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Simonne Monet-Chartrand, une alternative politique à elle seule

9 novembre 2004

par Élaine Audet

S’il y a au monde une femme qui a su mettre en pratique la notion de famille élargie, c’est bien Simonne Monet-Chartrand (1919-1993). Elle donnait à chacune de ses amies l’impression d’être adoptée et d’être aimée autant que ses propres filles. Plus que nulle autre, elle a su prodiguer autour d’elle tendresse, confiance et encouragements.



On a rarement vu une telle variété de personnes assister à des funérailles, chacune d’elles touchée par le vide soudain creusé par cette mort singulière dans leur existence. Les centaines de personnes présentes le 21 janvier 1993 ont été ses proches dans l’un ou l’autre de ses combats. La vie et l’œuvre de Simonne Monet-Chartrand forment, selon sa grande amie Hélène Pelletier-Baillargeon, une « admirable courtepointe du Québec (1) ». Elle a défendu la cause des femmes, une spiritualité laïque, l’action sociale, l’indépendantisme, le syndicalisme, le pacifisme, les droits et libertés.

Tous les témoignages parlent de la capacité exceptionnelle de cette mère de sept enfants de concilier ses tâches familiales et son engagement social. Elle voulait bâtir sa propre vie et lui donner un sens par l’amour, l’amitié, l’action communautaire et l’écriture, en accordant la priorité à la personne plutôt qu’aux idées et aux théories. C’est autour de ces trois axes qu’elle s’est construit une vie non conventionnelle, hors des sentiers battus, pour inventer à chaque pas sa propre route en se créant d’abord un réseau de femmes, aussi déterminées qu’elle, d’un bout à l’autre du Québec.

L’amitié au centre de sa vie

Ces amies de Simonne Monet Chartrand ont en commun la maîtrise dans leurs domaines respectifs, qu’elles soient reconnues ou qu’elles œuvrent dans l’ombre. L’ampleur de ce réseau reflète l’image de Simonne et de la multiplicité de ses engagements. On y retrouve notamment ses premières amies dans les Jeunesses étudiantes catholiques, des documentalistes, des recherchistes, des théologiennes, des journalistes, des syndicalistes, des féministes, des pacifistes, des auteures dramatiques, des éditrices, des artistes, des indépendantistes et, bien sûr, ses propres filles.

Dans un des plus beaux témoignages rendus à cette femme de cœur, Nicole Boudreau écrit que « tel le Petit Prince, elle se sentait simplement responsable de ce qu’elle avait apprivoisé » : « Simonne avait accouché d’une nouvelle façon de faire, d’une nouvelle manière de s’engager et, toutes, nous nous reconnaissions des affinités avec ce style unique (2). » Et elle attribue cette approche inédite au gros bon sens hérité de notre peuple, à la sensibilité profonde de Simonne, à sa disponibilité face aux autres, à la force de séduction de son regard pétillant d’intelligence, à sa verve, à son humour, à sa mémoire vive, à sa bonté, à sa dignité et à l’impression qu’elle dégageait à juste titre de se tenir debout :

    Simonne faisait tout passionnément. Elle aimait un homme passionnément, elle aimait les Québécois passionnément, elle aimait les femmes passionnément, elle aimait l’écriture passionnément, elle aimait discuter, convaincre, persuader passionnément. Elle aimait la vie... passionnément (3).

Pour Mia Riddez, Simonne est Madame Colibri : « Tu as toujours fait partie de la cohorte des chants et des oiseaux de ma vie. Même quand, toi-même, tu étais blessée, tu continuais à battre des ailes si vite, si vite au-dessus de nos destins, qu’on ne les voyait plus. Alors gavée de nectar, tu restituais à chacun la goutte nécessaire (4). » Selon son amie Louise Latraverse, c’est la cause des femmes qui tenait le plus à cœur à Simonne et elle continue à la sentir présente avec « toujours cette impression d’être à la bonne place. Généreuse. [Et] cette très grande qualité de vous faire sentir unique et indispensable (5) ».

La lutte contre l’oubli

L’oubli marque la présence tangible de la mort au cœur même de la vie. Quel que soit notre âge, nous en constatons le travail de sape. Il s’attaque aux racines même dont nous pourrions tirer sagesse, nous forçant, génération après génération, à recommencer à zéro. Les hommes au pouvoir ont, depuis toujours, privilégié cette arme sournoise pour faire disparaître, sombrer dans l’insignifiance, la façon particulière dont les femmes participent à l’histoire humaine, ne séparant jamais le domaine intime du social et du transcendant.

La lutte contre le mal dégénératif de l’oubli est une des multiples tâches que s’assigne Simonne Monet-Chartrand au cours d’une vie où il y a eu peu de place pour les temps morts, au sens fort du terme ! Son autobiographie en quatre tomes, Ma vie comme rivière, et les deux volumes de Pionnières québécoises et regroupements de femmes (6) font partie de cette transcription et transmission de mémoire pour les générations futures.

Il ne faut pas chercher dans ces ouvrages un travail d’analyste, de critique ou d’historienne du mouvement des femmes, Simonne Monet-Chartrand s’attache plutôt à créer sa propre documentation en collectionnant et annotant quotidiennement des coupures de journaux et des citations tirées d’ouvrages consacrés à l’évolution des femmes. De cet énorme et patient travail d’archiviste sortent des livres donnant une vision d’ensemble de ces Québécoises, résolues à « changer le monde » en tentant de mettre fin aux stéréotypes de féminité-virilité et à la violence qu’ils ne cessent d’engendrer telles de véritables métastases sociales.

Sauvegarder l’histoire des femmes

Simonne Monet-Chartrand laisse aux Québécoises une œuvre personnelle et collective à la fois, balisant, à partir de sa propre expérience, tout le chemin parcouru et à parcourir par l’ensemble des femmes pour pénétrer des bastions de la masculinité jugés imprenables. Pour elle, il faut continuer la lutte, car les règles du jeu continuent à être faites par des hommes, pour des hommes. L’organisation du travail ne prend toujours pas en compte le partage des responsabilités familiales, et les femmes accédant à des postes de direction restent encore des exceptions.

Son autobiographie s’écrit patiemment, au fil des jours, semblable à cet art de la courtepointe propre aux femmes, collant ensemble des extraits de son journal intime, de sa correspondance, des anecdotes, des textes de conférences et d’entrevues, des coupures de journaux, en cherchant consciemment à faire que le privé devienne politique. En relisant les lettres échangées avec sa fille Marie-Andrée, elle éprouve la conviction que la forme épistolaire intimiste demeure pour elle un moyen privilégié de créer des relations d’échange, de solidarité, d’entente cordiale entre les êtres (7). Elle veut avant tout être la voix de toutes les femmes qui n’en ont pas, communiquer avec les gens ordinaires, avec la lectrice singulière de son livre, déjà présente dans la conception même de ce projet d’écriture, si totalement voué à l’expérience vécue et à la volonté d’établir des liens de plus en plus authentiques entre les êtres.

On pourrait dire que Simonne Monet-Chartrand, parce que jamais elle ne sépare le privé du politique, a réussi à elle seule à jeter les bases d’une alternative politique pour le Québec, tant par la qualité de ses relations personnelles que par sa contribution particulière dans les domaines de l’éducation, de la politique familiale, de la question nationale, de la justice sociale, de la cause des femmes, de la paix et du désarmement, des droits et libertés. Sa vie illustre éloquemment à quel point les liens d’amitié entre femmes peuvent devenir un puissant levier de transformation du monde. Pour celles qui l’ont connue, elle est toujours là, elle qui a choisi ce qui jamais ne meurt. La fécondité infinie de l’amour.

Notes

1. Collectif sous la direction d’Hélène Pelletier-Baillargeon, Claudette Boivin, Hélène Chénier, Gisèle Turcot, Simone Monet-Chartrand, un héritage et des projets, Montréal, Fidès, 1993, p.12.
2. Ibid., p. 136.
3. Ibid., p. 137.
4. Ibid., p. 269.
5. Ibid., p. 319et 320.
6. Simonne Monet-Chartrand, Pionnières Québécoises et Regroupements de Femmes, Montréal, Remue-ménage, 1994.
7. Simonne Monet-Chartrand, Ma vie comme rivière, tome 3, Montréal, Remue-ménage, 1988, p. 13.

Extrait de Élaine Audet, Le coeur pensant/courtepointe de l’amitié entre femmes, Québec, Le Loup de Gouttière, 2000, disponible aux éditions sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 18 octobre 2004.

Élaine Audet


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