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Moi, fille d’immigrés, pour l’égalité et la laïcité

8 mars 2005

par Fadela Amara, présidente de "Ni putes ni soumises"

La montée des communautarismes est teintée d’islamisation des esprits. Les femmes sont les premières à en faire les frais.



Aujourd’hui, dans la France des quartiers populaires, la mixité des espaces publics est une peau de chagrin. Trop souvent, il n’y a plus que le hall d’immeuble pour se rencontrer et, hélas, ce sont les mecs qui tiennent les cages d’escalier. Il suffit de trois mecs qui terrorisent l’animateur en exigeant « on ne veut pas de filles » et ils gagnent : la pression est telle que les animateurs sociaux reculent. Pour un Abbès, animateur à Epinay, qui tint bon et qui réussit à amener camper des filles et des garçons, combien ont renoncé faute de soutien, faute de moyens, faute de volonté politique clairement affichée ? En une dizaine d’années, les activités pour la jeunesse sont devenues des loisirs sexués au seul profit des garçons.

Pourtant, ce rétrécissement de la liberté des femmes ne suscite pas une dénonciation unanime chez les féministes. Quelques-unes font silence sur les violences commises au nom de l’obscurantisme. Or, si l’actualité éclaire largement le sort des jeunes filles touchées par le prosélytisme religieux, on passe largement sous silence la loi du nombre : pour se soustraire à cette pression, certaines filles préfèrent se voiler... Dans les années 70, c’est au cri du Manifeste des 343 salopes qu’elles ont imposé le droit à disposer de leur corps à la société, et notamment dans une lutte déterminée contre l’intégrisme religieux de l’époque. N’est-il pas triste que certaines de ces pionnières recherchent aujourd’hui la respectabilité des commentateurs zélés des Livres sacrés ?

Et que dire des femmes et des hommes politiques qui disent : « Le voile, c’est leur choix » ? De deux choses l’une. Ou ils méconnaissent le terrain et alors à quel titre postulent-ils à la direction du pays ? Ou ils ont subrepticement renoncé aux valeurs de liberté et d’égalité pour vendre la République par étage. « Chacun chez soi. »

Depuis quinze ans, depuis les promesses du « on va vous repeindre les cages d’escalier », chez moi, je n’ai rien vu venir. A part quelques ravalements de façade et colmatages de brèche, qui n’ont pas changé nos vies pour autant. Le chômage de masse est toujours la règle. Il y a toujours un proche ou une relation en prison. Il n’y a qu’une chose qui ait changé : la gauche de gouvernement a inventé le RMI. Bel espoir, pour ceux qui étaient en voie de noyade sociale.

Fatima et Christine, Benoît et Mamadou sont toujours maltraités par le système et les politiques qui sont menées. Je sais trop bien que Fatima et Mamadou subissent plus de discriminations. Mais nous traversons tous les mêmes galères. Les filles des cités paient le prix fort de quinze années de désespérance. Violences sur les corps. Il y a eu l’apparition des « viols collectifs », la fabrication de « mauvaises réputations » - les « putes ». Il y a maintenant le basculement de gamins détruits vers l’islamisme. Là, on leur redonne de la dignité. Ils retrouvent un rôle central. Ils en imposent aux femmes. Violences sur les âmes. Leur contrôle fabrique de la domination sur les « soumises ». La laïcité est aujourd’hui le front où se joue la mixité.

Les obscurantismes et leur soutien se déchaînent contre l’esprit des Lumières. Les femmes sont les premières à en faire les frais ici et ailleurs. En France, l’ethnicisation de la politique est leur cheval de Troie. Le communautarisme est le cache-sexe de l’islamisation des esprits. Il faut casser cette logique et rétablir celle de la laïcité et de la République. Il se joue bien plus que l’interdiction de la mixité dans les piscines de la métropole lilloise.

Le programme est distribué par des associations islamistes, soutenues par une certaine gauche. Moi, fille d’immigrés, je devrais proclamer que je suis une colonisée, ici et maintenant, dans ma cité en mars 2005. Pourquoi veulent-ils me laisser dans ce rôle d’« indigène » ? Je veux sortir de cette posture d’éternelle victime. Je ne comprends pas le mal-être de ces économistes, philosophes, enseignants et autres informaticiens qui ont un boulot et un appart ! J’en ai été si interloquée que j’ai appelé mon père, en ce moment de l’autre côté de la Méditerranée. Le vieux militant du FLN m’a répondu : « En quoi ça te regarde la colonisation ? L’indépendance de l’Algérie est acquise depuis plus de quarante ans. De quoi as-tu besoin pour vivre ? De respect ! Respecte les gens et fais-toi respecter. » Et il a ajouté : « On connaît l’histoire. »

Je sais que la mémoire n’est pas un congélateur. Elle travaille et il faut la travailler. Bien sûr qu’il faut des films sur le 17 octobre... Le travail de mémoire doit se faire, mais cela ne doit pas participer à la construction identitaire. Que veulent les instigateurs de l’appel « Nous sommes les indigènes de la République » ? Des excuses publiques de la République française pour les guerres coloniales ? Mais, parce que je connais l’histoire, je sais aussi que cela ne se compare pas avec la rafle du Vél d’Hiv. La guerre d’indépendance algérienne n’est pas l’équivalent de la Shoah. Le programme de l’Algérie française, ce n’était pas l’extermination totale d’une population.

Ceux qui veulent nous faire assumer la posture de l’indigène méconnaissent volontairement l’histoire. Ils instrumentalisent le passé pour mettre à bas la liberté et l’égalité, les valeurs de ce qu’ils osent appeler le « chauvinisme universaliste ». Qui ne voit qu’en appelant à ce soulèvement moral des « colonisés » ils préparent, pour les jeunes filles, le terreau d’une sorte de « statut personnel », pour reprendre l’expression de Leïla Sebbar ? Il se joue la légalisation du multiculturalisme. Et les digues qui nous en protègent se nomment mixité et laïcité.

La posture de l’indigène en lieu et place d’égalité sociale ! Cela fait plus de vingt ans que Jean-Marie Le Pen nous la promet. Voilà qu’une fraction de l’extrême gauche rejoint les associations islamistes pour soutenir, symétriquement, une telle régression. Cette confusion des esprits est un signal d’alerte pour tous ceux qui sont attachés à l’émancipation de l’humanité et à l’esprit des Lumières.

Nous n’allons sûrement pas gaspiller nos énergies à détruire des chaînes imaginaires. Nous avons trop à faire pour sortir de la spirale de la désespérance sociale et reconquérir l’espace public de nos cités avec les principes de mixité et de laïcité. Et pour cela, nous avons besoin de vous !

Publié également dans Libération, le 2 mars 2005.

Merci à l’auteure d’autoriser la publication de son article sur Sisyphe.

 Le site de Ni putes ni soumises.

Fadela Amara, présidente de "Ni putes ni soumises"


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