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La domination sexuelle en uniforme : une valeur américaine

30 juillet 2004

par Linda Burnham

Les photos d’Abu Ghraib d’humiliation sexuelle et de soumission ont mis à nu les enchevêtrements incroyablement confus de racisme, de misogynie, d’homophobie, d’arrogance nationale et d’hyper-virilité qui caractérisent l’armée américaine. Une domination sexuelle militarisée n’est ni "contraire aux valeurs américaines" ni simplement le fait de quelques "pommes pourries". C’est plutôt une pratique quotidienne.

La défense des "pommes pourries" est à la fois effroyablement inadéquate et complètement fourbe. Alors que réduire la portée de l’enquête à un délit individuel peut fournir à l’armée un bouclier protecteur pratique, on détourne aussi l’attention de réalités très troublantes. Les photos d’Abu Ghraib révèlent autant sur notre nation que sur les soldats de la 372e compagnie militaire de police.

Comme notre président nous l’a fait comprendre clairement, l’intention de l’invasion et de l’occupation de l’Irak était de mettre l’opposition
irakienne à ses genoux. Pourquoi alors être surpris que des soldats soient
excités au point d’obtempérer tellement littéralement ? Le scénario dans
lequel un Irakien s’agenouille avec le pénis d’un autre dans ou près de sa
bouche nous a tous choqués. Mais l’appel de notre leader pour une
humiliation non déguisée d’Arabes ou de Musulmans n’a pas été silencieuse au point que seuls quelques soldats égarés l’auraient entendue.

Des prisonniers irakiens faits pour porter des sous-vêtements féminins.
Celles qui ont combattu pour des droits égaux de servir dans l’armée
devraient en tenir compte. La dégradation et la faiblesse sont encore
et toujours identifiées avec le féminin dans cette armée masculine.

On a fait grand cas du rôle de la soldate Lynndie England, la femme des
mauvais traitements au pouce levé. Sa culpabilité semble manifeste et,
rentrée au pays, England devra lutter pour son salut du mieux qu’elle
pourra. Mais England est la seconde femme qui a servi de couverture à l’installation en Irak de l’histoire de l’intégration sexuelle militaire US. La première était Jessica Lynch. Deux jeunes femmes au frais visage, de la classe ouvrière et d’une petite ville, des jeunes femmes avides d’échapper aux limitations de leur domicile et de leur condition. Et elles se sont effectivement échappées dans les bras bienvenus d’une institution qui utilisa l’une pour rallier la nation, en inventant un récit de la femme en danger mais courageuse, arrachée à de sombres hordes barbares. Et qui utilisera l’autre comme un sacrifice pour apaiser les anxiétés d’une nation troublée. Dans son rôle de dominatrice d’hommes irakiens, England a mis à nu la sexualisation de la conquête nationale. Comme participante à la construction militarisée du masculin, elle a inauguré un archétype effrayant tout à fait nouveau : une femme de la
nation dominante comme agent joyeux d’humiliation sexuelle, nationale,
raciale et religieuse. C’est quoi cette libération ?

Laissant Lynndie England de côté, les scènes d’Abu Ghraib décrivent la
domination sexuelle comme une caractéristique de l’hyper-virilité militaire.

Les horribles révélations du Denver Post, sur les abus sexuels et les viols
subis par de nombreuses femmes militaires constituent une indication
supplémentaire que la domination sexuelle en uniforme est loin d’être rare. Et notre armée est construite sur l’assujettissement quotidien de la vie sexuelle de milliers de femmes, sur des milliers de femmes servant à assouvir les appétits sexuels de militaires à l’étranger. Subordonner les intérêts nationaux de pays partout dans le monde aux intérêts géo-politiques des US demande, semble-t-il, le sacrifice sexuel d’une certaine partie des femmes nationales des pays occupés - toujours des femmes pauvres.

On considère la prostitution militaire comme un repos et une détente, une distraction pour les troupes. Alors que le prétendu "but" de l’humiliation des prisonniers d’Abu Ghraib était d’extraire des informations vitales, les photos racontent une histoire plus entortillée. Les visages hilares nous racontent que mettre en scène le viol métaphorique de la nation irakienne en mimant la domination sexuelle sur des hommes irakiens est très amusant. Se mettant eux-mêmes en scène comme directeurs et acteurs dans le drame de l’humiliation sexuelle, les gardiens de prison croyaient certainement qu’ils
pouvaient faire tout ce qu’ils souhaitaient, et s’amuser pleinement
eux-mêmes dans le processus. Était-il non-américain pour eux de penser cela ? Pas vraiment, quand le message central de leur commandant en chef au peuple irakien a été : "Vous plierez devant notre capacité de domination, et nous exercerons cette capacité malgré l’opposition générale."

La lutte pour désigner la culpabilité a pris le caractère d’un tango
politique avec un gros enjeu. La lutte va s’intensifier. Bien qu’il ne soit
pas question que, depuis les auteurs directs et ceux
au-dessus, tous les responsables n’aient à rendre des comptes, la culpabilité est bien plus
profonde.

Cela peut être dur de se lever le matin et d’affronter cette réalité, mais
nous sommes collectivement entièrement coupables. Nous élisons des
représentants qui nourrissent le monstre militaire. Nous honorons une
hyper-virilité sadique, récompensant ceux qui la représentent le mieux, d’un poste de gouverneur (ex :. Arnold Schwarzenneger). Nous consacrons des fonds importants au servage et à la discipline dans notre système de justice criminelle. Et nous n’arrêtons pas de nous mentir. Le monde est las et profondément fâché des déclarations d’innocence en lambeaux de l’Amérique.

Les soldats d’Abu Ghraib ont ouvert le rideau sur leurs représentations
perverses de sorte que nous pouvons voir qui nous sommes. Avons-nous la volonté de changer ?

Linda Burnham est la directrice du Women of Color Resource Center in Oakland, CA (Centre de documentation des femmes de couleur à Oakland, Californie).

Publié sur http://www.counterpunch.org/burnham05222004.html, le 22 mai 2004

Traduction : Édith Rubinstein, de Femmes en noir

Mis en ligne sur Sisyphe, 29 juin 2004

Linda Burnham

P.S.

Lire également

Le sadisme sexuel de notre culture, en temps de paix et en temps de guerre, par Katharine Viner, The Guardian




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