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Commission parlementaire sur l’égalité
La ministre Courchesne voulait-elle intimider la Chaire d’étude sur la condition des femmes ?

1er février 2005

par Micheline Carrier

La Commission parlementaire sur l’Avis du Conseil du statut de la femme vient à peine de commencer et la ministre Courchesne se montre déjà irritée qu’on puisse lui prêter l’intention de remplacer le CSF et le SCF par un conseil de l’égalité mixte où seraient diluées les questions relatives aux droits des femmes. Elle tente de se faire rassurante en répétant que son gouvernement n’a jamais envisagé de chambarder ces structures, ni de modifier leurs mandats.

La ministre ne le prend-t-elle pas un peu trop personnel en se défendant sans cesse ? Après tout, il s’agit d’une consultation sur un document du CSF, non sur ses intentions présumées. Si elle ne voulait pas connaître les réactions diverses au contenu de ce document, elle n’avait qu’à ne pas les solliciter. C’est elle qui a donné au Conseil du statut de la femme le mandat de "redéfinir un concept de l’égalité le plus large possible", c’est aussi elle qui a annoncé une commission parlementaire sur le sujet. C’est encore elle qui a affirmé, en accueillant l’Avis du CSF, qu’"un certain discours a atteint ses limites". Il s’agissait, bien sûr, du discours féministe et, bon élève, le CSF est entré dans le rang en prenant ses distances du mouvement féministe.

Or, il se trouve que plusieurs ont pris note de ce fait. La plupart des groupes qui se sont présentés jusqu’ici devant la commission parlementaire interprètent à peu près de la même façon les orientations générales du document de consultation. Ils y voient une tendance à prendre ses distances à l’égard des expertises féministes et à encourager une symétrie inexistante entre la situation des femmes et celle des hommes. Ils y constatent aussi des glissements qui menacent les acquis des femmes et, même, une certaine sympathie à l’égard des discours masculinistes. Ils rappellent opportunément à la ministre la conjoncture antiféministe dans laquelle a lieu ce débat.

La réaction d’un pouvoir menacé

Alors pourquoi, le 27 janvier dernier, la ministre Courchesne a-t-elle fait une sortie inacceptable lors de la présentation du mémoire de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes de l’Université Laval ? La titulaire de cette Chaire a souligné des lacunes du document de consultation qui avaient pourtant été relevées antérieurement par d’autres groupes. Avec un mépris pour le moins inapproprié chez une personne dans sa position, la ministre a réduit à des appréhensions partisanes l’argumentation rigoureuse et détaillée du mémoire de la Chaire d’étude. La veille, elle avait eu un ton moins acerbe, et même plus conciliant, à l’égard du groupe antiféministe l’Après-rupture. Bien qu’elle ait assené à ce groupe quelques vérités sur la haine que certains de ses membres propagent contre les femmes et les féministes, elle l’a écouté longuement et a cru nécessaire de se justifier d’être la ministre assignée aux dossiers de la condition féminine. La députée de Terrebonne, Jocelyne Caron, a mentionné que la commission aurait pu entendre les jeunes féministes du groupe Salvya avant des individus antiféministes haineux.

Il me semble que la commission aurait dû débuter ses travaux par l’audition de la Chaire d’étude sur la condition des femmes, qui possède une vaste expérience de recherche dans maints domaines reliés à la question de l’égalité. Mais ce jeudi-là, la ministre Courchesne, qui perd généralement du temps en compliments et en discours inutiles, a eu le réflexe d’une personne qui se sent menacée dans ses positions en recevant les porte-parole de cette institution. Dans un discours de plus de 8 minutes (au cours d’une période prévue pour les questions), elle a déformé les propos de la titulaire de la Chaire d’étude, lui faisant dire ce qu’elle n’avait pas dit. La principale question qu’elle lui a posée, sur un mémoire qui analyse en détail le document de consultation du CSF, était une question partisane. Une façon d’invalider la qualité de chercheuse de son interlocutrice. « Si vous vous adressiez à des gens qui mettent en pratique l’approche intégrée de l’égalité (AIÉ), par exemple, la ministre française ou autre, a-t-elle demandé, lui tiendriez-vous le même discours qu’au gouvernement Charest ? » Comme si la titulaire de la Chaire d’étude se présentait à la Commission sans préparation et avait l’habitude de lancer des idées de façon irréfléchie sans s’appuyer sur des analyses, des sources et des faits. Pierrette Bouchard a rappelé à la ministre que le Québec est plus avancé que l’Europe en matière de condition féminine et que suivre l’exemple européen équivaudrait à un recul pour les Québécoises

La ministre Courchesne a disposé de beaucoup de temps pour analyser le mémoire de la Chaire d’étude. La façon dont elle y a réagi en commission parlementaire démontre qu’elle n’a pas fait son travail avec impartialité ni rigueur. Si elle avait seulement écouté ce qu’elle entendait, elle aurait retenu plus que les craintes (légitimes, d’ailleurs) qui s’expriment dans ce mémoire : des faits, des analyses, comme le lui a rappelé la titulaire de la Chaire d’étude. Cette charge ne peut pas ne pas être calculée, à moins que la ministre n’ait pu contenir sa colère (après tout, on peut être à la fois ministre et « soupe au lait ») devant l’indépendance d’une institution qui jouit de beaucoup de crédibilité et qui n’a pas caché, depuis un an et demi, son désaccord avec l’orientation de ses projets.

Une tentative d’intimidation ?

Pourquoi la ministre Courchesne a-t-elle fait cette sortie déplacée ? Pour faire passer la Chaire d’étude et sa titulaire pour des "extrémistes" et des "négativistes" dans le but de les renvoyer dos-à-dos avec les masculinistes haineux dont elle avait eu la visite la veille ? Ainsi, elle aurait pu détourner l’attention d’un mémoire qui remet en question de façon convaincante plusieurs aspects du document du CSF qui pourrait bien amorcer une rupture avec le mouvement des femmes du Québec. La ministre voulait-elle intimider et déstabiliser à la fois la personne qui a présenté le mémoire et les groupes qui iront défendre les leurs dans les prochaines semaines ? Ou dérouter les membres de la commission les dissuadant d’interroger les porte-parole de la Chaire d’étude ? Ou miner la crédibilité de cette institution et de Pierrette Bouchard ? Si c’est le cas, la ministre loge à la même enseigne que les masculinistes (soft et hard) et autres gars contents imbus de leurs "paroles d’hommes". D’ailleurs, vendredi matin, l’un d’eux se réjouissait sur son site de l’attitude de la ministre envers les porte-parole de la Chaire d’étude sur la condition des femmes.

Sans le sabotage de la ministre Courchesne, les membres de la commission auraient pu interroger davantage les chercheuses de l’Université Laval, de façon sereine, rigoureuse et fructueuse, sur nombre de sujets abordés lors des auditions précédentes (notamment le décrochage et la réussite scolaires, la sexualisation précoce des filles, etc.). La ministre craignait peut-être de les entendre citer des recherches sérieuses qui auraient invalidé certaines de ses prétentions. Si cette commission poursuit les objectifs qu’elle prétend, elle devrait reprendre sans délai l’audition du mémoire de la Chaire d’étude afin de démontrer sa bonne foi et son impartialité. Car, qui d’autre qu’une institution qui se consacre depuis nombre d’années à étudier les conditions de vie des femmes et les obstacles à l’égalité peut mieux aider la commission à définir les moyens d’assurer aux Québécoises l’égalité de fait ?

Si je devais me présenter devant la commission des affaires sociales, en premier lieu j’affirmerais ma solidarité avec la Chaire d’étude sur la condition des femmes de l’Université Laval et avec sa titulaire. Je réclamerais ensuite la nomination d’une ministre en titre à la condition féminine qui soit féministe et capable de comprendre tous les enjeux sous-jacents à l’Avis du Conseil du statut de la femme.

Lire le mémoire de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes

 « Une politique d’égalité doit s’appuyer sur des assises théoriques solides »

Également

 Le mémoire des jeunes féministes du groupe Salvya : « Des jeunes féministes s’opposent à un conseil de l’égalité »
 Mémoire du Collectif proféministe : « Pour le droit des femmes à l’égalité »
 Le Journal des débats sur le site de l’Assemblée nationale du Québec
 Autres articles sur ce sujet dans la rubrique Commission parlementaire.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 janvier 2005.

Micheline Carrier

P.S.

Lire également

L’Avis du CSF pour un "nouveau contrat social" : candide et racoleur




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