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La prostitution, c’est du sport !

octobre 2004

par Micheline Carrier

Les Carnets de Sisyphe, no 5,
le 21 octobre 2004
La prostitution, c’est du sport !




Vendredi, le 22 octobre, sur Télé-Québec, à 20h, l’émission de Marie-France Bazzo pose la question : "Faut-il décriminaliser la prostitution ?"

Avec Claire Thiboutot, directrice de Stella (défense des droits des prostituées et de la prostitution comme "métier" légitime), Roxane Nadeau, militante et auteure du livre "Pute de rue", Richard Poulin, sociologue et auteur de "La mondialisation des industries du sexe" et Yolande Geadah, chercheuse et auteure de "La prostitution, un métier comme un autre ?"

Selon l’opinion de personnes qui ont assisté à l’enregistrement en studio, mercredi, c’est également une illustration de "l’art de paqueter une salle" de connivence avec le "gars des vues" (c’est-à-dire les responsables de l’émission qui ont attribué les laisser-passer). On pourra se faire une opinion vendredi et on en reparlera peut-être la semaine prochaine.

En attendant, savez-vous qu’un projet de loi se prépare à Ottawa, sans aucune étude d’envergure ni consultation publique sur le sujet ? Depuis la commission et le rapport Fraser sur la prostitution et la pornographie en 1985, beaucoup de choses ont pourtant changé dans nos sociétés, ne serait-ce que l’accélération de la mondialisation qui lie intimement prostitution locale et trafic sexuel international des femmes et des enfants à des fins de prostitution. De cela aussi, on reparlera éventuellement, car ce qu’on a appris de ce projet de loi et des travaux d’un sous-comité sur la réforme des lois sur le racolage (c’est ainsi que s’appelle le sous-comité), c’est que le parlement n’entend qu’un seul point de vue et les seules recherches qu’il a subventionnées jusqu’ici justifient toutes la décriminalisation de la prostitution sans même en évaluer les enjeux.

Des travaux du sous-comité disponibles en ligne démontrent que certaines personnes consultées mentent effrontément ou ignorent tout simplement les faits. Par exemple, lorsqu’elles prétendent que les prostituées sont presque toutes majeures au moment de leur entrée dans la prostitution (alors que les recherches sérieuses indiquent que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution au Canada est de 14,3 ans, 13 ans sur le plan international) et que la prostitution n’est pas liée au crime organisée au Canada (alors que, selon les mêmes études, le crime organisé est le principal moteur des industries du sexe). On peut lire les délibérations publiques (il y en a apparemment qui ne sont publiées) de deux séances du sous-comité Fry, du nom de la députée libérale qui le préside (la première ici et la deuxième).

Si on s’intéresse au sujet - mais je vous avertis que ce n’est pas de la philosophie de salon - on pourrait lire également l’article du quotidien "Le Monde", édition du 19 octobre 2004, qui traite d’une étude récente sur les prostitueurs ou clients de prostituées. On peut lire ce qui suit : "Le chercheur relève en effet, en écho, que la deuxième cause mise en avant par les clients est la méfiance et la peur que leur inspirent les femmes. Dans cette catégorie se trouve une majorité d’hommes ayant vécu une vie de couple ou une relation amoureuse où la femme était, selon eux, favorisée. Ils décrivent les femmes comme "méchantes", "égoïstes" ou "compliquées". Ces clients ont tendance à considérer la relation comme inégalitaire à leurs dépens. Ils peuvent même exprimer une colère ou une haine à l’encontre des femmes, vues comme provocatrices. Ils reprochent à la société de les avoir fait sortir de leurs rôles traditionnels. Ils recherchent dans la prostitution une "relation de pure domination où l’homme serait de nouveau le maître" et la femme une "chose".
(Lire l’article du Monde)

Cette recherche a été réalisée pour le Mouvement du nid, un organisme qui aide depuis plusieurs années les prostituées, tout en militant pour une société sans prostitution. On y trouve même des pistes d’actions pour prévenir le recours à la prostitution : "L’étude a repéré trois situations essentielles d’incitation à passer à l’acte : l’armée (service militaire autrefois, armée de métier aujourd’hui), les soirées entre amis et les milieux professionnels voyageant beaucoup (routiers, commerciaux et cadres). M. Bouamama propose en conséquence des actions de prévention particulières en direction de ces professions. Plus généralement, il préconise des campagnes "régulières" de prévention et la formation des enseignants, des travailleurs sociaux ou des militants associatifs.

Le deuxième axe essentiel est l’éducation. Des jeunes, d’abord, avec, "de la maternelle à la terminale", des programmes ne se limitant pas à l’éducation sexuelle mais traitant aussi de la place des hommes et des femmes dans la société. Pour les adultes, il faut "rompre le silence public" sur la démarche des clients. M. Bouamama invite les pouvoirs publics à mettre en place un groupe de travail chargé de produire des contenus et des méthodes destinés à changer les représentations des relations entre les sexes".

Eh bien ! on est loin du discours linéfiant sur la beauté des "métiers du sexe" et la nécessité d’améliorer les conditions d’exercice de la prostitution pour aider les prostituées à s’en accommoder, non à s’en sortir. Ce rapport sera publié dans quelque temps et on en rendra compte éventuellement sur ce site.

En attendant, pour vous préparer à l’émission de vendredi, peut-être pourriez-vous relire les questions que pose Johanne St-Amour dans son texte : "La prostitution, un choix de carrière pour nos enfants ?" Des questions pertinentes qu’il faudra bien, tôt ou tard, que l’ensemble de la société se pose. Mieux vaudrait plus tôt que trop tard.

Micheline Carrier, le 21 octobre 2004

Micheline Carrier

P.S.

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