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Les revendications des femmes feraient de l’ombre aux problèmes des hommes

10 mars 2005

par Johanne St-Amour

L’auteure répond à la chronique de Julie Lemieux publiée ce matin dans le journal "Le Soleil" (Québec). Y a-t-il encore des féministes qui doutent que le discours masculiniste sur les "pauvres hommes" ait fait son chemin dans les médias ? Même des femmes, peut-être apeurées par la perspective d’être soupçonnées de haïr les hommes, reprennent ce discours. Marie-France Bazzo le fait elle aussi périodiquement à son émission "Indicatif présent", à Radio-Canada. Et quand c’est le 8 mars, c’est plus difficile à avaler.

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Chère Madame Lemieux,

J’aimerais réagir à votre chronique du 8 mars « La journée de la réconciliation » parue dans Le Soleil. D’emblée, vous tenez à souligner que le discours féministe extrémiste ne vous a jamais touchée, que les revendications féministes sont pratiquement maintenant obsolètes, que « Sophie Chiasson a fait davantage pour la cause féministe en quelques jours que la Journée de la femme en 10 ans », car elle s’est tenue debout devant Jean-Francois Fillion - cet animateur dénigreur et calomniateur -, qu’il y aurait lieu de passer à la méthode « douce » pour revendiquer avec force « un plus grand respect des droits des femmes.

Votre chronique atteint presque son paroxysme lorsque vous dites :« Mais quand je regarde autour de moi, ici au Québec, je ne sens pas que les femmes souffrent beaucoup plus que les hommes. Au contraire, j’ai plutôt l’impression qu’elles sont devenues plus conscientes de leurs droits, plus solides, plus fortes que jamais auparavant ». On ne sait pas sur quoi vous vous basez pour étaler vos faits, mais bon, je peux comprendre que les chroniques fassent l’économie de la rigueur journalistique habituelle et soient essentiellement fondées sur les émotions personnelles profondes de l’auteur ! Autrement dit soyons conscient-e-s que votre chronique reflète davantage vos états d’âmes que des faits scientifiques ! Vous dites aussi que Madame Chiasson, elle, a agi, elle n’a pas eu à brûler son soutien-gorge, les femmes n’ont plus besoin d’agir en meute, que les hommes « se sentent seuls, incompris, déroutés. Les petits garçons ont du mal avec l’école et les plus grands pensent trop souvent au suicide ». Bref, « vous ne comprenez pas pourquoi on donne tant d’importance à la Journée de la femme… », et qu’il y aurait lieu plutôt de créer une « Journée de la réconciliation. Fumer le calumet de la paix », etc.

Ne pas crier les problèmes des femmes

Êtes-vous consciente, chère Madame, des préjugés qui champignonnent votre chronique ? Je ne voudrais pas briser votre journée des Femmes (ou gâcher votre désir d’une journée de la réconciliation), mais la vérité est que les revendications des femmes ne sont pas gagnées. Loin de là. Et la glucosamine avec chondröitine ou non ou le Lakota, alternatives douces par excellence, n’auront aucun effet à court, moyen ou long terme. Finalement, vous faites partie de la majorité des Québécois-e-s (je m’excuse encore d’inclure le féminin) qui soutiennent que la condition des femmes s’est améliorée, selon un sondage Crop-La Presse-Le Soleil dont les résultats étaient rapportés dans l’édition du Soleil d’aujourd’hui. Vous savez, ce n’était qu’un sondage d’opinion !

Si vous désirez mettre vos informations à jour, je vous réfère au Mémoire de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et de Relais-Femmes sur l’Avis du Conseil du statut de la femme, Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes, présenté à la Commission parlementaire sur l’égalité entre les femmes et les hommes aux mois de janvier et février dernier. Ce seul document vous mettra au parfum des dernières réalités des femmes québécoises. Un autre mémoire a été présenté à la Commission, le 5 février dernier, par la Centrale des syndicats du Québec. Il s’intitule : Le leurre de l’acquis : le patriarcat et la discrimination systémique perdurent au Québec. D’ailleurs, vous trouverez très facilement tous les mémoires présentés à cette Commission sur le site de l’Assemblée Nationale. J’ajoute que la Commission continuera ces travaux en avril. Avis à ceux et celles qui désirent vraiment être informé-es et bénéficier d’une mise à jour des revendications des femmes !

Un autre préjugé très tenace ces derniers temps est que les revendications des femmes « font de l’ombre » aux problèmes vécus par les hommes. Il y aurait donc lieu, selon cet adage, de ne pas trop crier les problèmes des femmes. Elles prennent trop de place… au détriment de la réalité des hommes. Quand on ne dit pas carrément que les problèmes des hommes sont causés par les femmes elles-mêmes ! D’un côté, il y a négation des problèmes des femmes (les droits sont maintenant acquis), d’un autre côté, trop souvent, on affirme que non seulement on en oublie les problèmes des hommes mais que les femmes en sont responsables en faisant des affirmations non recherchées, par exemple, que la mixité scolaire nuit au succès scolaire des garçons, quand ce n’est pas le trop grand nombre de professeures (donc d’enseignantes féminines) qui leur serait nuisible ; ou encore que le suicide des hommes est particulier suite à une séparation ou un divorce (donc impliquant les ex-conjointes). Je vous réfère ici à quelques documents effectués par des chercheur-e-s compétent-e-s dans la sous-rubrique Education de la rubrique Société du site Sisyphe, vous aurez l’occasion de confronter vos préjugés. Et sachez que toutes les causes relativement aux problèmes de réussite scolaire des garçons et du suicide élevé des hommes n’ont pas été trouvées. Y a-t-il des hommes pour se mettre à l’étude de ces problématiques ? Et pourquoi mélanger problèmes des femmes et des hommes ?

On peut tout étudier si on s’y met, pourquoi cette responsabilité incomberait-elle aux seules femmes ou groupes de femmes ? Par ailleurs, sachez que les causes des problèmes masculins ne découlent pas de discrimination, de domination ou du patriarcat - quoiqu’il menotte les hommes et les femmes dans des stéréotypes emprisonnants - comme le sont plusieurs problèmes des femmes. On pourrait par exemple se demander : quelle part détiennent les efforts des garçons dans leur réussite scolaire, ou encore, quelle part occupe la consommation de cannabis sur la motivation des jeunes hommes au secondaire, eux qui sont de grands consommateurs, davantage que les filles, et quelles seraient les causes de cette consommation plus grande ? On pourrait se demander, par exemple, comment les hommes peuvent se réapproprier une identité qui les valoriserait dans une société égalitaire. Plusieurs y sont parvenus ! Quel est leur secret ? Voilà des pistes de réflexion, de recherches qui n’accusent pas automatiquement les femmes et qui pourraient aider à remettre leurs problèmes dans leur vrai contexte. Dans tous les cas de donner des pistes.

Le vieux préjugé de la femme, faiseuse de trouble

Un autre préjugé, tout aussi tenace, est que les revendications des femmes sont les bases de chicanes femmes-hommes. Autre belle façon d’élucider les vrais enjeux ; minimisons les enjeux en dénonçant les moyens : Journée de la femme, organismes féminins, etc. Il est vrai que plusieurs personnes exècrent tellement la chicane qu’ils en voient dans toutes les revendications. Mais c’est banaliser les revendications des femmes que de les ramener à une guerre des sexes. Il est alors aisé de « sommer » les femmes, les grandes responsables, de cesser les hostilités. Par ailleurs, il ne faut pas se faire d’illusions et certains privilèges détenus devront être révisés : par exemple, l’augmentation de l’employabilité féminine appuyée par la discrimination positive a semblé enlever des emplois aux hommes mais sans compter, qu’invisiblement, il existait déjà une discrimination positive envers les hommes. On tente seulement d’ajuster les « quotas », si je peux me permettre l’expression. Si on prend un autre exemple, comme le partage des tâches domestiques, personnellement, je n’y vois pas un besoin de « réconciliation » mais un partage plus équitable.

Concernant la cause de Madame Chiasson, je m’incline devant son courage et sa ténacité. Mais encore là, vous minimisez ses efforts : si vous continuez à suivre les débats juridiques, soyez attentive aux prochains jours où elle aura à étaler sa vie privée pour justifier sa cause, l’avocat de la défense désirant, entre autres, prouver que c’est une femme de party ! Donc, une femme de party, monsieur, madame, mérite d’avoir des commentaires sur ses boules par un animateur sexiste ! Je suis certaine qu’elle serait beaucoup plus confiante si davantage de femmes ou même les groupes de femmes avaient pu l’épauler. Et je suis certaine que vous trouverez votre position de chroniqueuse plus confortable. Vous allez constater que la justice est dure - et permettez-moi de le dire injuste - pour celles qui désirent poursuivre leurs agresseurs. Entre vous et moi, même si on parle de cette cause à travers la province, ça m’étonnerait que l’impact sur les droits des femmes en soit rehaussé à travers cette même province ou même sur la seule ville où se tient le débat juridique. Votre prise de position sur « l’affaire Chiasson » diminue, d’un autre côté, l’importance de ce que j’appellerais le phénomène « Fillion-Arthur » : « les vipères des ondes » qui polluent et dénigrent un ensemble de citoyen-nes. Auriez-vous fait les mêmes affirmations si la jeune femme handicapée victime des propos de Fillion, il y a quelques mois, avait intenté une poursuite contre cet agresseur notoire ?

Je conclurai en disant que je ne crois pas à une Journée de la réconciliation, car je ne suis pas en dispute avec les hommes, mon mari, mes fils, ceux de la société en général - comme toutes les femmes qui revendiquent leurs droits, je crois - mais je suis en renégociation d’une place plus juste, plus équitable, plus respectueuse pour moi et les autres femmes. Qui malheureusement sont encore battues, violées, prostituées, pauvres, sous-éduquées, dépressives, anorexiques, boulimiques, etc., etc., et encore etc. Cette position n’enlève rien au fait que je déplore le faible taux de réussite scolaire des gars et le taux élevé de suicide élevé des hommes, mais je n’en accuserai pas mes consoeurs ou confrères et je souhaiterais beaucoup qu’on trouve les causes profondes à ces problèmes, comme on tente de le faire pour le problème des femmes.

Voir

« La journée de la réconciliation », par Julie Lemieux, Le Soleil, le mardi 8 mars 2005, page B 3.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 mars 2005.

Johanne St-Amour


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