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Branle-bas chez les péquistes... cherchez la femme
7 septembre 2004
par
Les Carnets de Sisyphe, no 3,
le 9 septembre 2004
Lorsqu’il est question de politique partisane, je suis le plus souvent dans le camp des désabusé-es. Mais je dois avouer que la situation politique au Québec ranime depuis quelque temps mon intérêt. Je ne suis membre d’aucun parti, je n’ai pas l’intention de le devenir et je ne décide pas avant une élection dans quel sens je voterai, bien que je sache grosso modo dans quel sens je ne voterai pas. Pour tout dire, je suis outrageusement critique à l’égard de la politique et des politicien-nes. La politique me fait souvent penser à une scène de théâtre ou à une ligue d’improvisation où les meilleurs improvisateurs sortent gagnant-es. Bref, je suis une électrice "rétive".
C’est le brasse-camarades au sein du Parti québécois, depuis quelques semaines, qui ramine mon intérêt pour la chose politique. Je ne nourris aucune sympathie pour le PQ depuis le "règne" de Lucien Bouchard qui a anéanti ce qui y restait de sociale-démocratie en optant résolument pour le néo-libéralisme qu’incarnent admirablement Bernard Landry et François Legault. Pas de sympathie, pas de vote pour le PQ. Je me suis même promis de ne pas voter pour le Parti québécois tant que Bernard Landry en serait le chef.
Les choses sont claires et on me voit venir.
Mais oui, je me réjouirais que le PQ soit enfin dirigé par une femme, et Pauline Marois ne serait pas pire que n’importe quel candidat masculin, y compris le chef actuel. Cela ne signifie pas que je voterais nécessairement pour le PQ à une élection future. Pas de chèque en blanc à qui que ce soit, certes non. Tout dépend de l’orientation que prendrait le Parti québécois sous la direction de Pauline Marois. Mais enfin, une femme cheffe de parti serait une première au Québec (en attendant le parti de la gauche unifiée dirigée par Françoise David, peut-être...). Il faut bien le dire, le Québec se distingue également à ce chapitre. Au cours du dernier quart de siècle, l’Ouest canadien et les Maritimes ont parfois élu des femmes à la tête de partis politiques et on en a vu également sur la scène fédérale. Mais jamais au Québec (1).
Les médias ont déjà commencé adopté un ton paternaliste et hautain à l’endroit de Pauline Marois. Yves Michaud, Marc Brière, Jean-Pierre Charbonneau et Nicole Léger*, pour ne nommer que ces personnalités, ont déclaré eux aussi qu’ils souhaitaient voir le chef du PQ se soumettre à une élection, ce qui nécessiterait un congrès à la direction du parti. On a discuté du sujet dans les médias, principalement dans "Le Devoir", tout en commentant abondamment l’intervention de Jacques Parizeau. Mais le ton a changé lorsque Pauline Marois est intervenue dans le débat, peut-être parce qu’elle sera sur les rangs d’une éventuelle course à la chefferie, ce qui n’est pas le cas des autres personnes qui se sont prononcées pour l’élection du président du PQ. Un journaliste de La Presse s’attarde aux yeux de la députée de Dorion croyant y déceler de la dureté dans l’un, un sourire dans l’autre. Nous n’avons pas fini de lire des bêtises sur les femmes en politique, leur présence semble tellement désarçonner certains journalistes qu’ils en perdent leur bon sens...
On parle de l’intervention de Pauline Marois comme d’un "affront" et d’une "rebuffade" (http://www.ledevoir.com/2004/08/28/62591.html) infligés à Bernard Landry. Mais François Legault peut faire les critiques qu’il veut, les médias n’ont rien à y redire. Même l’ineffable Duceppe se mêle de sermonner la députée de Dorion, comme si elle avait des comptes à lui rendre. Elle aurait fait une erreur en exprimant son opinion, voyez-vous ça ! Bien entendu, il aurait préféré le silence, surtout de la part de Pauline Marois, une adversaire potentielle. C’est un secret de polichinelle que Gilles Duceppe lorgne la direction du PQ, même s’il s’en défend. Il souhaite peut-être réitérer l’exploit de son ancien chef, Lucien Bouchard, parachuté sauveur de la cause souverainiste. En attendant son heure, il vaut mieux flatter dans le sens du poil ceux qui sont susceptibles de lui ouvrir la voie. Donc prendre "la défense" de Landry contre Marois.
Affront, vraiment, le fait d’exprimer tout haut ce que des milliers de personnes pensent tout bas (2) au lieu de magouiller par en dessous, à la manière Landry et Cie ? S’agissant d’affront, c’est plutôt Bernard Landry qui en a infligé un à Pauline Marois à l’occasion du tordage de bras, du magouillage et du marchandage ("je donne mon appui à un tel dans l’espoir ou avec la promesse d’être nommé-e ministre") qui ont suivi le départ de Bouchard et le "couronnement" de l’actuel chef péquiste. Pauline Marois a fait à ce dernier la grâce de se rallier, en dépit de la façon dont il l’avait traitée, mais loin de lui renvoyer l’ascenseur, Landry n’a pas caché depuis qu’il favorisait François Legault comme son successeur éventuel et a confié à ce dernier un rôle de premier plan qui lui assure prestige et visibilité. On n’a pas parlé de "rebuffade" infligée par Landry à Marois. On ne parle pas non plus de "rebuffade" de Legault qui vient de lancer sa pierre plus sournoisement pour bien marquer qu’il entend faire parti du jeu. L’ambition aidant, Bernard Landry a finalement décidé de rester en place, ce que désapprouve 49% de la population du Québec, selon un sondage CROP-Le Soleil. Mais l’opinion de la population, est-ce que ça compte ?
Il est ironique de voir les ténors de la politique invoquer le droit, la démocratie et les règlements dans leurs propres intérêts, eux qui ne s’en soucient pas toujours quand les intérêts de la population - toute la population, pas seulement la frange possédante qui dicte ses volontés au pouvoir - l’exigeraient. « Mais dans une société de droit et démocratique, je crois qu’il faut avoir la possibilité de choisir ses leaders. Et on en sort par la suite grandi », déclare Pauline Marois, alors que Bernard Landry se réfugie derrière les statuts et règlements du parti : « On vit dans une société de droit et un parti politique doit donner l’exemple du respect des lois ». Quand on a chassé René Lévesque de la présidence, était-ce en conformité avec les règlements du parti ou selon des règles non écrites ?
Constatons le ton condescendant à l’endroit de Pauline Marois : « Bernard Landry ne montrera pas la porte à Pauline Marois pour autant, précisant qu’elle est "une excellente militante, une personne de qualité et une députée remarquable". Pour lui, il est légitime qu’elle souhaite lui succéder, "à condition que cela soit fait selon nos règles". En dépit de l’affront de Mme Marois, Bernard Landry croit pouvoir "compter sur la loyauté de tout le monde"en annonçant qu’il reste en poste. » (Tommy Chouinard, "Le Devoir", 28 et 29 août). En voilà une bonne ! De quel droit Bernard Landry, présumément si respectueux de la démocratie et des règlements, montrerait-il la porte à Pauline Marois dont les états de services comme députée et comme ministre valent bien les siens ? A-t-il seulement été question de cela à l’égard de François Legault, de Jean-Pierre Charbonneau et de Nicole Léger ? Le PQ serait-il une secte incapable d’accepter que l’on pense par soi-même et tout haut ?
Quand Bernard Landry a fait sa cabale afin de succéder à Lucien Bouchard sans avoir à affronter de l’opposition, j’ai pensé que Pauline Marois s’était fait avoir comme une débutante. Elle avait choisi de faire preuve d’un civisme et d’une loyauté qui ne semblent pas avoir eu de contre-partie. La députée de Dorion semble avoir appris, depuis, que la politique, c’est comme la guerre, on ne la fait pas avec des prières. Elle s’est entourée de sympathisant-es et peut s’appuyer sur une équipe. Elle semble décidée à jouer le jeu avec les mêmes armes que les hommes de son parti. Qui pourrait le lui reprocher sinon ses adversaires qui ne souhaitent pas la voir à la direction du Parti québécois et qui prendront tous les moyens de lui barrer la route. Ils auront peut-être du fil à retordre. Comme Françoise David avant de se lancer dans un processus de l’union de la gauche, Pauline Marois a dû réfléchir beaucoup et évaluer ses forces avant de décider de jouer le tout pour le tout. C’est à suivre.
* Landry veut sévir contre qui croit démocratique d’élire un chef au lieu de le parachuter. Voyez : http://www.ledevoir.com/2004/09/11/63521.html. Legault et Charbonneau sont-ils les prochains ?
Notes
1. Cela me fait penser à des propos d’Agnès Varda lus dans le livre de Liliane Blanc (Elle sera poète, elle aussi ! Les femmes et la création artisitique, Le Jour, Éditeur, 1991, p. 185). Remplacez les mots cinéastes et artistes par député-es. « Quand 50 p. cent des cinéastes [députés] seront des femmes, il y aura la même proportion d’artistes [de députés] et de minables ». Cité dans « L’intelligence des femmes fait-elle peur ? », Marie-Claire, mai 1980.
2. Il en est quelques-uns assez honnêtes pour le reconnaître. Joseph Facal, "Oui, il faut une course", dans La Presse, 28 août 2004.
P.S. Les Carnets de Sisyphe 2002-2003
Source -
http://sisyphe.org/article.php3?id_article=1293
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