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Faut-il une autorisation pour parler de la prostitution ?

14 septembre 2002

par Micheline Carrier

Le débat sur la prostitution dans NetFemmes me semble prendre tantôt une tournure de dérision, tantôt la tangente du « moi-je-sais-ce-qu’elles-vivent-et-vous-ne-le-savez-pas ». Cela rend plus difficile le dialogue qu’on dit chercher.



Si je dis : « Je veux qu’on cesse de criminaliser, de harceler, de poursuivre les prostituées » ; et si j’exprime en même temps l’opinion que la prostitution est une forme d’exploitation et qu’on devrait criminaliser davantage les proxénètes ; si, par ailleurs, on traduit mes propos comme du mépris envers les femmes prostituées et une volonté de les réprimer, qu’y puis-je ? On n’a pas nécessairement les intentions qu’on nous prête.

Je ne crois pas qu’il y ait, d’un côté, les « bonnes », qui seraient les seules à connaître la situation réelle de toutes les femmes prostituées, à leur reconnaître des droits et à « compatir à leurs souffrances » ; et, de l’autre, les « méchantes », qui ignoreraient totalement la vie et les souffrances des prostituées, leur dénieraient des droits, les mépriseraient en raison de leurs activités sexuelles, voudraient les réprimer davantage et les exclure du mouvement féministe. D’abord, qui peut prétendre inclure ou exclure quelqu’un d’un mouvement, quel qu’il soit ? Y adhérer ou non n’est-il pas un choix personnel ? En quoi émettre une opinion que ne partagent pas un certain nombre de femmes prostituées serait-il une preuve qu’on les renvoie en marge du mouvement des femmes ?

Je me demande également pourquoi on ne devrait écouter et prendre en compte que la parole des prostituées qui sont favorables à la « libéralisation » totale de la prostitution. Le groupe Stella parle-t-il au nom de toutes les prostituées ? Qui parle ? Pour que la parole d’autres prostituées soit écoutée, ne faudrait-il pas les entendre aussi dans ce débat ? Plusieurs « survivantes » de la prostitution ont déjà dénoncé leurs conditions de vie sans réclamer la « libéralisation » totale de la prostitution et sa reconnaissance comme « métier comme les autres ».

Plusieurs chercheures féministes ont mené des enquêtes rigoureuses auprès de prostituées (je pense à Yolande Geadah, à Florence Montreynaud, à Kathleen Barry, entre autres) ; elles se prononcent pour la décriminalisation de la prostitution et le respect des droits des prostituées, mais non pour la reconnaissance d’un statut de « métiers comme les autres » pour la prostitution et le proxénétisme. Des chercheures se sont intéressées également aux facteurs qui conduisent des personnes à se prostituer et elles ont considéré la prostitution comme une forme d’esclavage sexuel. Je ne peux croire que ces chercheures éprouvent du mépris pour les personnes auxquelles elles ont consacré parfois plusieurs années de leur vie.

De mon côté, j’ai beau relire le seul et unique texte d’OPINION que j’aie jamais écrit sur la prostitution, je n’y vois pas de condamnation des femmes prostituées, ni de mépris envers elles, ni de volonté de les réprimer. ( Bientôt des proxénètes et des bordels subventionnés ? ). Je n’y considère pas comme de « fausses féministes » celles qui ont une opinion différente de la mienne sur l’opportunité d’accorder le statut de « métiers comme les autres » à la prostitution et au proxénétisme. Je ne vois rien de tel non plus dans l’analyse d’Élaine Audet, ((Prostitution : droits des femmes ou droit aux femmes ?), ni dans les propos de Florence Montreynaud, ni dans ceux de l’avocate Gunilla Ekberg, non plus que dans les propos des personnes qui se sont exprimées sur NetFemmes en faveur d’une société sans prostitution (on peut rêver, dit F. Montreynaud).

Comme tout le monde, je sais qu’il y a mille et une façons d’être féministe. En écrivant que la prostitution est une forme d’esclavage (pas nouvelle, mais l’exploitation des femmes est vieille comme le monde, elle aussi) pour la majorité des prostituées, on n’exprime qu’une OPINION parmi d’autres. Pas de quoi subir un procès d’intention et recevoir des leçons de droit. Si tout le monde partageait exactement la même opinion, il n’y aurait pas de débat.

Cela dit, si un jour la société québécoise considère que prostitution et proxénétisme sont des « métiers comme les autres », je n’en ferai pas une maladie. Je dirai : « Bon, c’est ça que le consensus social a décidé ». Mais je n’en penserai et n’en exprimerai pas moins ma dissidence. Est-ce une position trop « carrée » que de revendiquer cette liberté ?

Micheline Carrier


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