sélection du sexe des enfants" va, en fait, dans le même sens que ce "contrôle de leur vie reproductive" que les féministes mettent, toujours selon ce docteur, de l’avant pour "s’affranchir de la domination des hommes". Pincez-moi, je rêve.

À lire des articles comme celui-ci, je serais tentée de régresser à un stade purement végétatif afin de ne pas désespérer davantage de certains humains. Que de telles méthodes de contrôle de la population féminine, semblables à l’eugénisme pratiqué par Hitler sur les juifs et les noirs, soient non seulement envisagées, mais déjà pratiquées et passent pour être "tout à fait éthique(s)", c’est purement scandaleux ! Il est vrai que l’élimination d’un œuf est certainement plus "propre" et laisse moins de traces que des cadavres.

Ces détraqués de laboratoire, sans conscience, ne sont pas des personnages fictifs. Ils agissent en toute impunité. En poussant à fond la réflexion tordue de ce "gynécologue" égyptien, on pourrait supputer, après tout, que le jour n’est peut-être pas si lointain où quelques spécimens humains, de sexe féminin, parqués dans des laboratoires et des lupanars, suffiront amplement pour fournir les œufs nécessaires à une reproduction essentiellement masculine et à l’assouvissement sexuel des seuls êtres dignes de vivre librement sur la "Terre des Hommes" ! Mais la réalité a déjà dépassé la fiction, puisque l’on apprend, dans le même article, que l’Inde est une fervente praticienne de cette nouvelle sélection de race, et que 50 millions d’embryons féminins ont ainsi été éliminés. Et qu’aux USA, certains instituts de fertilité et de fécondation jouent déjà là-dedans.

Pourquoi ce genre d’intervention en plein congrès mondial ? S’agit-il d’un ballon-sonde lancé afin d’évaluer les limites de notre tolérance, dans ce monde qui se déglingue, et où l’éthique, justement, en prend plus que pour son rhume ? Jusqu’où se répercutera cette onde de choc, provoquée dans la salle, par ce charmant docteur Folamour ? Réagirons-nous massivement à pareille aberration ?

Pour moi, œuf chanceux qui a encore eu le temps de devenir femme, je crois que ce genre de nouvelle est loin d’être rassurante pour l’avenir. Au fil des siècles, les pratiques sociales et les lois ont écarté les femmes de la place publique, jusqu’à les réduire au silence et à une discrétion qui pouvait s’apparenter à la clandestinité. L’évolution des mentalités est chose lente et, dans certains milieux, les préjugés masculins, tenaces, ont du mal à se réformer. La chasse à ces œufs encombrants serait-elle, pour d’aucuns, la solution finale enfin trouvée pour exercer le contrôle absolu sur ce mal nécessaire, la femme ? Hélas, les sentiments, l’amour, encore moins que l’éthique, n’ont pas leur place, dans les laboratoires de ces praticiens maléfiques. Et c’est surtout cela qui est grave.

Si personne ne s’oppose, dès aujourd’hui, à ce genre de bricolage sélectif des sexes, ce n’est plus contre des inégalités et "pour leur affranchissement des hommes" (dixit le bon docteur) que les filles de demain exerceront leur vigilance, mais pour leur survie, tout simplement. Quand on sait à quel point, dans certains pays, la venue au monde d’une fillette est une calamité, on n’est pas loin, avec ce genre de manipulations, des quotas imposés pour la production des poulets et des porcs.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 28 mai 2004

Liliane Blanc, historienne et écrivaine


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