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Étudiants en grève. Intransigeants, dites-vous ?
Julie Bouchard, présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et Jonathan Plamondon, vice-président de la FECQ

27 mars 2005

Mercredi, la population étudiante du Québec soulignera un bien triste anniversaire. Cette date fatidique qu’est le 30 mars 2004 marque la mise en application d’un message clair : les études postsecondaires ne peuvent pas être accessibles à toutes les couches de la société. Cependant, ce message est-il celui d’un des multiples consensus sociaux établis ou bien celui d’un gouvernement nettement en marge de ce qu’est l’État québécois depuis une quarantaine d’années ? Nous croyons que se poser la question, c’est y répondre.

À première vue, nous semblons nous époumoner et nous mobiliser massivement pour ce qui semble être extrêmement simple, pragmatique et disproportionné par rapport aux avancées sociales de la Révolution tranquille. Pourtant, derrière la somme de 103 millions de dollars, scandée maintes fois au cours de la dernière année, se dissimulent les préoccupations d’une génération entière. L’objet de toute cette cause déborde largement le cadre de la simple demande chiffrée. L’image concrète des 103 millions est portée par une volonté de se tailler une place équitable face aux autres générations.

Mondialisation et comparaison internationale

Plusieurs facteurs plausibles ont fait émerger ce soudain mouvement, mais un en particulier peut s’avérer être une esquisse d’explication du développement des événements. Nous sommes une génération qui grandit sous les concepts de mondialisation et de comparaison internationale. D’ailleurs, cette mondialisation et ces comparaisons exercent une pression sur notre bien collectif. Cela pousse notre génération à constamment justifier les consensus sociaux que nos parents nous ont légués, dont l’accessibilité financière des études postsecondaires. Le dossier des prêts et bourses est en fait une concrétisation des dommages du néolibéralisme, qui accentue les écarts entre les couches sociales et sur lequel notre génération peut avoir une influence directe. Donc, la volonté étudiante actuelle est le reflet juste du slogan « pensez globalement, agissez localement ».

À la différence de 1968, c’est uniquement pour un maintien des acquis sociaux dont ont bénéficié les générations précédentes que la jeunesse se lève aujourd’hui. Ce fut une orientation politique de la société québécoise de privilégier l’éducation comme outil d’enrichissement collectif. Cette volonté s’est traduite, en misant sur l’accessibilité financière des études supérieures, par la création des cégeps et du réseau de l’Université du Québec mais également par l’instauration d’un système de prêts et bourses. Encore à ce jour, on constate, par l’étendue de l’appui des différents acteurs de la société civile autour de cet enjeu, que ce consensus demeure. Le gouvernement, avec des politiques contraires à toute notion de développement durable, impose un recul incompatible avec la volonté politique des citoyens du Québec d’assurer l’existence d’un système d’éducation accessible, d’où émanent des résultats concluants depuis plusieurs années.

Aussi, le message envoyé par l’expression de la solidarité étudiante est la confirmation de l’irrévocable priorité pour une société de garder accessible le seul outil de mobilité sociale : l’accès aux études supérieures. L’aspect intergénérationnel interpelle les principaux acteurs en présence pour ce qui est de conserver une équité entre les personnes, réalité inaliénable face aux défis du choc démographique. Nous ne comprenons pas pourquoi ce gouvernement s’entête à nous retirer ces outils essentiels pour affronter l’avenir.

Détourner le débat

Le gouvernement dépense bien de l’énergie afin que le débat soit détourné des enjeux de fond, que ce soit en multipliant les déclarations sur la violence des manifestants ou en menaçant de démanteler le calendrier scolaire. L’objectif poursuivi par le gouvernement consiste à discréditer le bien-fondé de la lutte menée par les étudiants afin de la limiter à une demande égoïste de la part d’un groupe de pression qui ferait passer ses intérêts avant tout le reste. Il était prévisible qu’il agisse ainsi car, sur le fond de la question, le manque de perspective à long terme et la négligence des répercussions qui ont guidé cette décision ne sont justifiables d’aucune façon.

Alors qu’une génération prend la parole en défendant le système d’éducation québécois comme un havre de démocratisation de l’enseignement supérieur, c’est à coups de chiffres que le gouvernement répond à la validité des idées qui ne s’inscrivent pas dans le cadre nord-américain. Cette attitude jumelée à une année d’indifférence à l’endroit de la population étudiante a envenimé le problème, et celui-ci s’est cristallisé en une réplique jamais égalée auparavant. Dans un tel contexte, comment imaginer une réaction différente ?

Cette réaction, que certains peuvent juger intransigeante, n’est que l’image de ce que nous sommes, de ce que nous voulons et du rôle que le mouvement étudiant joue au sein de la société. Ce rôle social consiste d’ailleurs à penser à l’avenir de notre collectivité. Donc, il est fondamentalement injustifiable et impossible de cautionner une réduction des bourses.

Globalement, notre génération vient de démontrer qu’elle n’est pas paralysée par le cynisme et l’apolitisme. Maintenant, donnons-nous les moyens collectifs de bâtir le Québec de demain à la mesure de l’ambition, de la créativité et de l’enthousiasme qui nous animent.

 Publié dans l’édition du samedi 26 et du dimanche 27 mars 2005 du Devoir.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 28 mars 2005.




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