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Un combat à mener par l’État et par la société civile
Mémoire à la Commission parlementaire sur l’égalité

2 février 2005

par Sandrine Ricci, présidente du Centre des Femmes de l’UQÀM

Le présent mémoire vise, pour nous, jeunes femmes universitaires féministes, à prendre la parole sur cet Avis qui brosse un portrait plutôt réaliste de la situation en matière de gains pour les femmes (indéniables et encourageants) et montre bien que la partie est loin d’être gagnée.



Introduction

Le Centre des Femmes de l’UQÀM soumet le présent mémoire en réaction à la « réingiénérie » éventuelle du Conseil du statut de la femme, à la demande de la ministre responsable du dossier de la condition féminine faite à cet organisme de repenser un concept d’égalité « le plus large possible » qui s’ensuivit de la production de l’Avis Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes par le Conseil du statut de la Femme.

Étudiantes à plein temps en fin de session universitaire, travailleuses à temps partiel, parfois mères de familles et bénévoles au Centre des Femmes de l’UQÀM, nous ne sommes pas en mesure de livrer une analyse approfondie de l’Avis du Conseil du statut de la femme. Toutefois, si nous en reconnaissons la qualité et le mérite, notamment dans son effort de synthèse et de consensus, certains points ont attiré notre attention, de même que certaines affirmations.

Le présent mémoire vise donc, pour nous, jeunes femmes universitaires féministes, à prendre la parole sur cet Avis qui brosse un portrait plutôt réaliste de la situation en matière de gains pour les femmes (indéniables et encourageants) et montre bien que la partie est loin d’être gagnée.

Nous faisons valoir du même coup nos revendications en ce qui a trait au détournement du mandat d’institutions - le CSF mais aussi le Secrétariat à la condition féminine, indispensables dans leur configuration actuelle - quoique perfectibles, au mouvement des femmes et, par voie de conséquences, à l’ensemble de la population.

Le Mouvement des femmes du Québec dont le Centre des Femmes de l’UQÀM fait partie, doit pouvoir compter sur l’État pour continuer à mener la lutte en vue de l’égalité entre les femmes et les hommes, pour que cessent, enfin, les injustices et les discriminations liées au genre.

Situation dans les universités québécoises

Quand on regarde les chiffres de l’évolution de la fréquentation universitaire au Québec, on constate que les femmes sont plus scolarisées que les hommes (en 2001, 23,1% des femmes détenaient un diplôme universitaire contre 20,6% des hommes). Les étudiantes obtiennent un taux de diplomation supérieur aux hommes aux niveaux du baccalauréat (31% vs 20,5%) et de la maîtrise (7,8% vs 6,8%). Seul le doctorat accuse un retard des femmes (0,9% vs 1,1%). Cet écart se comblera d’autant plus vite que le gouvernement mettra en place des fonds de recherche qui, comme le recommande notamment le Conseil du statut de la femme, « tiennent compte des responsabilités familiales des étudiantes » (1). [Par ailleurs, il est à craindre que ces résultats encourageants pâtissent des coupures bugétaires dans les prêts et bourses, les statistiques démontrent que les étudiantes sont plus pauvres que les étudiants.]

Cependant, on peut regretter que ces succès universitaires ne se traduisent pas par une accession équitable des femmes et des hommes aux postes de professeurs : « En 2001-2002, les femmes ne représentaient que 26,5% du personnel enseignant des universités québécoises » (2). En fait, plus on monte dans la hiérarchie, plus la présence des femmes est minoritaires. Dans le même ordre d’idée, seules 12,2% des chaires de recherche du Canada ont été attribuées à des femmes depuis 2000 au Québec ! Ces obstacles sont liées au « plafond de verre » qui empêche les femmes d’accéder aux postes les plus prestigieux.

Nous sommes inquiètes des profondes inéquités qui perdurent au sein des universités québécoises en raison de la persistance de discriminations liées à la différence des sexes.

Vers une redéfinition de l’égalité

Rappelons d’entrée de jeu que l’égalité entre les femmes et les hommes est loin d’être atteinte dans les faits, quoique la société québécoise soit très avancé dans ce domaine. Comment s’y prend-on, comme nous le demande la ministre Courchesne, pour « élargir » le concept d’égalité ? Est-ce qu’on doit admettre que certains sont plus égaux que d’autres, comme telle lessive rend notre linge plus blanc que blanc ?

Dans son Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, le père du premier contrat social, Jean-Jacques Rousseau émet trois propositions fondamentales :

1. Les inégalités résultent de mécanismes de marché du fait du premier qui, « ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire » (3) ; « Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même, et l’estime publique eut un prix […] ce fut là le premier pas vers l’inégalité » ;
2. Les inégalités tendent à se cumuler ;
3. Le système politique doit réguler et corriger le fonctionnement des marchés ; lutter contre les inégalités afin que les citoyen-nes respectent le « contrat social ».

Certes, Rousseau s’attaque aux inégalités entre les hommes… et les hommes : dans le contexte sociopolitique du 18e siècle, les inégalités entre les femmes et les hommes ne sont pas encore à l’ordre du jour. On pense plutôt en termes de classes sociales, de l’inégalité pauvre-riche. Un adage féministe affirme d’ailleurs que l’égalité constitue la promesse la plus inachevée de la modernité (4).

Quelques siècles plus tard, T.H. Marshall développe une théorie évolutionniste selon laquelle apparaissent, dans cet ordre, d’abord l’égalité juridique, puis l’égalité politique, et, enfin, l’égalité sociale. Il n’est pas certain, selon Raymond Boudon (5), qu’il faille prendre cette théorie au pied de la lettre. Il reste que « l’égalité sociale est beaucoup plus difficile à définir que l’égalité juridique ou politique ».

Selon leur appartenance à tel ou tel courant, les féministes ont proposé de nombreuses définitions de l’Égalité, laquelle contient généralement la notion de traitement égal ou identique entre les femmes et les hommes. Le gouvernement canadien s’appuie sur une définition intéressante, impliquant que toutes et tous aient « des conditions égales pour réaliser leurs pleins droits et leur potentiel et pour contribuer à l’évolution politique, économique, sociale et culturelle du pays, tout en profitant également de ces changements (…) La réalisation de l’égalité exige que l’on reconnaisse que les régimes social, économique, culturel et politique sont marqués par les différences entre les sexes ; que la condition inéquitable des femmes est de nature systémique » (6). Il nous semble en effet indispensable de reconnaître qu’un système est au cœur de l’explication de ces inégalités, le patriarcat. Cette force hiérarchique transversale, multilatérale et protéiforme se manifeste notamment dans les rapports sociaux de sexe.

Le concept de l’Égalité doit absolument prendre en compte les différences entre les individus, que ces particularités émanent de leur sexe/genre, mais aussi de leur appartenance ethnique, religion, incapacité, état-civil, orientation sexuelle, etc.. Il s’agit donc de réaliser l’égalité entre les femmes et les hommes mais aussi l’égalité entre les femmes elles-mêmes, alors que les individues issues de minorités ethniques, notamment, subissent plusieurs types de discriminations.

Il faut donc accepter que « toute différence de traitement entre des individus devant la loi ne produit pas forcément une inégalité et aussi qu’un traitement identique peut fréquemment entraîner de graves inégalités » (7). La pertinence de mener des
actions positives pour enrayer ces pratiques discriminatoires et leurs effets, n’est plus à démontrer. Le rôle crucial de la société civile à cet égard ne l’est pas non plus. Les groupes de femmes, les ONG, soutenus par des millions de bénévoles, par les efforts de l’entreprise privée, ont permis au Canada et au Québec de s’inscrire au peloton des nations les plus progressistes en matière de lutte pour l’égalité entre les sexes. […]

Recommandations

Le combat contre les discriminations faites aux femmes doit se mener conjointement avec la société civile et l’État doit préserver les organismes de consultation dont il s’est muni pour ce faire : à savoir le Conseil du statut de la femme et le Secrétariat à la condition féminine.

Le mandat de ces deux organismes ne doit pas être remis en cause mais au contraire renforcé. Il s’agit là d’acquis du mouvement féministe, les éliminer ou les refondre en un Conseil de l’égalité-fourre-tout serait une erreur qui garantirait un retour en arrière pour les femmes.

Le Centre des Femmes de l’UQÀM demande donc :

    que le Conseil du Statut de la femme (CSF) soit maintenu et que ses moyens soient accrus pour mener à bien le projet de l’égalité entre les sexes tout en préservant sa mission spécifique envers les femmes ;
    que le Ministère à la condition féminine (SCF) soit restauré et qu’une ministre responsable soit nommée et que les moyens suffisants pour mener à bien son mandat lui soient octroyés.

 Pour télécharger et lire le mémoire du Centre des femmes de l’UQAM, cliquer sur l’icône ci-dessous.

Notes

1. « Les études, l’enseignement et la recherche universitaire : enjeux émergents pour les femmes », Mémoire présenté à la Commission parlementaire sur la qualité, l’accessibilité et le financement des universités, février 2004.
2. Ibid.
3. « Discours sur l’origine » (1755) in Chassang, A.. Senninger, CH. (1981). Recueil de textes littéraires français, XVIIIe siècle, Paris-Hachette.
4. Eleni Varikas, Dictionnaire critique du féminisme, p. 54.
5. Boudon, Raymond (1987), « Égalité et inégalités sociales », Encyclopedia Universalis, pp.670-672.
6. Voir le document publié en 1995 par Condition Féminine Canada, sous le titre À l’aube du XXIe siècle : Le plan fédéral pour l’égalité entre les sexes.
7. Ibid.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 31 janvier 2005.

Sandrine Ricci, présidente du Centre des Femmes de l’UQÀM


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