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On assiste à la naissance d’un « masculinisme d’État », selon le Collectif proféministe

8 février 2005

par Micheline Carrier

Le chercheur Jean-Claude St-Amant, connu notamment pour ses travaux sur la réussite et le décrochage scolaire, a affirmé à la commission parlementaire sur l’égalité, jeudi dernier, que le gouvernement québécois allait subventionner un congrès où l’un des invités pressentis véhicule une idéologie « pro-pédophilie » et « pro-inceste ». Le rapport Rondeau, endossé par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, cite d’ailleurs ce conférencier comme référence.

Interrogé par la députée Jocelyne Caron, porte-parole de l’opposition en matière de condition féminine, le chercheur a déclaré que la position du conférencier était connue puisque ce dernier avait exposé ses thèses l’an dernier, en Europe, lors d’un autre événement semblable auquel assistaient les organisateurs dudit congrès qui aura lieu à Montréal ce printemps. Jean-Claude St-Amant a également souligné que certains des organisateurs de ce congrès ont déjà qualifié les féministes de « sectaires » et d’« intégristes ».

Le chercheur voit dans le soutien financier du gouvernement à ce genre d’événement un exemple parmi d’autres d’un « masculinisme d’État » en gestation. À la demande de la députée Jocelyne Caron, il a cité l’extrait d’un document dans lequel son auteur explique comment des masculinistes avaient appris à maquiller leurs discours afin de paraître plus crédibles et d’obtenir des appuis au sein des institutions.

Rapport Rondeau et antiféminisme ambiant

Du rapport Rondeau, Jean-Claude St-Amant a déclaré avoir fait une analyse de la méthodologie et des sources qu’il estime « plus impressionnistes que scientifiques ». Il a rappelé qu’une coalition de groupes de femmes a analysé plus en profondeur ce rapport et a conclu qu’il reflétait les prétentions des milieux masculinistes qui y ont d’ailleurs été étroitement associés. Il a invité les membres de la commission à se référer à cette analyse pour apprendre « comment fabriquer un problème ». « On tente maintenant de recouvrir d’un lustre de scientificité les prétentions masculinistes à la discrimination », a dit Jean-Claude St-Amant. Le chercheur a mentionné que le document de consultation du CSF accréditait certaines des prétentions masculinistes en s’appuyant sur ce rapport.

La ministre Courchesne a trouvé « dur » le mémoire du Collectif proféministe qui affirme que le « discours antiféministe ambiant pèse sur l’analyse présentée dans l’avis » du CSF. Elle a dit y voir un blâme à l’égard des rédactrices du document de consultation et des travaux du CSF, et a parlé au passé des bonnes relations du chercheur et de l’organisme. Jean-Claude St-Amant a repris qu’il fallait plutôt parler de ces relations au présent et qu’il ne prêtait pas « une intention machiavélique à ces personnes, parce que ce même discours sur les pauvres hommes et les pauvres petits gars, on le retrouve partout ».

Le mémoire du Collectif proféministe, que la ministre avait en main tout comme les autres membres de la commission, ne laisse aucun doute sur le respect que ces hommes accordent au travail du CSF : « Le Conseil du statut de la femme (CSF) et le Secrétariat à la condition féminine (SCF) nous ont habitués dans le passé à des contributions importantes eu égard à plusieurs enjeux touchant les femmes, les rapports sociaux de sexe et par le fait même, le Québec tout entier », y lit-on. « L’avis intitulé Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes ne déroge pas à cette règle et présente pour fins de consultation publique, une réflexion stimulante, appuyée par une large documentation ». On a proposé un document à analyser, a dit le chercheur, et c’est ce que nous avons fait.

Pas « complices d’une confiscation »

Plus tôt, Jean-Claude St-Amant avait dit s’interroger sur un passage du document de consultation selon lequel « le gouvernement du Québec aura à se prononcer sur l’avenir de l’ensemble des organisations existantes, y compris le Conseil du statut de la femme et le Secrétariat à la condition féminine » (p.152). Les gouvernements ne sont que les dépositaires des institutions que les femmes se sont données dans leur démarche pour le droit à l’égalité, a dit le chercheur, et il n’est pas question de se faire « complice de la confiscation » de ces acquis.

Le chercheur avait commencé la présentation du mémoire du Collectif proféministe en rappelant que des pétitions, signées par plus de 6000 femmes, hommes et groupes de divers milieux en faveur du maintien du CSF et du SCF et de la nomination d’une ministre en titre de la condition féminine, avaient été remises au gouvernement Charest en 2003. Ces pétitions réclamaient aussi les budgets nécessaires à une action efficace, et « elles pourraient même servir d’argument à la ministre au moment de la confection du prochain budget », a ajouté le chercheur.

Les garçons dans le système scolaire

Au chapitre de la réussite et du décrochage scolaire, le chercheur a attiré l’attention de la commission sur des données démontrant « pour les garçons et pour les filles, une amélioration sensible de la situation entre 1979 et 2001. Les garçons ont amélioré leur taux de réussite de 19,9 %, les filles de 23,08 %. Les gars, on le voit, ne sont pas en perdition dans notre système scolaire », a-t-il poursuivi.

Jean-Claude St-Amant a aussi fait état d’études comparant la persévérance des garçons et des filles québécoises à l’ensemble de la situation canadienne et à celle des pays de l’OCDE. « Les garçons québécois font mieux que les garçons du reste du Canada et que les garçons de l’OCDE », a indiqué le chercheur. Les filles québécoises sont plus fortes et figurent parmi les trois premiers groupes, avec le Danemark et la Norvège. « Nos filles vont bien à l’école présentement. Est-ce qu’on ne devrait pas en être fier ? Est-ce que c’est matière à devenir problème social ? », a demandé le chercheur. « Et elles vont bien parce qu’elles s’investissent dans leurs études, nous l’avons mesuré à l’échelle provinciale ».

Jean-Claude St-Amant a rappelé que le milieu social est un facteur déterminant dans les difficultés scolaires des filles comme des garçons. Il a mentionné que « dans une école, au Québec, maintenant, il y a un groupe d’aide pour les jeunes en difficulté, et notamment en mathématiques, composé de professeurs masculins, qui ne s’adresse qu’aux garçons mais pas à tous les garçons, aux garçons qui ont une femme qui leur enseigne ». Ce qui indique le degré d’intégration de la propagande qui rend les enseignantes responsables des difficultés scolaires des garçons. Le chercheur a souligné qu’il y avait des expériences de non mixité dans une école sur cinq au Québec mais que, selon des études australiennes, la non mixité n’était pas une solution et pouvait nuire aux garçons.

L’approche sociétale

Le mémoire du Collectif proféministe commente les trois approches proposées par le document de consultation. Comme la majorité des groupes précédents, Jean-Claude St-Amant a souligné les risques de symétriser la discrimination systémique à l’égard des femmes et des problèmes de certaines catégories d’hommes, symétrisation dont il voit la trace dans le document du CSF. La ministre a réaffirmé que telle n’était pas l’intention, et le chercheur a répondu que l’écrire plus qu’exprimer une intention clarifierait la question.

Selon le chercheur, l’approche sociétale, « qui place les hommes en situation de définir les besoins des femmes », ne fera pas avancer le droit des femmes à l’égalité. « De façon très concrète, on voit présentement à l’ONU que ce type d’approche profite premièrement aux hommes, notamment à ceux qui se disent proféministes mais qui ont autonomisé leurs pratiques par rapport aux féministes. Ils tentent d’accaparer à leur profit les ressources destinées à corriger les inégalités que les femmes subissent en tant que femmes ».

Les hommes peuvent déjà agir de diverses façons dans le mouvement social, a dit Jean-Claude St-Amant, dans leur vie privée, prendre soins des enfants, partager les responsabilités familiales et domestiques, remettre en question les processus de hiérarchisation des hommes entre eux, et se désolidariser de l’antiféminisme.

On peut lire les recommandations du Collectif proféministe dans son mémoire intitulé « Pour le droit des femmes à l’égalité ».

Sources

Le Journal des débats, le 3 février 2005, 16h00-17h00, sur le site de l’Assemblée nationale. On peut consulter l’index pour une recherche rapide.
Mémoire du Collectif proféministe « Pour le droit des femmes à l’égalité ».

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Lire les autres articles dans la rubrique Commission parlementaire et dans la rubrique Avenir du Conseil du statut de la femme

Mis en ligne sur Sisyphe le 7 février 2005.

Micheline Carrier


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