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Les chats de ma vie

26 juillet 2003

par Micheline Carrier

Vers 15 heures, hier, un chat gris pâle est arrivé sur mon balcon et s’est installé face à la porte entre les bacs de fleurs. Il me regardait en miaulant d’une toute petite voix, comme celle de Minou, le plus âgé de mes chats.



J’ai pensé qu’il avait faim ou soif. Il a mangé un peu, mais il n’a pas bu. Ensuite, il a repris sa position face à la porte, me suppliant de le laisser entrer et de m’occuper de lui. Il semble craindre la rue et il a les pattes avant dégriffées, ce qui le rend vulnérable. C’est ce qui me fait penser qu’il vivait à l’intérieur.

Il semble que son poil ait été rasé, mais il repousse. On peut constater qu’il s’agit d’un poil long. C’est un beau chat. Mais je ne suis pas une référence en la matière : parce que je les aime, à mes yeux, tous les chats sont beaux. Même les plus crasseux.

Ce matin, il est encore à ma porte. J’ai le cœur à l’envers à l’idée qu’il ait pu s’égarer et ne sache pas comment retourner chez lui. Je ne veux pas penser que son maître ait pu l’abandonner à l’occasion d’un déménagement.

J’ai préparé des bouts de papier que je suis allée afficher dans les buanderies du coin et sur des poteaux. Si sa ou son propriétaire le cherche, elle ou il saura à qui s’adresser. J’ai demandé à des enfants s’ils étaient à la recherche d’un chat. Non, ils n’avaient pas perdu leur chat. L’un d’eux a pris mon papier pour le donner à sa mère qui va nourrir le chat de sa voisine. Au cas où il se serait échappé, a-t-il dit.

Au début de l’après-midi, le chat s’est servi d’un bac de fleurs comme litière. Tous ses appels étaient peut-être une demande de litière. Il est allé sentir chez la voisine d’en bas, une autre maniaque des chats, puis il est remonté s’étendre à l’ombre de la poubelle. Quelques heures plus tard, il n’était plus là.

S’il revient et si personne ne le réclame, F. et S. le prendront peut-être. Ils veulent offrir un chat à leur petite fille de trois ans pour son anniversaire. Il me semble un chat doux et affectueux comme le sont la plupart des chats quand ils sentent qu’on les aime (je sais, je sais, j’ai des préjugés favorables...).

Il est maigre. J’espère que ce n’est pas un chat itinérant. Les chats, comme les êtres humains, qui n’ont que la rue pour tout partage me bouleversent profondément. Quand j’habitais un appartement au rez-chaussée, dans le Plateau Mont-Royal, il venait à la maison cinq ou six chats à la fois. Certains avaient une allure pitoyable, d’autres n’étaient que des chats du coin qui visitaient les miens ou se joignaient aux itinérants pour festoyer.

Minou

Je ne saurais dire combien il nous en a coûté en nourriture pour nourrir des chats pendant ces cinq années. J’étais incapable de les ignorer. Je leur donnais des surnoms : Ulysse, parce qu’il passait ses journées à se promener dans les ruelles et les rues avoisinantes ; Joufflu, parce qu’il avait les joues dodues ; Pattes blanches, parce qu’il était tigré gris foncé, avec les pattes blanches ; Minouche, pour rien, ou simplement parce qu’il était plus jeune, très poilu et peureux comme tout ; Tout-Noir I, parce qu’il était tout noir et Tout-Noir 2 pour la même raison.

Ces deux Tout-Noir avaient été lancés à la rue, avec leur frère de la même teinte, par une locataire qui déménageait près de chez moi. Elle était malade et ne pouvait plus les garder. C’est du moins ce que m’a raconté Monsieur P., qui habitait l’autre extrémité de la ruelle et qui accueillait lui aussi tous les chats qui avaient le courage de se présenter chez lui... (il avait également un gros chien). Il est préférable que je n’aie jamais rencontré cette dame, car je n’aurais pu m’abstenir de lui dire ma façon de penser. Même malade, elle aurait pu confier ses chats à la SPCA plutôt de les vouer à la misère.

Ces chats-là m’ont fait passer par toutes les émotions possibles. Un jour, l’un des Tout-Noir est arrivé à ma porte pour mourir. Il ne tenait plus sur ses jambes, je lui ai fait un lit dans une boîte, je lui ai donné à boire et à manger. Mais il était trop tard. Il m’a fallu un effort surhumain pour appeler le Berger blanc, un centre qui recueille les chats dans cet état et les euthanasie. Son sort était scellé. J’ai les yeux dans l’eau en pensant au moment où le type du Berger blanc est arrivé chez moi. Quand il a fallu faire la même chose pour Ulysse, presque mourant, mon Ulysse qui parcourait les rues en solitaire depuis déjà deux ans, s’arrêtant à ma porte pour manger, je n’ai pas pu faire face. J’ai préféré ne pas le voir partir.

DES DEUILS DIFFICILES

Riez si vous voulez, mais je trouve certains deuils de chats presque aussi difficiles à faire que le deuil de personnes. L’expérience qui avive ces deuils pour des chats qui ne sont pas les miens remonte à plusieurs années. J’habitais alors le quartier de Montréal-Nord. J’avais un chat d’environ trois ans - Toupie - qui avait malheureusement les pattes avant dégriffées. Une chose que je me suis juré de ne plus jamais faire à un chat, dût-il déchirer tous les rideaux et les divans. Mon amie D. me l’avait donné, alors qu’il était tout petit. J’habitais Québec et, bien entendu, j’ai amené le chat lors de mon déménagement à Montréal.

C’est Toupie.

Un été, je devais m’absenter pour une semaine. J’avais placé une petite annonce dans le journal de mon quartier pour faire garder mon chat. J’ai trouvé à deux rues de chez moi. La famille avait un enfant qui s’occuperait bien du chat, pensais-je. J’avais prévenu que mon chat n’avait pas l’habitude de la rue et qu’il ne fallait pas le laisser sortir parce qu’il était dégriffé. Il serait en danger s’il s’échappait, par exemple, par le balcon.

Eh bien, c’est précisément de cette façon que les gardiens de mon chat l’ont perdu : ils l’ont laissé sortir sur le balcon, il s’est échappé et, m’ont-ils dit, il est allé se réfugier sous une auto. Inutile de leur demander pourquoi ils ne sont pas allés le chercher sous cette auto. Ils avaient l’attitude de gens pour qui perdre le chat dont ils avaient la garde représentait un fait tout à fait anodin.

J’ai cherché mon chat pendant des nuits. Je me levais vers quatre heures - une heure qu’aiment bien les chats en général - et je parcourais systématiquement les rues des environs. J’ai cessé quand la police m’a suivie et que j’ai craint de paraître suspecte. J’ai mis une petite annonce dans le journal. En vain.

Je n’ai jamais revu ma Toupie. Dans les meilleures jours, j’espérais qu’elle avait été recueillie par quelqu’un qui aimait les chats. Dans les pires, je la voyais blessée par d’autres chats, d’autres animaux ou des humains, ou encore, heurtée par une voiture. C’était il y a quelque 14 ans. Toupie serait peut-être morte à l’heure qu’il est, s’il est vrai qu’un chat vit normalement de 14 à 17 ans.

Pesto

En fouillant dans mes vieilles photos, j’ai trouvé récemment des clichés que j’avais pris d’elle. (En fait, je devrais dire de lui, car c’était un mâle. Je l’avais appelé Toupie car je croyais, quand il était tout petit, que c’était une femelle). En voyant ces photos, j’ai eu un petit coup au cœur. Elle était le premier chat de mon âge adulte. Huit ans se sont écoulées avant que j’en adopte un autre. Un pauvre misérable, couleur caramel, qui est apparu dans la ruelle Christophe-Colomb/St-Joseph à Montréal, un jour de la fin de juillet, en compagnie de la chatte qui régnait à l’étage du dessus.

Il a fallu beaucoup de patience et de temps pour apprivoiser Minou, c’est le nom que je lui ai donné parce qu’il était arrivé avec cette chatte qui s’appelait Minoune et qui était d’une couleur identique. Le nom du chat était ma dernière préoccupation à l’époque. Je ne savais même pas si je pourrais l’apprivoiser et s’il resterait chez moi.

Quand je l’ai mieux connu, je n’ai jamais compris qu’on puisse avoir maltraité ce chat si doux et si tolérant. Minou est le chat le plus agréable et le plus attachant qu’on puisse avoir. Loin de se battre avec les autres, il partageait son territoire avec tous lorsque nous étions sur le Plateau Mont-Royal. Je trouvais parfois quatre ou cinq chats assis ensemble, à peu près à égale distance, devant la maison, et Minou, le maître des lieux, parmi eux. Il a comme les autres chats l’instinct de propriété et le sens du territoire, mais il accepte les autres à la condition qu’ils le respectent. Dans le cas contraire, il en impose, non en griffant ou en mordant, mais par sa grosseur et son attitude. Si cela ne marche pas, il se retire.

C’est parce que Minou a bon caractère et est tolérant que j’ai pu adopter plus tard un autre chat, Pesto, à l’époque une véritable petite peste. D’où le nom que lui avaient donné ses propriétaires. Oh ! pardon ! Ses co-locataires. Ils m’ont déjà avertie que les chats n’ont pas de propriétaires !

C’est une autre histoire de chat que je raconterai un de ces jours.

Mis en ligne le 30 juillet 2002


Les compagnons félins de Liliane

Votre Minou est un gros rouquin comme je les aime. Il y en avait un comme lui qui rôdait autour de chez nous, il y a quelques années. Il n’appartenait visiblement à personne. Puis est venu s’installer un nouveau locataire chez un de nos voisins sur le rang. Ils se sont pris d’affection l’un pour l’autre et le vagabond, depuis ce temps-là reste collé à sa maison. Il en avait marre de sa vie de Survenant.

Figaro nous a quittés en 1992 après 19 ans de vie commune. Il est mort de vieillesse dans mes bras. Il est enterré sur notre terrain et il a donné toute son énergie au sapin vigoureux que nous avons planté sur sa tombe. C’était un doux, un petit ange à poils. Il a vécu 16 ans avec sa petite compagne Mounou, toute noire avec des chaussons blancs.

Figaro
Titus

Titus a disparu en juillet 1993. Il avait 9 ans. Tout comme votre Toupie, nous l’avons longtemps recherché dans les chemins et les boisés avoisinants. Sa mort a dû être cruelle, mais j’espère qu’elle a été soudaine. C’était un dur au cœur tendre. Il agaçait beaucoup Figaro qui n’avait plus le goût de jouer, les dernières années. Notre vieux pépère venait se plaindre à nous pour qu’on l’aide à se débarrasser du jeune fatiguant. Mounou, elle, lui avait interdit de l’approcher et il la craignait assez pour la respecter. Quelques temps avant sa disparition, j’ai eu des problèmes avec mes bronches. Titus a passé presque un mois allongé sur ma poitrine, sa tête collée contre ma joue. J’ai toujours pensé qu’il m’avait aidé à guérir.

Rosine

Rosine est morte à l’automne 2000. Elle avait 8 ans. Je l’avais ramassée en bordure d’un chemin alors que presqu’encore un bébé, elle venait d’échapper de justesse aux roues d’un camion. Titus l’avait prise en charge, mais il lui avait fait comprendre qu’il était le chef. Ils n’ont cohabité qu’un an. C’est elle qui est tombée très malade et nous a quitté alors que je donnais des ateliers à Québec et Montréal. Ce fut très difficile. Dans notre jardin, nous avons planté un rosier "Rosine" en son honneur.

Fanny

Fanny est notre petite compagne actuelle. Je l’ai remarquée sur notre tas de compost, un jour assez froid de novembre, il a 4 ans. Elle était complètement décharnée et cherchait désespérement de la nourriture. Aujourd’hui c’est une grosse toutoune, très joueuse, qui nous joue des tours en se cachant derrière les portes pour nous surprendre. J’espère que nous l’aurons longtemps.

Avant eux, il y en a eu d’autres : Mickou, le chat de mon adolescence ; Mélany (finalement c’était un mâle !), Rodolphe et Bouboule (boule blanche !), les minous de nos débuts de vie commune. Chacun avec sa personnalité, sa dignité et son charme.

Liliane Blanc

Micheline Carrier


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