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Aux pays des tsunamis, le trafic sexuel sévit
Il faut repenser la reconstruction dans tous ses aspects11 janvier 2005
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Dans la foulée du raz de marée qui a frappé de plein fouet plusieurs pays d’Asie le 26 décembre dernier, la communauté internationale s’est mobilisée pour venir en aide aux sinistrés. Les États et les organisations humanitaires qui ont volé au secours des survivants sont dépassés par l’ampleur du désastre. Jamais catastrophe naturelle n’aura causé autant de ravage dans autant de pays, ni suscité un tel élan de générosité à l’échelle mondiale.
Les médias nous ont abondamment transmis des images insoutenables d’enfants et de survivants hébétés, déambulant au milieu des cadavres à la recherche de leurs proches, ce qui a suscité l’émotion et la générosité du public. Il est urgent à présent de dépasser ce voyeurisme de la misère humaine pour faire une analyse globale de la situation et souligner certains faits qui doivent être pris en compte pour éviter les effets pervers de l’afflux désordonné de l’aide humanitaire.
L’autre fléau
Rappelons que les populations des pays durement touchés aujourd’hui par les tsunamis souffrent depuis longtemps d’un autre fléau, le trafic sexuel, lié au tourisme sexuel. Dans des pays comme la Thaïlande, le Sri Lanka, l’Indonésie, la Malaisie et l’Inde, l’industrie du sexe attire chaque année des millions de visiteurs étrangers vers cette région devenue un paradis pour les pédophiles du monde entier. Les bordels et les boîtes de nuit pullulent dans la région. Ils offrent au menu des femmes et des enfants de tous âges, souvent arrachés à leurs parents ou vendus par un proche, pour satisfaire tous les fantasmes des hommes venus des quatre coins du monde profiter du laxisme ambiant.
La moyenne d’âge d’entrée dans la prostitution y est de 14 ans. Mais on peut facilement y trouver des enfants de cinq et six ans. Tout se monnaye, sans limites.
Les conséquences désastreuses de cette prolifération de l’industrie du sexe sont multiples. Plusieurs villages pauvres d’Asie sont devenus des bordels à ciel ouvert, et une source constante d’approvisionnement en chair fraîche pour l’industrie du sexe. Des millions de femmes et d’enfants sont ainsi destinés à servir de fast food du sexe pour des touristes en mal d’exotisme. Cette situation est à l’origine d’une déstructuration profonde du tissu social. Elle contribue entre autres à étouffer toute solution économique dans la région.
On voit donc qu’avant même l’arrivée du raz de marée qui a tout balayé sur son passage, la misère humaine se trouvait concentrée là, toute crue. C’est dans ce contexte que les secours d’urgence et les dons affluent des quatre coins du monde pour aider à la reconstruction des zones dévastées. Mais il est impératif de réfléchir sérieusement au modèle de société qu’il faut reconstruire et de s’interroger sur la finalité de l’aide. Pour qui et au profit de qui se fera-t-elle ?
Des ONG comme garde-fou
Il y a fort à parier que les vautours de l’industrie du sexe tenteront de s’approprier une bonne partie de l’aide internationale pour rebâtir leur empire détruit par les flots. Déjà les trafiquants de femmes et d’enfants s’activent dans les zones touchées pour prendre sous leur aile les enfants orphelins des tsunamis. Par conséquent, la plus grande vigilance s’impose si on veut aider les populations sinistrées, particulièrement les femmes et les enfants qui sont parmi les plus vulnérables et les plus durement touchés par la catastrophe.
Pour cela, les États, l’ONU et les organismes d’aide humanitaire doivent choisir avec le plus grand discernement leurs représentants envoyés sur le terrain, ainsi que les groupes et les organismes locaux, bénéficiaires de l’aide internationale. On sait que dans le passé récent, des scandales vite étouffés en lien avec le trafic et l’exploitation sexuels ont éclaboussé certains représentants de l’ONU et des membres des forces militaires à l’étranger. Pour prévenir de telles situations et éviter de livrer à nouveau les victimes en pâture à l’industrie du sexe, il est impératif d’associer aux efforts de l’aide humanitaire les organisations non gouvernementales (ONG) locales ou régionales qui travaillent depuis longtemps contre le trafic et l’exploitation sexuels des femmes et des enfants en Asie. Ces ONG pourraient agir comme garde-fou et proposer des mesures visant à assurer une vigilance particulière pour éviter les abus de cet ordre.
Par ailleurs, plusieurs acteurs de l’aide internationale ont souligné aussi comme il se doit la nécessité de mettre en place un plan d’aide économique à long terme pour les régions dévastées par les tsunamis. Là encore il est primordial d’associer étroitement, à toutes les étapes du processus, des groupes de femmes et des ONG locales, au lieu de confier la planification de l’aide économique aux seuls experts de la Banque mondiale ou d’autres agences internationales.
Pour s’assurer qu’un tel plan tienne compte de la vulnérabilité accrue des femmes et des enfants de la région, il faut se fixer dès le départ comme objectif la nécessité de lutter contre l’exploitation et l’esclavage sexuels, en proposant des solutions économiques viables. C’est à cette condition seulement qu’on pourra aider réellement les sinistrés à se prendre en main et à reconstruire leur vie, dans la dignité et le respect de leurs droits sociaux et économiques.
Le défi est de taille. Mais il faut saisir l’occasion unique de ce vaste effort mondial de reconstruction après les tsunamis pour jeter les bases d’un développement humain et économique durable et bénéfique pour les populations durement éprouvées.
Plus globalement, une prise de conscience s’impose, ainsi que des changements politiques et législatifs, aux niveaux national et international, visant à freiner l’expansion massive de l’industrie du sexe qui se nourrit de la misère humaine aux quatre coins du monde. Force est de constater que la libéralisation de la prostitution dans les pays riches favorise l’essor mondial de cette industrie vorace et ouvre la porte au trafic et au tourisme sexuels accrus dans les pays pauvres, ce qui donne lieu aux pires abus et aux violations des droits des personnes les plus vulnérables.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 janvier 2005.
P.S.
Publié également dans Le Devoir, le 11 janvier 2005.
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