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Les industries du sexe, des industries pas comme les autres !

11 mars 2005

par Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval

Commentaire sur La mondialisation des industries du sexe. Prostitution, pornographie, traite des femmes et des enfants, par Richard Poulin, préface de Micheline Carrier et postface de Élaine Audet. Publié aux Éditions l’Interligne, collection « Amarres », 2004, 432 p.



Le présent commentaire s’inscrit en droite ligne, il me semble, avec le récent article de Micheline Carrier intitulé « La face visible du nouveau patriarcat ». Pour la raison bien simple que l’auteur de La mondialisation des industries du sexe expose une autre facette de la réactualisation du patriarcat, soit la combinaison de ses intérêts avec ceux de l’exploitation capitaliste sous ses nouvelles formes et avec ceux du racisme, qui emprunte aussi des voies inédites en ciblant les femmes et les enfants de communautés culturelles minoritaires.

Le sujet abordé - l’appropriation du corps et de la vie des femmes et des enfants - nous place au cœur de questionnements tout à fait cruciaux pour les années qui viennent. Le traitement unifié que choisit de faire l’auteur le dirige vers une contribution absolument essentielle pour qui veut saisir globalement le phénomène de la prostitution, celui de la pornographie et celui de la traite des femmes et des enfants. L’auteur nous fait la démonstration incontournable que ces trois réalités sociales n’en font vraiment qu’une, les industries du sexe : « Ce qui pouvait être perçu comme étant à la marge est désormais au centre du développement du capitalisme mondial » (p. 125). Et si le crime organisé transnational trône au centre de la marchandisation du corps et de la vie des femmes et des enfants, certains États en tirent des revenus très substantiels, suffisants pour être comptabilisés dans le Produit intérieur brut.

Bien évidemment, la nature même de ces industries rend extrêmement difficile une évaluation exacte des capitaux en cause, du nombre de femmes et d’enfants marchandisé-es ou encore des mouvements géographiques des uns et des autres. Poulin a su contourner cette difficulté en diversifiant les sources qui en ont fait des approximations sérieuses. Que celles-ci varient ne doit pas masquer leur côté informatif. Apprendre, par exemple, que le nombre de femmes et d’enfants impliqué-es dans les industries du sexe se comptent en dizaine de millions plutôt qu’en milliers, suffit - à ce stade de la recherche - à rendre compte de l’ampleur du phénomène.

« Ce livre a été écrit dans l’urgence », nous dit Poulin en tout début d’introduction. Chacune des pages suivantes construit systématiquement l’argumentaire, à partir d’une variété de sources tout à fait exemplaire, pour nous convaincre effectivement de l’urgence de s’outiller pour contrer « cette expérience radicale de déshumanisation » (p. 299).

Après la définition des concepts en introduction, le volume comprend trois parties qui présentent, chacune, une facette des industries du sexe : d’abord l’organisation mondialisée de la traite des femmes et des enfants, ensuite la prostitution, le crime organisé et la marchandisation, enfin, dans le troisième, l’ampleur de l’industrie de la pornographie. Un dernier chapitre fait un examen critique des diverses prises de position sur les questions abordées, tant sur le plan des nations (législations et conventions) que sur celui de groupes ou d’individus.

À bon droit, la contribution à la connaissance scientifique de Poulin s’inscrit aussi dans le débat sur la prostitution, celui-ci étant présent aussi bien au Québec qu’ailleurs dans le monde. La préface de Carrier et la postface de Audet ne manquent pas de le situer très exactement, de « prendre le parti de l’humanité » dans le premier cas, de livrer les « perspectives féministes sur la prostitution » dans le deuxième. Le choix de mon titre et sa référence à ce débat me place dans la même ligne de pensée : pas plus que la prostitution, les industries du sexe ne sont des industries comme les autres. Encore plus que le droit à la dignité ou le droit à la liberté des femmes et des enfants, c’est le droit à la vie même que font disparaître les industries du sexe. Et si la rigueur conceptuelle de l’auteur le retient de parler de système esclavagiste, une réflexion systématique sur ce thème spécifique pourrait conduire, il me semble, à une position différente.

Le livre de Richard Poulin a été publié après l’avis du Conseil permanent de la jeunesse sur la prostitution. Au fil des pages, nous avons acquis la conviction que le CPJ aurait pris une toute autre orientation s’il avait eu accès au travail minutieux de Poulin. Plutôt que de prendre position sur la base d’entrevues avec quelques dizaines de jeunes, l’organisme aurait eu accès à un portrait global des industries du sexe à partir duquel il aurait pu situer les expériences « locales » de ses informateurs et informatrices. Pour ma part, je ne lirai plus jamais sur le nouveau patriarcat sans y intégrer la réflexion que Poulin nous propose dans son volume.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 28 février 2005.

Jean-Claude St-Amant, chercheur en éducation, Université Laval


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