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Salvya rend hommage au féminisme radical et à la « vieille garde »

9 février 2005

par Micheline Carrier

À la commission parlementaire sur l’Avis du Conseil du statut de la femme (CSF), le 3 février dernier, le groupe de jeunes féministes de l’Université Laval, Salvya, a d’abord rendu hommage au féminisme radical, dont il se réclame et que certain-es tentent de discréditer et d’exclure sous le prétexte qu’il ne serait pas rassembleur. Au nom du groupe, Isabelle Boily a rappelé (ou appris) aux membres de la commission que le mot « radical » vient du mot « racine ». Le féminisme radical se caractérise, a dit la chercheuse, par son analyse des discriminations à l’égard des femmes « sous l’angle des rapports sociaux de sexe, qui s’articulent dans des structures favorisant la domination des hommes sur les femmes, dans un système patriarcal qui gère cette hiérarchisation ».

La porte-parole de Salvya a souligné que plusieurs groupes entendus à la commission semblent s’être appropriés les analyses radicales puisqu’ils sont venus expliquer en termes de « rapports sociaux de sexe », « domination » et « patriarcat » les inégalités que vivent les femmes.

Le groupe a insisté sur la communauté de pensée qui existe entre son mémoire et plusieurs autres documents présentés par des groupes de femmes, notamment celui de la Chaire d’études Claire-Bonenfant sur la condition des femmes, « avec laquelle nous partageons la croyance que l’analyse féministe est nécessaire à toute réflexion sur les rapports sociaux de sexe et aussi la critique qui est faite de l’Avis. Et donc, nous voulons aussi exprimer notre solidarité avec les propos de la chaire à ce sujet ».

Le groupe Salvya a rejeté toute tentative de diviser les féministes selon des critères âgistes et affirmé que les jeunes féministes de Salvya aimaient travailler avec ces féministes que certains qualifient de « vieille garde » : « La transmission des savoirs et des pratiques féministes qui opère lors de collaborations entre féministes d’expérience et jeunes féministes est au coeur même de la pérennité du féminisme », a dit-elle affirmé.

Les jeunes femmes et le féminisme

Doctorante en psychologie et engagée depuis quatre ans dans des organismes communautaires féministes, Laurence Fortin-Pellerin a abordé de front une opinion souvent exprimée lorsqu’on veut réduire l’importance du féminisme, à savoir l’idée que la majorité des jeunes femmes ne se reconnaîtraient pas dans le féminisme actuel. L’étudiante a affirmé qu’il s’agissait d’une perception erronée véhiculée par les médias, les dirigeants politiques et même le Conseil du statut de la femme dans son Avis. Comment peut-on faire cette affirmation alors qu’il existe peu d’études sur la perception du féminisme par les jeunes femmes ? Par ailleurs, si les études existantes montrent que les jeunes femmes méconnaissent généralement le féminisme, elles indiquent aussi qu’elles ne rejettent pas ses revendications.

On n’enseigne pas l’histoire des femmes ni le féminisme dans la majorité des institutions scolaires, de la base jusqu’à l’université, a poursuivi la porte-parole de Salvya, de sorte qu’une finissante en sciences sociales peut ne jamais avoir entendu parler des luttes des femmes. Plusieurs jeunes femmes sont engagées dans des groupes non mixtes, au sein des comités féminins de partis politiques, de syndicats et de plusieurs organismes communautaires, a-t-elle rappelé. Ce sont aussi en majorité des jeunes femmes qui ont repris la lutte contre la publicité sexiste et on en retrouve plusieurs dans les groupes de femmes.

Des obstacles ’traditionnels’ à l’égalité

Catherine Charron, étudiante en sociologie et en histoire a rappelé que les jeunes femmes comme leurs aînées rencontrent des obstacles découlant d’une discrimination systémique. En dépit de leur arrivée massive aux études supérieures, elles demeurent dans les échelons inférieurs du pouvoir et gagnent moins que leurs collègues masculins. Dans leur vie privée, plusieurs vivent encore les modèles traditionnels de partage des rôles. En outre, les jeunes femmes représentent le groupe le plus touché par la violence et le harcèlement sexuels, et le groupe des filles âgées de 12 à 24 ans représentent 25% des victimes de violence conjugale.

L’étudiante en sociologie a mentionné également que certains problèmes d’ordre psychosocial (l’anorexie et la boulimie, par exemple) et de santé mentale touchent particulièrement les jeunes femmes. À tout cela s’ajoutent la violence psychologique et symbolique, la représentation sexiste et dégradante des femmes dans les médias et dans la publicité, ainsi que la sexualisation et l’érotisation à outrance qui conduisent à l’objectivation des femmes.

Une vision linéaire de l’histoire des femmes

Une autre porte-parole de Salvya, Hélène Charron, doctorante en sociologie et diplômée en histoire, également auteure d’une recherche sur les jeunes femmes dans la région de Québec, a affirmé que l’Avis du Conseil du statut de la femme présente une vision linéaire de l’histoire des femmes et de leurs luttes pour leurs droits. Il laisse entendre (par omission) que les gains sont « irréversibles » et ont été « acquis sans résistance ». Au contraire, a poursuivi la chercheuse, « tous les gains ont été acquis dans des luttes souvent féroces où on a pu assister à chaque fois à des résistances très dures et très virulentes de la part des gens qui avaient à partager ces pouvoirs et ces droits-là, soit les hommes comme catégorie. Ces gains-là ne sont pas non plus irréversibles, comme l’histoire l’a montré ».

Pour Salvya, l’Avis du CSF tend à nier l’expertise féministe, « présentée comme dépassée ». Il présente l’approche spécifique comme insuffisante, une affirmation qui n’est démontrée ni dans le document ni ailleurs, a soutenu le groupe. Le CSF distingue l’approche sociétale de l’approche spécifique, alors que le féminisme a toujours présenté une vision globale « de la société, de ses acteurs, et articulé son analyse sur les rapports sociaux de sexe avec les autres types de rapports sociaux, ceux de classe, d’âge, et ainsi de suite ». En outre, le document de consultation du CSF fait abstraction du fait « que les travaux féministes ont porté aussi sur des problématiques qui concernent plus spécifiquement les hommes dans une perspective féministe, évidemment ».

Danger de symétrisation

L’absence de balises dans la démarche d’intégration des hommes au projet d’un nouveau contrat social pour l’égalité constitue, selon Salvya, une autre faiblesse de l’Avis du CSF. Le groupe a souligné à son tour le danger de symétrisation des situations féminine et masculine que sous-tendent certains chapitres du document : « La symétrisation peut conduire à l’occultation du rapport de forces entre les sexes, disent les jeunes féministes. Parce que symétrisation signifie : négation du rapport social, soit du rapport de forces entre les deux sexes ». Dans une phrase de son Avis que reprend la lettre de sa présidente, Diane Lavallée, publiée aujourd’hui sur Sisyphe, le CSF se défend d’envisager cette symétrisation. La ministre Courchesne a aussi précisé à maintes reprises, au cours des auditions de la commission, que telle n’était pas non plus son intention. Toutefois, il ne semble pas que l’intention soit claire à moins que personne n’ait lu convenablement le document de consultation.

Ne pas diluer un projet « subversif »

Les jeunes féministes de Salvya ont mis en garde contre la tentation de réduire les exigences de la recherche de l’égalité pour les femmes dans le but de rallier le plus grand nombre. Elles estiment « illusoire de vouloir rejoindre à court terme toute la population féminine et masculine dans un projet pour l’égalité qu’on ne peut définir clairement ». L’histoire nous apprend que c’est toujours une minorité qui porte ce genre de projet, a dit le groupe. Jamais les femmes n’ont été toutes des féministes, « et vouloir les faire toutes féministes, c’est abandonner nécessairement un projet qui est supposé être subversif, vouloir transformer les choses et les situations. Et on ne peut pas faire cela sans abandonner notre projet en le diluant pour qu’il plaise à tous et finalement ne veule plus rien dire ».

Les hommes qui le souhaitent ont maintes façons de travailler à l’égalité sans devoir investir les instances non mixtes que les femmes se sont données, ont affirmé les porte-parole de Salvya. La ministre a déclaré qu’elle ne préconisait nullement des structures mixtes pour les instances gouvernementales qui défendent les dossiers de la condition féminine. À noter.

Sources

Le Journal des débats, le 3 février 2005, 14h00-15h00, sur le site de l’Assemblée nationale. On peut consulter l’index pour une recherche rapide.
Mémoire du groupe Salvya « Des jeunes féministes s’opposent à un conseil de l’égalité ».

Autres

Lire les autres articles dans la rubrique Commission parlementaire et dans la rubrique Avenir du Conseil du statut de la femme.

Mis en ligne sur Sisyphe le 7 février 2005.

Micheline Carrier


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