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Longue vie à toi ! Longue vie à toi !
Marcheuse de l’impossible !
Pour les femmes afghanes

4 octobre 2004

par Nicole Barrière, sociologue et poète


Poème pour les femmes afghanes

Sur les sentiers de pierre, les chevaux saignent
Et traversent périlleusement les rapides
Marche interminable et danger sur la piste de neige
Où les mines antipersonnelles sont tapies
Dans le brouillard les cimes du Penjshir
La vallée pleine d’odeurs et de temps suspendu aux murets de pierre

Longue vie à toi ! longue vie à toi !
Marcheuse de l’impossible !

Le visage se durcit : perte, haine, trahison
Négoce d’armes pour combattants
L’attente et la révolte des hommes : impatients, résistants, morts.
La guerre installée dans le paysage lourd des bœufs tractant la moisson
Et l’économie souterraine contre la force immonde
des talibans.
Archaïques la charrue, la faucille, la santé et l’école interdites
Tandis que le fleuve coule entre les verts feuillages
La guerre a repris incendiant le pays
De longues traînées s’échappent du ciel noir sur les ruines
Tandis qu’une musique lancine la désolation

Longue vie à toi ! longue vie à toi !
Marcheuse de l’impossible !

Fière combattante roulant la pierre trouée jusqu’aux tanks explosés
Et agile dans l’arbre où tu cueilles les bruits blonds de l’abricotier
L’enfant sur la monture dansait dans la verdure
Et le sourire radieux bouillonnait dans les flots
Vers brisé d’un poème
Il fait nuit
Nos regards sont les yeux de ceux qui nous regardent
Dans la nuit les étoiles scintillent et accrochent l’espoir
Mon lit est plongé dans les flammes des souffrances et des morts
Ce rien, cette perle, cette goutte de pluie
Pareille à ton courage

Longue vie à toi ! longue vie à toi !
Marcheuse de l’impossible !

Et la guerre reprend comme une cantate de Bach
Guerre civile où les blessures enflamment l’histoire
Et la charrue trace de longs sillons de sang
La nuit au bord du fleuve veillent les combattantes
Plus de message
Et dans la forge rugit la poésie des caravanes marchant dans la montagne
Etrange rencontre où la cascade unit les blessés des deux camps.
Les lentes colonnes de soldats attendent aux guérites
La foi et la paix détruites
Silence de vaincu et poussière obstruant l’avenir

Longue vie à toi ! longue vie à toi !
Marcheuse de l’impossible !

L’enfant au berceau, seul espoir de revivre
L’enfant adolescent blessé dans son courage
Et ce vieillard penché lui tenant la main au-dessus du désert
Alors de longues volutes ont envahi le pays et dit :
« A mort la poésie, les cavalières et les conteuses,
A mort les mosaïques changeantes et les douces mélodies
A mort les fileuses de liberté et les douces amantes
Traverse le fleuve dans cette cage
Et entends la pauvre musique rythmée par l’énumération des absentes
Et la main de l’enfant envahie de gangrène »

Pourquoi la guerre ?

Là-bas il y a une source au lever du jour
Et nous avons la gorge en feu
Installées sur les rochers des plateaux surplombant la plaine
Nous entendons :
« Longue vie à toi ! longue vie à toi !
Marcheuse de l’impossible !
Longue vie à toi ! Longue vie à toi !
Combattante du désir !
Longue vie à toi ! Longue vie à toi !
Résistante des crêtes de feu !
Longue vie à toi ! Longue vie à toi !
Habitante du Penjshir !

Ce poème est extrait du recueil Longue vie à toi ! Marcheuse de l’impossible ! suivi de D’amour et de paix, par Nicole Barrière, Les Presses littéraires, France, 2002.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 30 août 2004.

Nicole Barrière, sociologue et poète



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