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Analyse du rapport Rondeau
Comment fabriquer un problème

27 janvier 2005

par une Coalition de groupes de femmes

Sont signataires de ce document :

Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine
Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes - Université Laval
Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail
Fédération de ressources d’hébergement pour femmes violentées et en difficulté au Québec
Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées au Québec
Fédération des femmes du Québec
Institut de recherches et d’études féministes (Université du Québec à Montréal)
Le Regroupement de femmes de l’Abitibi-Témiscaminque
L’R des Centres de femmes du Québec
Relais-Femmes
Regroupement provincial des maisons d’hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale
Réseau québécois d’action pour la santé des femmes
Regroupement Naissance-ReNaissance
Regroupement des groupes de femmes de la région 03 (Portneuf-Québec-Charlevoix)
Regroupement québécois des CALACS (centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel)
Table des groupes des groupes de femmes de la Gaspésie et des Iles
Table des groupes de femmes du Bas Saint-Laurent



Voici des extraits du document qu’on pourra trouver en PDF plus bas. Les sous-titres sont de Sisyphe.

Introduction

L’analyse du Rapport du comité de travail en matière de prévention et d’aide aux hommes, Les hommes, s’ouvrir à leurs réalités et répondre à leurs besoins, est devenue nécessaire pour les groupes de femmes dans le contexte où le gouvernement pourrait orienter des décisions à partir dudit rapport, notamment en matière de santé et services sociaux, d’autant plus qu’il s’apprête à modifier sa perspective d’égalité pour inclure des hommes comme décideurs et des revendications masculinistes dans sa future politique. L’Avis déposé par le Conseil du statut de la femme (CSF), Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes, réfère explicitement au rapport de ce comité de travail (note 46, p.41).

Mais, que contient au juste ce rapport et quelle est sa valeur heuristique ? L’analyse présente des faiblesses méthodologiques importantes. Sur le fond, le manque de rigueur observé dans la démarche a des répercussions sur le contenu et sur les recommandations. En fait, c’est avec étonnement que nous assistons à la fabrication de toutes pièces d’une problématique de « condition masculine » qui cache mal une dynamique antiféministe. À l’examen, il apparaît que : la problématique n’est pas ancrée dans un cadre conceptuel ; la collecte des données laisse à désirer ; les interprétations sont fortement suggérées aux intervenants approchés, sans compter que les conclusions semblent tirées à l’avance. Ces lacunes soulèvent de sérieux doutes sur la crédibilité du rapport et créent un malaise en constatant qu’il est apparemment endossé par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et accrédité trop vite par le CSF [...]

Évaluation critique

Le rapport ne contient pas de compte rendu synthétique issu de la recension des écrits pour justifier comment, et à partir de quels critères, se sont faits les choix des « dimensions de la situation des hommes » sur lesquelles le comité a décidé de travailler. Autrement dit, il y a une absence de problématique.

La collecte de données repose sur deux sondages réalisés auprès de répondants des réseaux public et communautaire de santé et des services sociaux et auprès des organismes et établissements du réseau de la santé et des services sociaux, en se limitant à ceux qui réalisent des programmes ou des activités auprès des hommes, dans la perspective très particulière de la « condition masculine ». Les résultats du premier sondage sont condensés dans une maigre synthèse de six pages (pour 298 répondants) ; quant au deuxième sondage, il ne donne lieu à aucun compte rendu particulier. Par contre, les opinions de ces répondants qui réalisent des programmes ou des activités auprès des hommes, de même que les membres du comité eux-mêmes, imprègnent nettement l’ensemble du rapport. Nous verrons pourquoi plus loin.

Par ailleurs, il est assez inhabituel que les deux sources d’information les plus sérieuses du document (le portrait des hommes québécois et l’inventaire des ressources) ne trouvent place qu’en annexes, à titre de documents indépendants. Le rapport aurait dû les intégrer pour nuancer certaines assertions, les mettre en contexte et se donner un cadre de réflexion plus rigoureux. La relégation de ces deux études aux annexes explique le fait étrange que le rapport se cite lui-même (cite ses propres annexes) au moins dix-neuf fois.

Des conclusions inspirées d’un colloque

Quant au colloque d’octobre 2002, Entre les services et les hommes : un pont à bâtir, que penser du fait qu’il survient trois mois après la formation officielle du comité ? À ce titre, il ne peut logiquement pas résulter des travaux de « recherche » du comité. Celui-ci entame à peine son travail et les collectes de données (sondages) ne sont pas terminées.

Comme le colloque est souvent donné en référence dans le rapport, nous avons effectué une lecture complète des Actes publiés (1). Il existe une similitude frappante entre les propos et les idées générales avancées par certains conférenciers du colloque et le contenu du rapport. En maints endroits, ce sont les mêmes mots, les mêmes textes. En fait, une large partie du rapport est rédigé à partir du contenu même des présentations du colloque. C’est tout de même étonnant ! Les conclusions du comité sont directement puisées dans ce colloque, avant même toute démarche de recherche empirique ! En clair, l’interprétation a non seulement précédé mais tenu lieu de collecte des données elles-mêmes.

Détournement de sens des sources citées

De plus, les auteurs du rapport prennent de préoccupantes libertés avec le texte des conférences. Par exemple, il arrive qu’un conférencier présente son contenu sous forme de questions mais que dans le rapport, elles soient devenues des affirmations (2). Dans un autre cas, les conférenciers présentent leurs constats pour certains groupes d’hommes qui vivent des problématiques spécifiques mais, dans le rapport, ces constats sont étendus à tous les hommes, de là une généralisation abusive.

Les communications présentées lors de ce colloque varient beaucoup quant à leur ancrage théorique et à leur valeur épistémologique. Elles font parfois état de simples questionnements personnels alors que d’autres sont des prises de position politiques ; certaines reposent sur de bonnes problématiques de recherche et d’autres ne sont que des interprétations hasardeuses de situations.

Auto-consultation

Par ailleurs, parmi les vingt-trois personnes rencontrées (provenant de seize organisations et institutions) par le comité à titre d’experts et de professionnels « investis dans différents aspects de la question masculine » (annexe sept), six sont eux-mêmes des membres du comité [!] et trois sont des participants du colloque Entre les services et les hommes : un pont à bâtir. En clair, on se consulte soi-même.

Les réponses aux sondages constituent donc l’élément majeur de la démarche du comité pour recueillir des données. Comment a-t-on procédé ? Un document de cinq pages, divisé en deux parties (partie à conserver et partie à retourner), a été envoyé dans le réseau psychosocial. La partie à retourner comprenait six questions. Celle à conserver par les répondants présentait le comité et la démarche entreprise. On y décrivait l’objectif du comité comme étant de « tester [...] la validité d’une première typologie des dimensions les plus significatives de la situation des hommes - la santé mentale et physique, l’éducation, la sexualité, la paternité, la vie professionnelle, les questions légales et juridiques, les styles de vie et l’inadéquation relative des services offerts aux hommes - ainsi qu’un premier portrait de celle-ci ». Finalement, cette partie du document faisait aussi la promotion de « la nécessité de développer une perspective différente à l’égard de la réalité masculine » (p. 8 de l’annexe six)(3).

Des questionnaires de sondages orientés

Il faut soulever ici une critique méthodologique très sérieuse quant à ce sondage. Les pages de présentation (partie à conserver) orientent explicitement les réponses des répondants. Il s’agit d’un biais majeur qui aurait dû alerter le ministère de la Santé et des Services sociaux.[...]

Dans le cas qui nous occupe, le comité propose a priori une vision et une grille d’interprétation préconçues aux répondants approchés. Il s’agit là d’un biais extrêmement grave qui, à notre avis, invalide la démarche du comité et discrédite le rapport. Aucun comité d’éthique de la recherche n’aurait accepté qu’une lettre de présentation n’oriente de cette manière les réponses sollicitées. [...]

Le chercheur Jean-Claude St-Amant a également publié sur le site antipatriarcat.org, une critique méthodologique de la bibliographie du rapport qu’il considère être d’une « faiblesse inouïe ». La bibliographie renseigne en effet sur la nature de la démarche scientifique par la qualité des sources consultées. Selon St-Amant, elle ne rencontre pas les normes minimales. (Voir l’article en annexe dans le document PDF). Il n’y a presque pas de sources se référant aux rapports entre les hommes et les femmes, même si le document en traite abondamment. Une seule source (sur 28) provient d’une revue scientifique avec comité de lecture. Le rapport présente, écrit-il, « un caractère impressionniste plutôt que scientifique ».

Au bout du compte, si le contenu du rapport n’est pas élaboré à l’aide d’un cadre théorique explicite, s’il ne repose pas sur des sources scientifiques et si son mode de collecte de données est biaisé, quelle crédibilité peut-on lui accorder ?[...]

Fabrication de « l’homme victime »...

On note dès le départ une approche et un choix de mots qui vise à construire l’idée d’injustice à l’égard « des » hommes. Il s’agit, semble-t-il, pour ces auteurs d’affirmer que leur description de la situation est la réalité des hommes. Leurs affirmations deviennent des faits. Le titre même du rapport relève de ce procédé. Les auteurs transforment des discours en « réalités » et des revendications en « besoins ». À force de répéter de fausses évidences émerge une problématique de « condition masculine ». C’est la prophétie créatrice. [...]

Tout au long du document, il est ainsi question des « réalités des hommes » que la société refuserait de voir et de reconnaître (on verra plus loin que la critique pointe le féminisme) et auxquelles les services de santé et les services sociaux, entre autres, devraient répondre. On fabrique par la rhétorique une image « d’hommes victimes ». [...]

... de la société et des femmes

le rapport réussit le tour de force de faire des hommes les victimes de la société sur le plan de la santé. Comment y parvient-il ? Malgré la citation précédente, essentiellement par un processus (explicite ou non) de comparaison avec les femmes dont la santé serait en meilleur état. Par exemple, le constat à l’effet que « les hommes décèdent plus hâtivement que les femmes » sert à justifier un énoncé concluant à « leur vulnérabilité [...] beaucoup plus élevée que celle des femmes. » Autrement dit, c’est le mode polémique qui prime dès le point de départ puisque les différences entre hommes sont souvent plus importantes que les différences entre hommes et femmes. Comparer les sexes permet d’introduire une notion de symétrie, comme si les situations et les conditions de vie des hommes et des femmes étaient équivalentes. Une fois le principe d’une « condition masculine » dolente mis en place, et naturalisé à titre de « réalité », l’énumération d’une longue liste de situations vise à solidifier l’argumentaire. On étend les problèmes à tout le groupe de sexe ; de là découle une généralisation abusive qui occulte le fait que la plupart ne sont aucunement spécifiques aux hommes (par exemple, hypertension, obésité, cholestérol, diabète, alcoolisme, toxicomanie, dépression, etc.). Surtout, ils oublient de dire que ces problèmes ne résultent pas d’une discrimination sur la base du sexe, à l’instar de la condition féminine. Par ailleurs, dans un cas spécifique comme celui du cancer de la prostate, l’on ne peut tout de même pas justifier une telle lecture dualiste.

Mise en accusation des femmes

La mise en accusation des femmes se construit par imputations successives. Le domaine de prédilection du lobby des pères et des hommes séparés et divorcés est celui des lois qui encadrent la rupture d’union. Dans les sections qui portent sur ce thème, il est ainsi question des trois lois qui ont facilité « le paiement des pensions alimentaires, [modifié] le code civil du Québec et le code de procédure civile relativement à la fixation des pensions alimentaires pour enfants et [institué] au code de procédure civile la médiation préalable en matière familiale ». Les auteurs soulignent systématiquement qu’elles ont résulté « des revendications portées à l’attention du gouvernement par les groupes de défense des droits des femmes ».
[...] « Quant aux mesures législatives et réglementaires canadiennes, elles ont aussi été instituées afin de donner suite aux revendications du mouvement des femmes. » (p. 15) Ce faisant, on construit subrepticement l’idée d’injustice.

Déresponsabilisation des hommes

[...] L’affirmation renforce l’idée que les hommes sont les victimes de forces extérieures en éludant la question des privilèges matériels bien réels liés à l’appartenance à une classe de genre ainsi socialisée. Ce faisant, le processus de la symétrisation est encore mis en oeuvre puisque, rappelons-le, la socialisation est un processus qui touche les deux sexes.

En plus d’évacuer la question de la responsabilité masculine face à sa vie et à son devenir, on efface du même coup la discrimination systémique qui profite aux hommes comme groupe social et défavorise les femmes dans la même mesure. Soutenir que hommes et femmes sont « chacun à leur façon » victimes de la socialisation différentielle entre les sexes laisse croire que le patriarcat ne profite à personne. Pourquoi alors est-il maintenu et réactivé sans cesse ainsi qu’en témoignent les luttes au sujet des tâches domestiques et familiales assumées encore majoritairement par les femmes, de la pornographie, de la prostitution et de la violence domestique dont elles sont les principales victimes, de leur pauvreté chronique au fil des époques ou encore du phénomène nouveau de la sexualisation précoce des jeunes filles, pour ne nommer que celles-là.[...]

Les auteurs du rapport entérinent la déresponsabilisation de ces hommes face au contrôle et à la violence qu’ils exercent. S’en défendre, pour ces femmes [signification occultée sous les vocables « reçus de manière répressive »], serait entretenir « l’idée qu’un homme en colère est forcément porteur de violence » (p.8). Voilà un argument d’autorité pour contrer à l’avance le désaccord et surtout faire taire. De plus, les auteurs du rapport présument que les personnes dans les services de première ligne ne savent pas différencier entre violence et malaise. Ou bien c’est leur faire injure, ou bien c’est encore invalider leurs compétences parce qu’elles sont « en majorité des femmes ». [...]

Des femmes coupables par association

Cette attaque contre des femmes est vite généralisée à d’autres travailleuses ciblées par le comité. Alors qu’il est question des services dans le réseau de la santé et des services sociaux, la critique s’étend soudainement au « réseau des garderies [où les femmes sont "omniprésentes"] et à « celui de l’éducation primaire et secondaire [où elles sont "majoritaires"]. Coupables, par association, juste parce que leur nombre est supérieur à celui des hommes dans ces domaines ? Ou parce qu’elles y sont en position d’autorité, accréditant l’idée de victimisation ?

Où est le problème ? En ce qui concerne les garderies, nous n’avons trouvé aucun développement ... Par contre, la question du taux de décrochage scolaire plus élevé chez les garçons que chez les filles sert depuis de nombreuses années, selon Bouchard, Boily et Proulx (2003), de « catalyseur au discours masculiniste ». L’ouvrage montre l’influence des groupes masculinistes sur l’opinion publique. La stratégie utilisée dans le présent rapport sur la santé s’avère en tout point comparable à celle appliquée pour l’éducation des garçons (victimisation des hommes, mise en accusation des femmes et du féminisme). [...]

Conclusion : Une « commande » du lobby masculiniste

Même si, dans sa lettre adressée au ministre de la Santé et des services sociaux, le président du comité soutient que son « argumentation devait s’éloigner de toute forme de militance », l’analyse des biais méthodologiques et idéologiques du rapport démontre que son équipe et lui ont fait le contraire. De même, malgré son insistance sur le fait que son comité de travail a « été chargé par le ministère de tracer un portait des besoins des hommes et d’établir des priorités d’action à leur égard », l’introduction rappelle explicitement les pressions politiques exercées par le milieu [le lobby masculiniste] pour que le ministère se décide à former un groupe de travail : « cet engagement [du ministère] donnait suite à plusieurs pressions du milieu » (p. 1). Cette information renseigne sur les « besoins » ainsi esquissés, cachant mal des revendications choisies et intéressées. Si le défi du Comité de travail était de « démontrer autant qu’affirmer », comme le signale son président au ministre, l’analyse de contenu et des revendications démontre qu’il n’a réalisé que son deuxième objectif.

Le choix des extraits et les sous-titres sont de Sisyphe.

 Lire l’analyse intégrale en cliquant sur l’icône ci-dessous.

 On trouvera également ce document sur le site du Réseau des tables régionales des groupes de femmes

Notes

1. Gilles Rondeau et Stéphane Hernandez (sous la direction de), (2003). Entre les services et les hommes : un pont à bâtir. Collection Réflexions. Québec : Université Laval, Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes.
2. Dans son texte de conférence intitulée « Particularités des interventions adaptées aux besoins spécifiques des hommes », Jocelyn Lindsay se sert des affirmations de Scourfield (2001) sur les discours tenus sur les hommes dans le contexte professionnel pour poser un certain nombre de questions. Le rapport construit sur les affirmations sans tenir compte du questionnement en contexte.
3. « Les opinions des organismes et des établissements du réseau de la santé et des services sociaux à l’égard des services offerts aux hommes telles que recueillies du 7 février au 15 avril 2003 ». Cette annexe de six pages n’a pas d’auteur.

une Coalition de groupes de femmes

P.S.

Lire également

Lettre ouverte à Gilles Rondeau - Ras-le-bol du harcèlement sexiste.




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